Actualité

Salon de l’agriculture 2015 : salon d’un tiers des agriculteurs

Salon, foire, conservatoire ou concours de beauté ?

La grande fête a battu son plein. Les jeunes parisiens en vacances ont pu découvrir les animaux et les végétaux qu’ils ne connaissent, au mieux, que dans leurs assiettes. Des agriculteurs ont pu montrer leur remarquable savoir-faire. Des industriels et des artisans de l’agro-alimentaire ont présenté la variété de leurs produits. Des responsables politiques ont tenté de séduire en flattant quelques vaches et en faisant semblant de déguster les produits qui leur ont été proposés. Mais l’agriculture de ce salon est-elle représentative de l’agriculture française de 2015 ?

 

Sur l’affiche du salon 2015, Filouse, est une douce et jolie vache Rouge Flamande, race dont la population se limite à 3.000 membres. Mais la production de lait est surtout assurée par les 2,8 millions de prim'holstein, et celle de viande par les 1,8 million de charolaises. De même la poule noire du Berry  (« à croissance lente ») ou la poule de Marans (« œufs roux ») sont très différentes de celles qu’on trouve en général dans le commerce. Et on imagine que leurs élevages se passent dans des étables et des poulaillers aussi assez différents.

Les trois mondes agricoles

Présenter ces produits (animaux et végétaux) originaux, et contribuer à les faire perdurer est une excellente idée. Mais à condition de ne pas oublier qu’en 2015, il y a en France trois agricultures : 1) producteurs de spécialités recherchées, 2) producteurs de  produits standards à grande échelle, et 3) producteurs de produits standards à petite échelle.

Les premiers sont connus (vins et alcools, fromages, viandes, fruits et légumes de qualité supérieure, généralement AOC ou AOP). Certains sont de véritables leaders mondiaux (ex : Champagne, crus de Bordeaux, Roquefort, viande charolaise… ), d’autres plus petits (foies gras, mirabelles,  …) ont des difficultés, mais leur créneau est porteur. Comme pour  d’autres secteurs de consommation (automobile, produits de beauté, vêtements), l’élévation du niveau de vie dans le monde garantit que des produits et services de qualité et originaux seront recherchés.

Le second créneau est celui de la production de masse de produits de qualité standard (lait, céréales, plantes oléagineuses, plantes sucrières, poulets, porcs  …). En concurrence au niveau mondial, les producteurs n’ont pas d’autre choix qu’une très bonne qualité et des prix concurrentiels, deux exigences aussi des clients français. Et donc des exploitations de grande taille, à la pointe du progrès technique et disposant de capitaux importants.

Le troisième groupe est celui des autres agriculteurs, généralement ceux qui produisent des produits standards à des prix non-compétitifs. Ce sont eux les victimes d’un système qui les a encouragés à s’installer ou à persévérer dans des conditions vouées à l’échec. Au lieu de les guider, la plupart des responsables politiques et syndicaux se sont contentés de les flatter en passant des heures au salon de l’agriculture, et de les endormir en distribuant des subventions. C’est dans ce groupe que se retrouvent les agriculteurs désespérés, ceux qui travaillent tous les dimanches, qui ne prennent pas de vacances et qui ne viennent pas au salon de l’agriculture parce qu’ils n’en ont absolument pas le temps et qu’ils n’ont à présenter que des produits simplement standards.

Les trois salons de l’agriculture

  1. Les producteurs de spécialités et de pluri-activités (agriculture-agroalimentaire locale, agriculture-tourisme), sont les rois du salon  de la porte de Versailles, et c’est mérité.
  2. Le véritable salon des producteurs de masse n’est pas à la porte de Versailles, mais à Villepinte où sont exposées les extraordinaires machines agricoles climatisées, guidées par laser et GPS. Des machines qui sont capables d’optimiser les doses d’engrais, d’arrosage ou de semence en fonction de la qualité du sol, ou de traire, nourrir et évaluer les vaches sans intervention humaine. Des systèmes qui rendent le métier d’agriculteur compatible avec leurs aspirations au XXIème siècle : pas plus de 60 heures par semaine, au moins deux week-ends libres par mois et trois semaines de vacances, et des revenus similaires à ceux des entrepreneurs d’autres secteurs, dont les capitaux investis et les talents de chef d’entreprise sont comparables (production, gestion, management, finance et vente).
  3. Les agriculteurs du troisième groupe n’ont pas leur salon de l’agriculture.

Les trois classes d’exploitations

En agriculture, une exploitation agricole est considérée comme « moyenne » si elle génère une production brute standard dite PBS (chiffre d’affaire théorique) de plus de 25.000 euros. Un chiffre évidemment très faible qui explique que le résultat net avant impôt par non salarié (chef d’exploitation) était de 3.166 euros par mois pour les exploitations moyennes et grandes (chiffre de 2012, année très favorable pour les agriculteurs).

Exploitations

Petites

Moyennes

Grandes

PBS en euros par an

Moins de 25.000

De 25.000 à 100.000

Plus de 100.000

Nombre d'exploitations

178.000

151.000

162.000

À partir de ces chiffres, il est facile d’imaginer le revenu des exploitations petites et de la plupart des moyennes : souvent moins que le SMIC.

Conclusion : Une évolution en vue

Quand Xavier Beulin[1] a été élu président de la FNSEA, on a bien pensé que quelque chose allait bouger dans le principal syndicat agricole. Pas frontalement, le nombre de petites exploitations et donc d'électeurs étant important.  Mais à l’occasion du salon 2015, il a déclaré : « Aujourd’hui, la moyenne des exploitations laitières toutes zones confondues en France est de 50 vaches. Il faut augmenter la taille pour se mettre aux standards européens, notamment en zone de plaine, afin de pouvoir conserver parallèlement des exploitations plus petites dans les montagnes, où nous avons des labels comme les AOC ». Une conviction probablement ancienne, et pas limitée à l’élevage bovin. Xavier Beulin a d’ailleurs obtenu, le 18 février 2015, juste avant l’ouverture du salon de l’agriculture, un assouplissement important des règles concernant l’extension des élevages de porcs et de volailles. Une décision nécessaire pour se rapprocher des normes des autres pays européens et pour la survie de ces filières en France.

Malheureusement, la loi Le Foll "d’avenir pour l'agriculture" votée en 2014 va exactement à l’opposé de cette nécessité, et l’objectif d’augmentation de la taille des exploitations qui était un des critères de l’action des SAFER a été supprimé. Le tout au nom de la protection de l’emploi. Les experts estiment pourtant que la moitié des 70.000 exploitations laitières auront disparu dans vingt ans. Au lieu de promettre aux agriculteurs que « rien ne va changer, vos enfants pourront faire le même métier que vous », il est temps que les responsables politiques et syndicaux encouragent les plus dynamiques des deux secteurs d’avenir (spécialités et production standard compétitive) à progresser, et accompagnent les autres, soit vers une des deux filières d’avenir, soit vers une fin de carrière digne. Et surtout qu’ils cessent d’envoyer, par des primes et des décisions complaisantes, de jeunes agriculteurs dans des voies sans issue.

[1] Xavier Beulin gère avec sa famille une « grande » ferme. Il préside la FNSEA depuis le 16 décembre 2010. Il est ou a été aussi président du CETIOM (Centre technique interprofessionnel des oléagineux métropolitains), président du Grand port maritime de La Rochelle, président de l'EOA (Alliance européenne des oléo-protéagineux), président du conseil d’administration de FranceAgriMer, président du Conseil économique, social et environnemental régional du Centre, secrétaire-adjoint de la Chambre régionale d'agriculture du Centre et vice-président du COPA-COGECA, président de l'IPEMED (Institut de coopération avec les pays du bassin méditerranéen), président du groupe Sofiprotéol, qui détient des participations dans plusieurs grands groupes semenciers français (Euralis Semences, Limagrain, RAGT Génétique, Serasem - groupe InVivo).