Les caisses de congés payés du BTP : quelle utilité ?
Sous Léon Blum, la loi du 20 juin 1936 a rendu obligatoire l’attribution d’un congé annuel versé à tous les salariés dans une profession industrielle, commerciale ou libérale. Afin d’assurer la prise effective des congés payés le législateur avait prévu la création de caisses de congés garantissant le versement des prestations, par leur système mutualisé, aux travailleurs changeant souvent d’employeur. Plusieurs caisses ont donc été créées dans le secteur bâtiment, des travaux publics, du transport routier ou encore du spectacle vivant. Néanmoins, la branche du bâtiment et des travaux publics a eu droit à un décret spécifique en 1949 instituant l’affiliation obligatoire à une caisse.
Aujourd’hui encore subsistent les caisses de congés payés du BTP, dont l’opacité, déjà critiquée en 2008, est toujours d’actualité. À la fin des années 2000, ces caisses géraient un montant annuel de 5 milliards d’euros pour les congés payés et 300 millions pour le chômage intempéries. Sur près de 6 milliards d’euros de cotisations récoltées, 777 millions ont constitué un fonds de réserve dont l’utilisation ne bénéficie pas aux entreprises[1] mais à la gestion de la caisse… En 2014, on comptait 220.000 entreprises adhérentes. Les prestations des caisses couvrent 1,5 million de salariés. Ce régime spécifique apparaît cependant décalé aujourd’hui. Les caisses des congés payés du BTP ont-elles aujourd’hui encore une raison d’exister ?
Le fonctionnement aujourd’hui contestable…
Afin d’assurer le paiement des fameux « congés payés », deux régimes ont été instaurés. Le régime général, dans lequel les employeurs assurent eux-même la gestion et la prise en charge des indemnités, et les régimes spécifiques, concernant la plupart des secteurs où « les employés ne sont pas habituellement occupés de façon continue chez un même employeur au cours de la période reconnue pour l'appréciation du droit au congé »[2].
À l’origine, les caisses de congés payés ont été créées dans certains domaines d’activité où, en raison du fort taux de mobilité des salariés, il était difficile pour les entreprises d’assurer seules le paiement des indemnités de congé. L’objectif des caisses est de veiller à la prise des congés, notamment en cas de changement d’employeurs, à la protection des salariés en raison des intempéries et à l’exactitude des droits à congés et du calcul de leur montant. Elles collectent les cotisations obligatoires et facultatives et paient les prestations. Ces caisses s’occupent également d’acquitter auprès des organismes sociaux (Sécurité sociale, Pôle emploi, PRO BTP) des charges patronales sur les indemnités versées. Accessoirement, les caisses participent aussi aux actions de lutte contre le travail illégal en coopération avec l’inspection du travail.
Le secteur du BTP regroupe 90% des salariés travaillant dans les entreprises affiliées aux 28 caisses de congés payés.
Un projet de réforme et de rationalisation dans le secteur du BTP L’Union des caisses de France CIBTP (UCF) est une association à but non lucratif, administrée par des professionnels du bâtiment et des travaux publics. Elle est composée de l’ensemble des caisses Congés Intempéries BTP, c'est-à-dire (chiffres pour 2014) :
Au fur et à mesure de leur existence, et outre la prestation congés payés, les caisses ont élargi leur cadre de compétence en se voyant attribuer par la loi, la gestion du régime de chômage-intempéries, puis par mandat, l’encaissement des cotisations au profit d’organismes professionnels (FNTP ; FFB ; FFIE ; APAS-BTP-RP ; APAS PACA) et par dispositions réglementaires (OPPBTP). Un projet de réforme, entamé en 2008 et complété en 2011, a pour objectif de renforcer la coordination du réseau, de démarrer une restructuration territoriale qui prendra fin en 2018 et de mettre en place un système d’information unique. L’objectif est de réduire le nombre de caisses à 12, soit 2 caisses nationales, 8 caisses interrégionales bâtiment et 2 caisses dans les DOM (Réunion et Antille-Guyane). La transformation en marche (Source)
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Les entreprises adhérentes à une caisse versent des cotisations correspondant au coût des congés acquis par leurs salariés.
D’après une mesure entrée en vigueur le 1er octobre 2013, les entreprises de gros-œuvre et de travaux publics doivent payer un taux de cotisation intempéries de 1,37%. Le taux pour le second œuvre s’élève à 0,31%. En comptant la prime d’assurance intempéries, les caisses ponctionnent 20% du salaire brut des 210.000 entreprises bâtisseuses employant au moins un salarié.
Taux d’appel 2014 [3]
Cotisation | Assiette | Taux |
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Congés payés | Salaire brut | 20,20 % |
Intempéries gros-œuvre / | Salaires plafonnés pris en compte pour le calcul des cotisations de sécurité sociale | 1,37 % / 0,31 % |
OPP-BTP | Salaires bruts majorés d’un coefficient de 13,14 % | 0,11 % |
OPP-BTP travailleurs temporaires | Heures facturées sur le trimestre x 11,52 € | 0,11 % |
Les critiques concernant le fonctionnement des caisses de congés payés ont été récurrentes :
- Il existe une certaine disparité entre les caisses. Aucune mutualisation n’est assurée entre les caisses nationales et locales et il existe des différences de taux de cotisations. Ces taux varient sur le territoire métropolitain de 18,5% à 20,55% de la masse salariale, et dans les départements d’Outre-mer de 16,75% à 17,25% ;[4]
- Il existe également une grande hétérogénéité entre les caisses en matière de paiement effectif des congés pour les périodes ayant donné lieu à cotisations. Le pourcentage de congés non pris oscille entre 0,69% (caisse de Limoges) et 6,49% (caisse de Nice)[5]. Les documents fournis en 2009 par l’UCF précise que le taux de congés non pris s’élève à 5,47% pour la caisse de Marseille et à 5,13% pour la caisse de Toulon. En 2010, ces derniers taux diminuent légèrement en étant respectivement 4,68% et 4,80%. Ces résultats restent peu satisfaisants pour l’IGAS.
…d’un régime particulier opaque
Étant donné le coût de l’affiliation pour ces entreprises, un décret d’avril 2009[6] prévoyait une dérogation pour les entreprises dont les activités secondaires relèvent du BTP mais dont l’activité principale applique une convention collective autre que celles du BTP. La loi reste très imprécise quant à la définition de ce qui est « principal » et de ce qui est « secondaire ». Ce « flou juridique » a conduit la caisse de congé à intimer l’ordre à un patron d’une entreprise de location de matériel de réception de s’affilier sous prétexte que l’installation d’une tente de réception, ou dit autrement d’ « une maison en toile », faisait de lui le patron d’une entreprise de bâtiment ! Certains petits patrons affiliés à une de ces caisses ont commencé à tirer la sonnette d’alarme pour dénoncer un système qui manque terriblement de transparence.
Les caisses de congés payés en chiffres En 2014[1], l’actif net (compte consolidé) s’élevait à 8,6 milliards d’euros dont 6,973 milliards de trésorerie. Les charges d’exploitation représentent 2.9% soit 146,326 millions et les caisses affichaient un montant de fonds propres de 594,6 millions. Tout cela géré par un effectif temps plein moyen annuel de 994 salariés en 2014. Le rapport Arthuis dénonçait les marges de manœuvre (trop) larges dont disposaient les caisses : « si votre rapporteur note que la gestion du système s’inscrit dans un cercle vertueux en termes d’équilibre et d’efficience du régime, il note également la marge confortable de gestion qu’offre le niveau élevé et croissant des fonds disponibles, malgré la pratique des rétrocessions de cotisations. » Ce rapport d’information recommandait aussi en 2009 la clarification de la gouvernance et de la gestion des caisses et le « juste retour » des fonds disponibles aux entreprises. Ces institutions exigent d’être payées un an à l’avance, sans donner de justification valable. De quoi se constituer des réserves financières importantes parfois habilement placées aux îles Caïmans et à Jersey, entretenir des agents travaillant dans des antennes régionales confortables, et prévoir des réunions dans un château du Périgord. « Les administrateurs de la caisse d’Evreux organisent des week-end de travail à Grenoble avec leurs épouses car l’air de la montagne facilite la réflexion… ». Les cotisations prélevées constituent des sommes considérables et engendrent une menace pour la viabilité économique et financière des entreprises. Le montant des ressources est supérieur aux réserves imposées par la réglementation (1/24ème des cotisations encaissées au cours du dernier exercice clos). Il s’agit, selon le patron d’une entreprise, « d’une confiscation car l’entreprise n’a ni l’usus, ni le fructus de cet argent. ». C’est pourquoi, en 2009, l’union des caisses de France s’est engagée à affecter 150 millions d’euros à des prêts destinés à la réhabilitation de logements dans le cadre du plan de relance lancé par le gouvernement. -------------------------- 2 http://rue89.nouvelobs.com/sites/news/files/assets/document/2008/06/EBP_1.pdf 3Philippe Eliakim « Le scandale des caisses de congés payés » Capital 4 Les caisses de congés payés, la très discrète cagnotte patronale héritée de Vichy. |
Le cabinet KPMG a conclu dans un audit de 2008 que « les caisses de congés du bâtiment sont devenues inutiles, coûtent cher, sont génératrices de complexité, n’évoluent pas ».[7] Certaines missions font déjà double emploi, d’autres pourraient être confiées à des organismes existants. Les intérimaires du BTP par exemple sont payés par des agences d’intérim (alors même que ce secteur pourrait justifier l’existence de caisses spécifiques). Dans l’agriculture, la pêche ou la sylviculture, les cotisations des intempéries ne sont pas gérées par des caisses. Selon les chiffres de l’Insee, le turnover dans le secteur avoisine désormais celui du commerce, soit 16,5%, la plupart des ouvriers du bâtiment sont désormais en CDI. Malgré tout, un rapport de l’Igas en 2011 a exclu la suppression complète des caisses de congés payés, celles-ci pouvant s’accompagner de perturbations financières et de coûts administratifs supplémentaires pour les entreprises.
Une tentative de rénovation du système Avant la LFSS 2013, les caisses de congés payés assuraient le versement aux URSSAF des cotisations patronales et salariales dues sur les indemnités de congés payés. L’article 40 de la LFSS 2013 a transféré aux entreprises la charge du paiement des cotisations au Fonds national d’aide au logement et du versement transport dus au titre des indemnités de congés payés. Les caisses restent redevables du paiement des cotisations, de la CSG, de la CRDS et des cotisations d’assurance chômage sur les indemnités de congés payés qu’elles versent. D’autre part, le prélèvement à la source est prévu dans la LFSS 2013. Ces dispositifs ont été institués afin d’éviter l’accumulation de moyens financiers au sein de caisses de congés payés et d’assurer le paiement des indemnités aux salariés. Le nouvel article 23 de la LFSS pour 2015 prévoit donc que, pour les droits à congés acquis postérieurement au 1er avril 2015, le versement direct vers les URSSAF des cotisations de sécurité sociale, de la CSG, de la CRDS et de la CSA due au titre des périodes de congés payés sera assis directement sur la cotisation appelée par la caisse de congés payés. Le fait générateur des cotisations sera désormais associé au versement par l’employeur des sommes servant in fine à la caisse de congés payés à indemniser les salariés et non plus à la perception ultérieure de ces indemnisés par les salariés.[1] D’ici 2018, une période transitoire est prévue pour pouvoir mettre en œuvre ce nouveau système.
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Le nouvel article de la LFSS pour 2015 tente de réformer le système. Cette mesure de rationalisation et de simplification est neutre quant au coût du travail. Cependant, ces dispositions conduiront à une baisse relative du niveau moyen de la trésorerie des caisses de congés payés, correspondant à la part des cotisations sociales qu’elles détenaient. Cette trésorerie demeurera toutefois importante, puisque les caisses conservent les montants correspondant aux coûts du versement des indemnités de congés payés elles-mêmes aux salariés. Cette mesure apportera également 1,52 milliard d’euros de trésorerie pour le régime général dès 2015 et 500 millions d’euros en 2016.
Conclusion : suppression ou réforme ?
Les caisses de congés payées du BTP illustrent l’opacité d’un système social brassant des milliards d’euros (grâce aux cotisations des entreprises) qui ne s’est pas adapté aux mutations du marché du travail et qui doit être réformé. Aujourd’hui, c’est l’existence même de ces caisses qui doit être débattue.
La défense de ces caisses est de dire que les petites structures ne pourraient pas supporter financièrement la gestion autonome du paiement des congés payés. Mais l’inconvénient pour les petites entreprises de payer un an à l’avance est la privation d’une partie de leur capital. Des agences d’intérim, gérées paritairement, existent déjà dans le secteur du BTP. L’avantage étant également de conserver des entités spécialisées compétentes sur des questions juridiques spécifiques.
Finalement, des sociétés d’assurance spécialisées pourraient avantageusement remplacer les caisses de congés payés. Elles offriraient des prestations à la carte et ne seraient pas obligatoires. Seules les entreprises ne pouvant internaliser la gestion des congés payés pourraient souscrire à ce type d’assurance. Le caractère facultatif de l’affiliation est essentiel car permettrait à chaque entreprise de gérer cette question comme elle le souhaite.
[1] Résultat d’activité 11/2012 Produit technique (K€) : 6 873 568 et charges d’exploitation (K€) : 128 018, soit un taux de charge de 1,86% du montant des cotisations. (1,37% en 2014)
[2] l’article L-3141-30 du Code du travail
[3] http://www.cibtp-sud-ouest.fr/declarations-et-cotisations/cotisations-lessentiel-a-savoir/
[4] Page 25 et annexe 4 du document Les dernières informations disponibles datent de 2007
[5] http://www.4c-btp.org/download/2011_06_IGAS_Audit-des-CCP_RM2010-171P.pdf
[6] Décret n°2009-493 du 29 avril 2009
[7] « Pour une gestion transparente des caisses de congés payés du bâtiment et des travaux publics » Jean Arthuis 27 octobre 2009