Faut-il décentraliser l'ANRU ?

Un rapport de mission commandé par les ministres de l’Écologie et du Logement, Ensemble refaire la ville (février 2025), tente de faire le point sur le futur programme de renouvellement urbain qui devrait être lancé en 2026. Si son montant n'est pas préfiguré, rappelons que l'ANRU a contribué aux deux précédents avec une contribution de 11,6 et 12 milliards d'euros. Dans cette enveloppe l'Etat y a contribué pour 1,2 milliard d'euros à chaque fois et Action logement 9,2 et 8 milliards d'euros. Afin d’éviter tout délai de carence imprévu avec le précédent programme, les auteurs, respectivement inspecteur général de l’IGEDD, directrice de l’ANRU et maire de Villeurbanne, tracent les contours du futur renouvellement urbain et proposent un regard prospectif et réformateur sur celui-ci. Les attendus sont cependant sans surprise, les personnes consultées sont toutes des parties prenantes à la politique de la ville, personne ne s’interroge donc sur des évolutions institutionnelles nécessaires – sauf dans une optique maximaliste – ou sur le point de savoir s’il faut poursuivre cette action, sachant que les points positifs sont extrêmement difficiles à mesurer en pratique comme l’a révélé il y a un an un rapport de France Stratégie sur le sujet. Sans résultats probants, on doit s'interroger plutôt sur la poursuite d'une telle politique et surtout sur l'implication de l'Etat et d'Action logement dans ce processus. Pour la Fondation iFRAP l'ANRU devrait être décentralisée et à la main du bloc communal en QPV (quartiers prioritaires de la politique de la ville) et les participations d'Action logement et de l'Etat supprimées.
Plusieurs points méritent attention :
L’enveloppe financière consacrée à la rénovation urbaine n’est pas véritablement discutée ;
La question du retrait (total ou partiel) de l’État, en raison de la situation actuelle des finances publiques, n’est pas non plus interrogée ;
L’évaluation des précédents programmes et leur contribution à l’amélioration des conditions de vie des bénéficiaires, notamment dans les QPV (quartiers prioritaires de la ville) n’est pas pleinement réalisée. Pire, les statistiques disponibles témoignent plutôt d’une dégradation des conditions économiques de leurs habitants.
L’ensemble des considérations précédentes devraient conduire les pouvoirs publics à proposer une décentralisation complète de la politique de renouvellement urbain, tâche qui semble relever pleinement d’un principe de subsidiarité.
Un bilan des programmes de renouvellement en cours, moins que satisfaisant :
La loi du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine a créé l’ANRU (Agence nationale de la rénovation urbaine) afin de « réduire les inégalités sociales et les écarts de développement entre les territoires » au travers de la transformation urbaine massive des quartiers sélectionnés. Le PNRU (programme national pour la rénovation urbaine) s’est achevé en 2021. Il visait tout d’abord les ZUS (zones urbaines sensibles). Il a ainsi concentré sur 548 quartiers, près de 45,2 milliards d’euros d’investissements, dont 11,3 milliards de subventions ANRU, au profit de 4 millions d’habitants.
Il a ensuite été prolongé par le NPNRU (nouveau programme national de renouvellement urbain) à compter de 2014, dans le cadre de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, qui a identifié les QPV (quartiers prioritaires de la ville). Le NPNRU a ainsi déployé près de 12 milliards d’euros de financement ANRU au bénéfice de 453 quartiers (sur les 1.436 QPV, soit 31,5%) regroupant près de 3 millions d’habitants[1]. Ces financements devant permettre par effet de levier de générer près de 45 à 50 milliards d’euros d’investissements.
Comme l’indique ci-dessus ce graphique produit par l’ANRU, les décaissements du NPNRU devraient se poursuivre jusqu’en 2032, tandis que les décaissements du PNRU se sont étalés de 2005 à 2022. Au contraire les engagements du PNRU ont eu lieu entre 2004 et 2015, et pour le NPNRU entre 2018 et 2026. Il y a donc un fort effet inertiel dans la consommation des crédits en lien avec la promotion immobilière elle-même.
Pour quel bilan ? Le rapport affirme que « la politique nationale de renouvellement urbain conduite depuis 20 ans dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville a permis d’améliorer significativement la vie de leurs habitants et a eu un impact causal significatif sur le niveau de ségrégation des quartiers ciblés.[2] » Or tout au contraire comme le relève France Stratégie « la baisse de la part des habitants du 1er décile [de revenu ndlr] dans les quartiers rénovés intensément démolis procède à la fois du recul du poids du parc social dans l’ensemble du parc de logements (…) et une diminution de la part des plus pauvres accueillis au sein du parc social. [3]» Il y a donc plutôt un déplacement de la pauvreté « en dehors » des QPV ciblés spécifiquement par l’ANRU, plutôt qu’une baisse intrinsèque de celle-ci. La mission l’explicite d’ailleurs plus loin : « entre 2003 et 2013, le PNRU a ainsi causé une diminution moyenne de 1,2 point de la proportion de ménages du premier quartile (de revenu) dans les quartiers en rénovation urbaine, comparativement aux autres ZUS. » Cet objectif est par ailleurs amplifié dans le NPNRU « qui renforce le principe de reconstitution hors d’un quartier prioritaire des logements sociaux démolis dans les quartiers (plus de 80% des reconstructions de logements sociaux du NPNRU sont situés hors QPV) ». La rénovation urbaine aboutit donc un effet de « déghettoïsation » apparent en répartissant les populations pauvres en dehors des QPV.
Et pourtant les résultats ne sont pas bons ! La mission elle-même s’en fait l’écho :
Tout d’abord les QPV sont des territoires présentant un écart majeur à la moyenne nationale en matière de pauvreté : plus de 55% des enfants en situation de pauvreté (contre 20% sur l’ensemble du territoire), un taux de chômage des adultes 2,5 fois plus élevé que la moyenne nationale, et près de 46% des lycéens sont en 1re professionnelle contre 28% sur l’ensemble du territoire.
Mais cette situation ne fait qu’empirer au cours du temps : « Selon l’INSEE, dans les QPV, « le décrochage des revenus par rapport au niveau moyen de revenu de la ville s’accentue depuis 2004, avec dans ces quartiers une augmentation de la part des 40% des habitants les plus modestes et une diminution de la part des 40% les plus aisés. » Même si d’après la mission ce résultat est à relativiser dans les quartiers où l’intervention de l’ANRU a été massive, notamment à cause des effets de répartition hors QPV.
Les dernières données de l’INSEE[4] montrent en tout cas que dans les QPV, le taux de pauvreté évalué à 60% du revenu médian se dégrade lentement : il atteignait en 2021, 45,1%.

Et pourtant, pour les professionnels, de tels résultats ne sont pas dirimants : « là où d’aucuns pourraient voir dans cette expression de besoins d’intervention toujours renouvelée la faillite d’une politique publique conçue par programmes successifs, la grande majorité des acteurs y voit au contraire le témoignage de sa grande efficacité (…) on ne résout pas en 10 ou 20 ans les problèmes des QPV. » C’est tout le dilemme d’inclure des professionnels du secteur dans l’analyse de ses résultats : ils ne disposent pas d’un regard suffisamment critique et indépendant pour tirer un bilan sans concessions ni tabous sur l’efficacité de la politique publique en question.
Il faut dire cependant que si le renouvellement urbain constitue un cadre complémentaire à celui de la politique de la ville en tant que telle, celle-ci doit également s’attacher à mobiliser spécifiquement des politiques de droit commun, rétives à une approche urbaine différenciée. Il s’en dégage des problèmes spécifiques d’évaluation qui empêchent de pouvoir réaliser une étude d’impact à 360° des différentes politiques publiques en QPV de façon consolidée.
L’ANRU et la politique de la ville ne peuvent pas tout : la question de l’articulation avec les politiques de droit commun
Le rapport souligne que « le bon déploiement du renouvellement urbain (…) est conditionné à la mobilisation complémentaire des politiques de droit commun, qui pour les quartiers prioritaires relève notamment de la politique de la ville. » La future programmation du renouvellement urbain doit donc s’articuler avec les nouveaux contrats de ville. Or « les premiers retours des organismes de logement social sur la nouvelle génération des contrats de ville se montrent parfois décevants (…) au détriment d’une mobilisation prioritaire des politiques de droit commun. » Très concrètement, « par son ciblage des quartiers les plus pauvres (…) du fait de leurs besoins renforcés, la politique de la ville peut paradoxalement susciter un effet de retrait des autres politiques publiques de droit commun » à savoir l’éducation, l’emploi, la santé, la sécurité, etc. Ainsi les seuls moyens alloués à la politique de la ville « ne suffisent pas à compenser l’inégale allocation des autres politiques publiques qui s’opère au détriment des quartiers défavorisés. » Ce qui se traduit par le fait que « les systèmes locaux de pilotage des services et les priorités des administrations centrales, empêcheraient structurellement un traitement préférentiel des ZUS[5]. » De fait, la mission constate qu’il n’existe pas d’évaluation consolidée des moyens publics consacrés aux quartiers prioritaires toutes politiques confondues. Un manque de suivi dont France Stratégie s’est également fait l’écho dans son rapport de 2024 en ne parvenant pas à isoler l’ensemble des effets directs et indirects des programmes de renouvellement urbain sur les habitants de ces quartiers – donc en les isolants de ceux liés à la politique de la ville et des politiques de droit commun. Il s’agit d’une difficulté majeure en termes d’étude d’impact.
[1] Zones urbaines sensibles. |
Quels seraient les contours des programmes de renouvellement urbain de 3e génération ?
Les volumes financiers des futurs programmes de renouvellement urbain qui devraient être lancés à compter de 2026 ne sont pas encore connus. Cependant, L’Union sociale de l’Habitat « dans le cadre d’un diagnostic élargi à l’ensemble des quartiers de la nouvelle géographie prioritaire, identifie pour sa part 420 quartiers qui se caractérisent par « de très forts enjeux patrimoniaux, sociaux et urbains. » Ces quartiers accueillent 203.000 logements qui nécessitent une intervention de renouvellement urbain, pour un coût total « sur le volet habitat social porté par les bailleurs sociaux [qui] s’élèverait à 31 milliards d’euros, soit proche des programmes [de renouvellement urbain opéré par l’ANRU] précédents. »
Ce montant semble un minimum, car s’y ajouteraient également d’autres volets :
Une évolution des financements de l’ANRU serait nécessaire « en faveur de l’adaptation et de l’atténuation du changement climatique » ;
La politique de renouvellement urbain devrait par ailleurs être élargie à d’autres territoires (territoires ruraux en déprise, habitat privé dégradé, locaux commerciaux et associatifs, territoires vulnérables, etc.), afin de revitaliser et redynamiser (centre-anciens, centres bourg, etc.).
En définitive « il serait nécessaire d’engager une mission d’identification des pistes d’adaptation du modèle économique et juridique de l’aménagement et du logement, pour que le renouvellement urbain devienne le « droit commun » de la fabrique de la ville, dans un objectif de limitation de la consommation des espaces naturels[6]. »
Dans cette perspective le nouveau PNRU devrait intégrer des problématiques de droit commun comme la sécurité et le développement économique dès la phase de conception des opérations de rénovation.
La mission souhaite enfin « le renforcement du maillage territorial d’opérateurs de maîtrise foncière, d’opérateurs, de maîtrise d’ouvrage et de foncières commerciales locales ».
Ainsi, loin de s’interroger sur les effets perceptibles et mesurables de l’action de l’ANRU, la mission semble au contraire se lancer dans une pérennisation tous azimuts de ses missions et proposer un élargissement considérable de ses compétences actions.
Il faut dire que pour les acteurs concernés, il existe une contrainte de temps : « la poursuite nécessaire de la dynamique de renouvellement urbain pas par le lancement d’un nouveau programme en 2025 afin d’éviter que le trou d’air qui a marqué la transition entre le PNRU et le NPNRU et qui a été unanimement déploré par les acteurs (…) ne se reproduise en 2026, dernière année des engagements de l’ANRU. » Il faudrait donc que les pouvoirs publics et l’État en particulier instaurent « un principe de programmes récurrents et étroitement articulés avec le cycle municipal. » Ce qui pourrait par exemple se concrétiser par des cycles plus courts (de 6 ans ?)… afin de suivre au plus près les rythmes des dépenses d’investissement des acteurs locaux.
Et avec quels financements complémentaires ? Le rapport envisage très sérieusement un coup de pouce fiscal, au détriment des contribuables locaux : « Au-delà de la TVA réduite à proximité des QPV indispensable à la diversification de l’habitat et dont le périmètre pourrait être interrogé, une taxe additionnelle à la taxe foncière, ou une affectation d’une partie de TVA aux collectivités territoriales [supplémentaire ndlr] permettrait d’accompagner leurs actions en faveur de la sobriété foncière. » S’y ajouterait également un élargissement du FCTVA (qui rembourse la TVA facturée aux collectivités sur base forfaitaire) en l’étendant aux « achats de terrain et [aux] participations des collectivités aux équipements publics. »
Des arguments pour convaincre : vers une autonomisation de l'ANRU ?
Afin de pousser à la pérennisation des actions de l’ANRU, la mission avance toute une batterie d’arguments massue :
Le renouvellement urbain limiterait les risques d’émeutes : « Le haut niveau de ségrégation urbaine constitue le meilleur indicateur des violences. » Or entre 2005 et 2023, cette violence s’étend « la différence marquante (…) est l’entrée en scène des villes petites et moyennes, où les adolescents de cités d’habitat social s’identifient aux jeunes des banlieues de métropole. » Ainsi les villes avec un QPV « ont 15 fois plus de chance de connaître une émeute (…) par rapport à celles qui n’en ont pas.[7] » Par ailleurs 63% des communes ont connu à la fois des émeutes en 2023 et une mobilisation des gilets jaunes en 2018, avec des points communs « la ségrégation et l’éloignement des services. »
Par ailleurs il serait nécessaire pour faire face au changement climatique dans la mesure où 35% des ménages du parc social sont en situation de précarité énergétique (grandes chaleurs et grand froid) avec 55% de ce parc chauffé au gaz.
L’argument économique : « Ainsi, le PNRU pour lequel l’ANRU a investi près de 12 milliards d’euros, représente 4 milliards de TVA, 6 milliards de cotisations sociales. Il a permis de créer 400.000 heures de travail pendant 10 ans par les entreprises qui ont réalisé les chantiers. » D’après les dernières prévisions, le NPNRU mobiliserait près de 800.000 ETP directement dans les opérations immobilières ou indirectement dans la filière BTP.
L’argument de l’insertion : Sur le PNRU au moins 28,4 millions d’heures d’insertion ont été réalisées, soit l’équivalent de 18.000 ETP. Pour le NPNRU c’est 38 millions d’heures prévues, soit 24.200 ETP annuels au bénéfice des habitants des QPV.
Il s’ensuit la proposition de 3 scénarios :
Scénario 1 : renforcement du maillage de l’ingénierie au service des territoires : l’ANRU devenant un centre de ressources et de conseil dédié ;
Scénario 2 : amplifiant le scénario 1 au service des territoires : avec ajout de programmes thématiques de portée nationale (ANRU, ANCT, ANAH) sur des enjeux non actuellement couverts par les PNRU : habitat pavillonnaire, périurbain fragilisé, côtier, etc.,), ainsi que des programmes co-pilotés et co-financés avec les conseils régionaux « sur mesure » ;
Scénario 3 : Faire évoluer les missions de l’ANRU pour lui permettre d’intervenir hors QPV et indépendamment de la logique de programme afin d’en faire « l’agence de référence au service de tous les projets de renouvellement urbain en QPV et hors QPV… » Bref, de la transformer en opérateur de plein exercice.
Un désengagement de l’État permettrait à terme de réaliser près de 1 milliard d’euros d’économies :
Les contraintes financières actuelles imposent un effort de sobriété financière qui pourrait aboutir à confier aux collectivités territoriales et aux autres acteurs de la filière le pilotage de l’ANRU avec un désengagement de l’État. Et ce, pour plusieurs raisons :
Tout d’abord la contribution de l’État au financement de l’ANRU est totalement marginale :

Celle-ci représentait 10,3% des fonds pour le PNRU et environ 10% pour le NPNRU. Une contribution qui pourrait parfaitement tomber sans remettre en cause l’équilibre du dispositif existant. L’État restant indirectement intéressé au suivi du pilotage au travers des préfets et de la CDC. À la clé, des économies de l’ordre du milliard d’euros.
Par ailleurs l’ANRU elle-même n’a contribué qu’à hauteur de 23,2% du total des investissements réalisés dans le cadre du PNRU, soit quasiment autant que les Villes et EPCI (19,1%) et beaucoup moins que les bailleurs sociaux (47,3%) hors CGLLS.

Enfin, l’ANRU a un statut ne lui permettant que de réaliser des programmes limités dans le temps. En effet « contrairement à la plupart des établissements publics », l’ANRU n’a pas d’objet générique, mais a été créé dans le but unique de gérer un programme, le PNRU. Ainsi rien n’empêche l’État de se dégager du PNRU et de l’ANRU pour des raisons budgétaires.
Action logement pourrait se désengager de l'ANRU pour 324 millions d'euros d'économie/an
Action logement assure la collecte et la gestion de la participation des employeurs à l'effort de construction en faveur du logement des salariés. Ses ressources représentaient près de 4,861 Md€ en 2023. Dont 1,624 Md€ de contributions nettes des entreprises (PEEC, PEAEC, PSEEC), 1,037 Md€ de remboursements de prêts consentis aux ménages et aux bailleurs et 2,2 Md€ d'émissions obligataires. En face de ces ressources, Action logement a dépensé en 2023 pour 3,792 Md€, dont 2,125 Md€ de financements aux bailleurs sociaux, 1,034 Md€ d'interventions et aides auprès des salariés des entreprises (dont des garanties visales), et 633 millions d'euros de financements des politiques publiques (soit 16,7% des dépenses). Parmi elles, le financement de l'ANRU représente 324 millions d'euros, le FNAP (fonds national d'aides à la pierre) pour 300 millions d'euros et enfin l'ANIL (agence nationale pour l'information sur le logement) à hauteur de 9 millions d'euros. Si Action logement se retirait du financement de l'ANRU, cela ne représenterait que des économies modestes pour l'opérateur, de l'ordre de 8,5%/an, mais celles-ci ne pourraient intervenir qu'à compter de 2032. Par ailleurs les recettes de l'ANRU seraient amputées alors de l'ordre de 66,4% à en croire la répartition actuelle du NPNRU. Mais cela ne remettrait pas en cause pour autant la politique globale de renouvellement urbain dans son ensemble à cause des effets de levier induits, soit une perte d'enveloppe de l'ordre de 15%. |
La politique du renouvellement urbain pourrait ainsi faire l'objet d'un mouvement de décentralisation. A cette fin, l'ANRU sans Action logement et l'Etat pourrait être confiée au bloc communal lorsque celui-ci est doté d'un quartier prioritaire de la ville (QPV). Cependant, les enseignements de France stratégie c'est qu'une action massive sur un quartier déterminé produit davantage d'effet qu'un saupoudrage sur l'ensemble des quartiers prioritaires, au moins sur les indicateurs de mixité sociale. Un principe de sélection pourrait être entreprise au niveau de la région pour déterminer les QPV retenus, dans la mesure où celle-ci est bailleuse de fonds (4,13% des financements accordés au renouvellement urbain (au sein du PNRU, 1ère génération). L'ANRU serait ensuite pilotée au plus près du terrain par les blocs communaux disposant des QPV retenus. Il s'agirait alors d'une application stricte du principe de subsidiarité.
Conclusion:
Le rapport de mission tente de convaincre de la nécessité de reconduire rapidement un 3ème programme de renouvellement urbain, alors que le précédent ne sera réellement terminé qu'en 2032. Ce faisant il cherche à sécuriser des crédits de l'ANRU au moins en terme d'engagement afin de donner une certaine visibilité à la filière du renouvellement urbain en la matière. Cependant cette approche qui cherche tout à la fois à pérenniser l'ANRU et à accroître ses compétences, même en dehors de toute contractualisation afin d'en faire une politique "normale" par défaut même en dehors des QPV au nom de la lutte contre l'habitat indigne et de la préparation au changement climatique bute sur un certain nombre d'écueils non surmontés:
Les études d'impact sont extrêmement limitées et ne permettent pas de vérifier une quelconque influence sur les conditions socio-économiques des habitants des QPV en dehors d'actions de restructurations massives;
On assiste plutôt à une "déghéttoïsation" des ensembles faisant l'object des projets de renouvellement urbain, ce qui aboutit en réalité à déplacer certaines populations pauvres dans des logements sociaux en dehors des QPV considérés plutôt que de leur donner un meilleur accès aux services publics de proximité;
Les indicateurs montrent plutôt au niveau national une détérioration des conditions de vie des habitants dans les QPV, ce qui devrait conduire les pouvoirs publics à s'interroger sur la soutenabilité et les effets du renouvellement urbain sur les habitants de ces quartiers. La mission affirme cependant sans fournir de chiffres précis que ces tendances seraient endiguées dans les QPV faisant l'objet d'un traitement lourd de renouvellement urbain. Pourquoi la mission ne les fournit-elle pas?
Il est difficile de séparer les impacts des différentes politiques publiques de la ville sur les QPV concernés et de les isoler des autres politiques publiques généralistes. Une explication des performances en demi-teinte du renouvellement urbain dans ces quartiers seraient précisément leur traitement spécifique par la politique de la ville, ce qui conduirait les autres services (sécurité, enseignement, culture, emploi) à se sentir moins investis... on peut toutefois douter d'une telle assertion dans la mesure où chaque politique fait se recouper sur ces quartiers des actions et un zonage précis: zones REP et REP+ en matière d'éducation prioritaire, zones de sécurité prioritaire, devenus QRR (quartiers de reconquête républicaine), territoires culturels prioritaires etc.
Le rapport fait le constat de l'absence de chiffrage précis cumulé des moyens et des résultats des actions sur les QPV et spécifiquement ceux ayant bénéficié des actions de l'ANRU. Cela est exacte et mériterait une consolidation et le développement de groupes témoins (à taux d'immigration ou de logements sociaux donnés, avec ou sens renouvellement urbain, avec ou sans qualification prioritaires par les ministères de droit commun etc.). Mais cela montre plutôt que des études d'impact des actions prioritaires dans ces quartiers restent toujours à construire... ce qui ne permet de pas de savoir si les moyens développés ont été efficaces ou non...
Ainsi nous pouvons considérer qu'à minima et dans un contexte de forte contrainte budgétaire, l'action de l'Etat au sein de l'ANRU pourrait être questionnée, tout comme celle d'Action logement. Les économies éventuelles ne pourraient intervenir qu'après 2032, soit après l'action d'ajustement des comptes sous les 3% de déficit programmés par les pouvoirs actuellement. Plus largement, l'ANRU devrait-elle être maintenue dans ses formes actuelles? Là encore, des questions peuvent se poser et devrait conduire à interroger plus avant la politique de renouvellement urbain dans les QPV qui peine encore une fois à présenter des résultats tangibles et concrets et aboutis semble-t-il plutôt à déplacer la pauvreté qu'à contribuer à sa réduction... C'est pour cela qu'il semble nécessaire de "décentraliser" cette politique au niveau local, afin d'optimiser les moyens au plus près des réalités du terrain et des bailleurs sociaux.
[1] En 2024, 5,9 millions d’habitants vivent dans plus de 1.500 QPV, situées dans l’Hexagone et en Outre-mer. Respectivement 5,3 millions d’habitants en QPV en métropole et 600.000 habitants en OM dans l’attente d’une définition des QPV ultramarins qui devrait intervenir en 2025.
[2] Rapport mission, p.12, se référent au rapport de France Stratégie de février 2024, 15 ans de PNRU : quels effets sur l’habitat et le peuplement ? La note d’analyse n°133.
[3] https://www.ifrap.org/emploi-et-politiques-sociales/renovation-urbaine-48-milliards-depenses-en-20-ans-surtout-pour-deplacer-la-pauvrete
[4] Voir par exemple INSEE, Donnée sur les quartiers 2015 de la politique de la ville, Chiffres détaillés mis à jour au 30 janvier 2025, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5359594?sommaire=2500477
[5] Zones urbaines sensibles
[6] La mission soulignant que 80% des bâtiments de 2050 existent déjà, et qu’en conséquence, il sera nécessaire de les adapter au changement climatique et aux nouvelles contraintes environnementales.
[7] La mission relève « À titre d’exemple, pour une ville avec 15% d’immigrés sans QPV, la probabilité de connaître une émeute est de 11%, elle monte à 42% lorsqu’elle en a un. De même une commune avec 25% de logements sociaux sans QPV a une probabilité de 11% de connaître des émeutes contre près du triple (34%) lorsqu’elle en a un. » La mission ne dit cependant pas si le renouvellement urbain en QPV a permis de faire sortir ces quartiers de cette catégorie ou non…