67 830 procédures de défaillances d’entreprises en 2024 : des chiffres préoccupants
La France vient de battre un triste record : le nombre de procédures de défaillances d'entreprises s'élève à 67 830 en 2024. Selon l'étude trimestrielle du cabinet Altares[1], malgré un léger ralentissement au quatrième trimestre, ces chiffres sont alarmants et soulignent une fragilité persistante du tissu économique français. Comment expliquer cette tendance ? Quels secteurs et régions sont les plus touchés ? La France va t-elle se retrouver à affronter un mur des faillites ?
Rappel sur les défaillances
Une entreprise est considérée en défaillance quand elle a des difficultés à rembourser ses dettes et se retrouve sous le coup d'une procédure judiciaire : sauvegarde, redressement ou liquidation.
- La sauvegarde est une procédure préventive demandée par l'entreprise lorsqu'elle rencontre de fortes difficultés financières qui risquent de conduire a une cessation de paiement.
- Le redressement intervient lorsque l'entreprise est en cessation de paiements. La procédure peut être demandée par le débiteur, ses créanciers ou le ministère public (magistrats du parquet). Un plan de redressement est alors appliqué pour corriger et rattraper la viabilitée de l'entreprise
- La liquidation judiciaire s’applique lorsqu’une entreprise est en cessation de paiements et que son redressement est impossible. Ses actifs sont vendus pour rembourser ses créanciers et combler les dettes. La société est dissoute.
Evolution des données sur 3 ans
2022 | 2023 | 2024 | |
Nombre de défaillances | 41 020 | 57 729 | 67 830 |
Variation par rapport à N-1 | -18,5%[2] | +36% | +17% |
Nombre d’emplois menacés | 143 000 | 245 000 | 256 000 |
Le chiffre de 67 830 procédures de défaillances constitue un pic jamais atteint en augmentation de 17% par rapport à 2023 et même supérieur au pic historique de 2009 (63 700 défaillances). L’augmentation est en outre de 10% seulement au quatrième trimestre. Il semblerait que l’on assiste à l’avènement d’une stagnation des défaillances.
Malgré cela, les conséquences sur l’emploi restent lourdes : 256 000 postes sont menacés en 2024, soit 11 000 de plus que l’année précédente.
Les PME-ETI particulièrement touchées
En ce qui concerne les PME-ETI (entreprises de taille intermédiaire) de plus de 50 salariés, les défaillances sont en hausse de 30% soit 553 entreprises en 2024. Les secteurs dans lesquels les PME-ETI sont les plus touchés par les mauvais résultats de 2024 sont le commerce de gros (+76%), la manufacture (+75%) et le transport (+59%).
Bien que le quatrième trimestre 2024 affiche une hausse plus modérée (+17 %), ces chiffres reflètent la fragilité structurelle de ces secteurs clés pour l’économie française.
Carte d’évolution des défaillances par région 2023 (T4) / 2024 (T4)[3]
Source : Étude de défaillances et sauvegardes des entreprises en France, Bilan 2024, Altares
Si l’on compare les chiffres du quatrième trimestre (T4) dans les différentes régions, on observe une situation très contrastée sur le territoire français. Les régions les plus dynamiques sur le plan économique restent parmi les plus touchées par les défaillances d'entreprises.
- Île-de-France : Avec près de 4 500 procédures sur les trois derniers mois (+18 % par rapport à T4 2023), la région enregistre un total record de 16 151 défaillances en 2024, confirmant sa fragilité structurelle malgré son rôle moteur dans l'économie nationale.
- Auvergne-Rhône-Alpes : Bien qu’enregistrant une hausse trimestrielle de +14 %, la situation est gonflée par la défaillance d’un important groupe immobilier et de ses filiales. Sans cet événement exceptionnel, la tendance aurait été proche de la stabilité. Néanmoins, le seuil des 8 000 défaillances annuelles a été franchi (8 077), dépassant le précédent record de 2009 (juste en dessous de 7 900).
- Nouvelle-Aquitaine : Cette région enregistre une augmentation de +17 % au quatrième trimestre, avec 1 730 défaillances, et dépasse pour la première fois les 6 000 jugements annuels (6 173).
- Normandie : La région affiche la pire tendance trimestrielle, avec une hausse de +31 % et 865 défaillances au quatrième trimestre. Sur l’ensemble de l’année, elle se rapproche de son plus haut niveau historique de 2015, avec 2 828 défaillances, contre 2 865 il y a dix ans.
À l’inverse, certaines régions montrent des améliorations notables. Par exemple, la Corse enregistre une diminution de -16,1 % et la Bourgogne-Franche-Comté une baisse de -5,3 % par rapport au T4 2023. Ces résultats confirment l’hétérogénéité des évolutions régionales face aux défaillances d’entreprises.
Les causes de ces défaillances
Ces chiffres inquiétants peuvent être dus à plusieurs facteurs. Le premier est conjoncturel. Il est normal que l’on assiste à une correction après la crise du COVID 19 et la mise en place de la politique du “quoi qu'il en coûte".
En effet, les aides étatiques, comme le Prêt Garanti par l’État (PGE), ont permis à certaines entreprises de survivre temporairement. Ainsi, en 2021, le Fonds Monétaire International estimait la part de ces sociétés “zombies” dans les entreprises cotées à 10% [4]. Aujourd’hui, près de 700 000 entreprises ont bénéficié du PGE, pour un montant total de 145 milliards d’euros, dont 38 milliards restent en encours. Le taux de défaut, évalué à environ 3 %, reste relativement faible, et le recours au médiateur du crédit s’avère efficace. Véronique Louwagie appelle cependant à ce que toutes les demandes de rééchelonnement du PGE soient examinées, afin de fournir une réponse adaptée à chaque entreprise, en portant une attention particulière aux plus petites. Elle souligne également l’importance de respecter les délais de paiement entre entreprises, un enjeu critique, car l’impact global sur les trésoreries est estimé à près de 15 milliards d’euros. Dans cette optique, elle a demandé à ses services de lutter activement contre la récidive, affirmant qu’il est inacceptable que certaines entreprises continuent de contourner les règles après avoir été sanctionnées.
En parallèle, la dissolution de juin 2024 et la motion de censure du 4 décembre 2024, ont fait peser un risque considérable sur la situation économique. Les entreprises n'ont pas été aidées dans leur projection n’a pas aidé les entreprises à se projeter concernant leurs investissements. La hausse brutale des taux d’intérêts après la pandémie a contribué à fragiliser la trésorerie des entreprises désormais mobilisée par les remboursements d’emprunts.[5]
Enfin, d’autres explications peuvent être avancées notamment en interne. On peut alors évoquer une mauvaise gestion ou une capacité d’adaptation insuffisante. Précisément sur ce dernier point, les jeunes entreprises créées depuis moins de 3 ans se montrent assez résistantes. La faible augmentation des défaillances de 8% sur l’année et de 5% au dernier trimestre (T4) est le signe d’une plus forte résilience. Ces entreprises récentes semblent plus à même de s’adapter aux conjonctures économiques difficiles.
Augmentation des défaillances : un effet domino
Les défaillances d’entreprises ne se limitent pas à des conséquences directes. Elles créent un effet en chaîne sur toute l’économie locale. De fait, des entreprises qui font faillite menacent le secteur d’activité des bailleurs commerciaux. Ces derniers, en perte de clients, voient leurs bénéfices se réduire. Les bureaux vacants, inoccupés, se détériorent plus rapidement. Cela engendre des coûts de remise en état.
Les banques, quant à elles, perdent de l’argent du fait de la non-solvabilité des entreprises. Cela ne constitue pourtant pas le plus gros impact des défaillances sur les banques. En effet, elles sont amenées, pour se protéger à demander des garanties plus importantes aux futurs emprunteurs. La barrière à l’entrée sera donc plus élevée pour une entreprise récente qui souhaite se développer.
“Si on peut envisager d’être sur le point de toucher un pic de défaillances, on peut aussi craindre qu’il s’agisse d’un plateau, et donc d’un risque commercial, avec lequel il va falloir composer encore plusieurs mois.”[6]
Thierry Millon, directeur des études Altares
Les perspectives restent sombres : d’après une enquête du Syndicat des indépendants et des TPE, sur 1 790 répondants, 63 % des dirigeants de TPE constatent une baisse d’activité et seulement 7,7 % d’entre eux observent une hausse durant le troisième trimestre 2024.[7]
[1] Étude de défaillances et sauvegardes des entreprises en France - T4 et bilan 2024 - Altares
[2] Variation par rapport à 2019
[3] Étude de défaillances et sauvegardes des entreprises en France, trimestre 4 et bilan 2024, Altares,
2025, p.5
[4] Que nous disent les faillites d'entreprises sur l'état de l'économie ? | Les Echos
[5] Valla N., Que nous disent les faillites d'entreprises sur l'état de l'économie ?, Les Echos, 20 janvier
2025
[6] Millon T., Étude de défaillances et sauvegardes des entreprises en France, trimestre 4 et bilan 2024,
Altares, 2025, p.5
[7] « Enquête État des lieux des TPE – T3 2024 – SDI », SDI – Ensemble pour réussir, 8 octobre 2024.