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Réguler le transport sanitaire : l'avis d'un chef d'entreprise d'ambulances

Dans son dernier rapport charges et produits, l’Assurance Maladie présente la situation du transport sanitaire en France et explique comment elle compte freiner l’augmentation de la dépense. Essentiellement par la mise en place de plateformes dispatch, de promotion du transport partagé, et une meilleure contractualisation avec les acteurs. Les économies sont espérées d’ici 2027. 

Yann Grillet, chef d'entreprise à la tête d'une société d'ambulances depuis près de 25 ans a accepté de répondre à nos questions sur le sujet :

La Fondation IFRAP : Ne risque-t-on pas d’être déçu car les solutions proposées par les pouvoirs publics ?

Yann Grillet : Oui, on peut craindre un effet d'annonces au départ, avec une volonté affichée réformatrice, qui finalement aboutira à des demi-mesures. Bercy/Ségur n'auront, à mon sens, que deux voies possibles. Soit la négociation permanente, en douceur, avec les transporteurs sanitaires et les taxis, avec cette option les économies réalisées seront minimes. Soit le passage en force avec un changement de modèle économique pour notre secteur. Dans ce cas, l'Etat peut trouver des marges substantielles mais devra affronter des mouvements corporatistes de protection de la rente.

Sur quels leviers faut-il agir ?

Yann Grillet : Le ministère de la santé doit afficher une ligne claire, quelle est sa volonté ? Si son désir est comptable, les solutions existent mais elles seront douloureuses pour les taxis notamment. Si c'est uniquement un cadre général, à savoir le transport sanitaire partagé doit devenir la règle et le transport individuel l'exception, alors à quel horizon ? 

On part d'un système actuel atomisé entre des milliers de VSL/Taxis qui transportent des millions de malades, avec la CNAM qui paye ces déplacements, et des prescripteurs qui convoquent les patients sans inclure dans leurs raisonnements l'aspect mobilité des assurés. On parle bien d'argent public qui n'entre pas dans une logique de commande publique avec des règles d'appels d'offres. L'assuré tombe malade, comprend que la CNAM peut payer ses transports, et le raisonnement s'arrête là. En face de cette forte demande une économie s'est créée, qui répond positivement aux sollicitations des malades. Maintenant pour contenir les dépenses il faut analyser les flux entrants et sortants générés par les hôpitaux. Développer massivement le transport partagé demande d'enlever certains verrous législatifs comme le choix patient, ensuite on pourra aborder plus sereinement les méthodes "organisationnelles."

La répartition des rôles CPAM/ARS n’explique-t-elle pas que le sujet n’avance pas ?

Yann Grillet : Effectivement cette dichotomie explique de mon point de vue la prise de conscience très tardive de Bercy sur l'explosion des dépenses. Historiquement les ARS méprisaient le côté budgétaire du transport sanitaire en se focalisant sur le transport urgent, qui ne représente pas grand-chose en termes de dépenses, mais qui est la vitrine officielle de la profession. La CNAM payait les transports en aveugle, a posteriori, en considérant que ce n'était pas leur rôle d'organiser le transport. La CNAM ne jouait son côté comptable qu'à la marge en menant des opérations anti-fraude occasionnellement. Il semblerait que Matignon ait compris qu'on parlait d'une problématique systémique et non frauduleuse. Ainsi, l'Etat cherche à réorganiser bien tardivement un marché à 7 milliards annuels.

Pensez-vous que le transfert de la dépense de transport aux établissements de santé permettrait de les encourager à une meilleure maîtrise des coûts ?

Yann Grillet : Mon intuition est que la France basculera un jour vers ce modèle, à l'instar d'autres pays occidentaux. J'imagine qu'il y aura des étapes intermédiaires, avec certainement des pathologies qui seront exclues de la logique des appels d'offres. Qu'un prescripteur qui convoque un patient de manière chronique pour subir son parcours de soins, prenne en ligne de compte son déplacement vers celui-ci me paraît cohérent. J'y vois même une logique de service public. Cela doit être conçu intelligemment par les acteurs du secteur, au bénéfice du malade qui ne doit pas être impacté trop durement par ces changements d'organisation. On parle d'un temps long, qui demandera des ajustements structurels importants chez les donneurs d'ordres.

Faut-il faire signer des appels d’offre avec des transporteurs pour un volume donné de transports ?

Yann Grillet : La structure actuelle du marché du transport sanitaire assis, en France, à savoir des milliers d'artisans taxis, est antinomique d'une logique d'appels d'offres. L'offre actuelle des transporteurs n'est pas typée pour répondre à cette logique de marché bien particulière. Là encore la volonté de l'Etat dictera la structuration de l'offre et non l'inverse. A savoir une contraction du marché qui poussera au regroupement des acteurs. Aujourd'hui l'ambulancier/taxi répond toujours majoritairement à une demande des particuliers. Ce basculement serait vraiment un changement de paradigme.