La question du HLM à vie est une bonne question

Malgré le retrait de sa proposition de loi, qui voulait mettre fin au principe non écrit du "HLM à vie", l’ancien ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, a raison de poser la question de l'occupation du parc HLM et des moyens d'augmenter la mobilité. Avec un taux de rotation dans le secteur social qui a effectivement diminué au cours de la période, passant de 10,3% en 2011 à 7,3% en 2023 contre 19% pour le parc locatif privé, augmenter la mobilité de 1 point permettrait d'accroître de 60% l'offre annuelle de logements sociaux. Selon Guillaume Kasbarian, "on a 5,2 millions de logements sociaux en France et 1,8 million de ménages qui candidatent légitimement pour y entrer" et 8% des locataires de HLM ne seraient plus éligibles à un logement social s'ils en demandaient un aujourd'hui.
La proposition de loi Kasbarian a été retirée à l’Assemblée après une première discussion en commission ayant suscité un vif échange entre l’ancien ministre du logement redevenu député et l’actuelle ministre en charge de la politique de la ville Juliette Méadel.
Je salue le rejet en commission de la PPL Kasbarian qui entendait expulser les locataires des logements sociaux dans les quartiers prioritaires de la ville, lorsqu’ils voyaient leurs revenus augmenter. Les habitants des quartiers demeurent défavorisés socialement et s’ils vivent un peu mieux, tant mieux pour le quartier ! Nous voulons de la mixité sociale, pas des ghettos ! Cette proposition risquait d’accentuer l’assignation sociale à résidence. Juliette Méadel Une ministre qui défend le maintien de ménages aisés dans le logement social au détriment de ceux qui en ont besoin. Une ministre qui se réjouit du rejet d’une proposition du socle commun soutenue par Matignon. Assistez aux réunions interministérielles ou démissionnez. Guillaume Kasbarian |
Rappelons que la mesure était issue du projet de loi logement abordable qui avait été adopté en commission des finances à l’Assemblée nationale, avant de faire les frais de la dissolution. A l’époque, Guillaume Kasbarian s’était interrogé dans Les Echos "Quand on a 5,2 millions de logements sociaux en France et 1,8 million de ménages qui candidatent légitimement pour y entrer, est-il normal qu'ils soient empêchés de le faire alors qu'il y a des gens au sein du parc social dont la situation a largement changé depuis qu'ils se sont vu attribuer leur logement ?"
Selon lui, plus de 8% des locataires de HLM ne seraient plus éligibles à un logement social s'ils en demandaient un aujourd'hui. L’ex-ministre veut que les bailleurs sociaux procèdent à une évaluation régulière et obligatoire de "la situation personnelle, financière et patrimoniale" des locataires du parc social.
Cette proposition de loi apportait 3 changements
- Répondre au mieux aux situations d’inadéquation du logement à la situation du locataire.
L’ex-ministre du Logement explique que le droit actuel ne permet pas vraiment de tenir compte de l’évolution des situations patrimoniales : par exemple, pour les locataires de logements sociaux qui sont devenus propriétaires d’un logement, la proposition de loi introduit la prise en compte de cette évolution pour déterminer si le bail doit être rompu. Cet objectif aligne la règle de gestion applicable aux locataires en place sur celle applicable à l’entrée, lors de l’attribution du logement.
Il n’y a pas à ce jour d’interdiction formelle pour un locataire HLM d’être en même temps propriétaire d’une résidence. Il est difficilement envisageable pour un propriétaire de sa résidence principale de faire une demande de logement social et cette situation est de fait exclue. De même, un locataire par ailleurs propriétaire d’un bien mis en location verra ses revenus locatifs intégrés dans sa déclaration de ressources et pourra voir son bail social résilié. Et un locataire du parc social par ailleurs propriétaire d’une résidence secondaire et occupant son logement social moins de 8 mois par an verrait aussi son bail résilié. Mais sauf ces situations particulières, le fait d’être par ailleurs propriétaire n’est pas en soi un motif de rupture de bail. Cela peut poser question notamment si le bien a été acquis grâce à l’épargne dégagée par un loyer social inférieur au prix du marché.
Rappelons que selon une étude récente du ministère du Logement, la location d’un logement social, à un prix plus bas que celui du marché, confère un avantage moyen évalué, en 2020 et en métropole, à 225 euros par mois. Cet avantage est mesuré comme la différence entre le loyer demandé par le bailleur social et la valeur de marché correspondante dans le parc locatif privé, à caractéristiques du logement et date d’entrée dans les lieux comparables. Cumulé sur l’ensemble des ménages du parc social, cet avantage de loyer est estimé à 13,1 milliards d’euros annuels.
- Soumettre au supplément de loyer de solidarité (SLS) davantage de locataires dont les ressources dépassent les plafonds applicables à l’attribution de ces logements.
L’agence nationale de contrôle du logement social (Ancols) indique que l’application du SLS connaît de nombreuses exceptions géographiques. Le SLS n’est pas appliqué dans les zones suivantes : les zones de revitalisation rurale (ZRR) ; les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et quartiers assimilés (anciennes (ZUS) ; des zones déterminées dans les programmes locaux de l’habitat (PLH). Les logements intermédiaires (PLI) sont également exemptés de SLS. Il existe aussi des dérogations à cette règle pour les plus de 65 ans, les personnes en situation de handicap et les ménages logés en QPV. Ainsi, seulement 58 % des logements rentrent dans le champ d’application du SLS ; 42 % de logements exclus du champ le sont pour favoriser la mixité sociale dans certaines zones géographiques.
- Dernier point, l’application du SLS se fera sur des ressources qui auront fait apparaître, deux années consécutives, des ressources supérieures de 120 % aux plafonds de ressources applicables, et non plus de 150 %.
Selon l’étude du ministère du Logement citée plus haut, « à localisation et autres caractéristiques des logements et des ménages comparables, l’avantage conféré aux cadres est inférieur de près de 90 € mensuels à celui des ouvriers et employés. La segmentation du parc entre différents niveaux de revenus et de loyers et l’existence de surloyers permet le ciblage de l’avantage monétaire sur les ménages plus modestes ». L’application des surloyers est donc largement justifiée.
Dans l’exposé des motifs, Guillaume Kasbarian avance les raisons suivantes à sa proposition de loi : Le logement social doit pouvoir accueillir tous les Français qui en ont le plus besoin. Cela signifie également de rappeler que le logement social ne doit pas être une fin en soi, un but : il est l’une des étapes dans un parcours du logement qui doit mener à la propriété de son logement. (…) le logement social ne saurait être un droit acquis de façon irrémédiable. Il doit rester prioritairement le fait de personnes modestes, et la hausse des ressources ou du patrimoine doit mener à interroger le maintien dans les lieux.
Cette remarque fait écho au rapport de la Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France sur le logement social dans cette région qui parle d’une problématique d’ancrage dans le logement social en Ile-de-France : citant une étude de l’Institut Paris Région du 3 juin 2021, le rapport souligne que l’ancienneté moyenne dans leur logement des Franciliens locataires du parc social est de 14,8 ans, contre 12,5 ans en France. Contrairement aux locataires du parc privé où l’ancrage se restreint aux âges de départ à la retraite, moment où certains ménages font le choix de partir en région, cet ancrage dans le parc social francilien ne cesse de se renforcer avec l’âge.
Une observation que confirme la publication Les HLM en chiffres qui donne le chiffre de 22% de retraités dans le parc social contre 15% dans le parc privé. En Ile-de-France le chiffre est de 24% de l’ensemble des ménages occupant un logement social qui ont plus de 65 ans, 56% qui ont plus de 50 ans (respectivement 26 et 59 % en QPV).
Il est donc utile d’appliquer le SLS pour inciter au maximum les ménages à une plus forte mobilité géographique et au sein du parc de logements, et ainsi libérer leurs logements sociaux. Cette politique doit cependant pour être efficace s’inscrire dans un cadre général plus incitatif au logement : en baissant la fiscalité sur les revenus du locatif privé afin d'inciter plus de bailleurs privés à investir, en agissant sur les coûts de construction (foncier, normes, etc.) pour inciter à la construction et en baissant les droits de mutation dans l'ancien pour inciter à la mobilité.