Electricité : chronique d’un désastre annoncé
Deux exemples récents de panne de vent en Allemagne montrent à la fois la dépendance des systèmes de production d'électricité aux aléas météo en raison du développement des énergies renouvelables intermittentes ENRi, la nécessité de recourir à des centrales thermiques et à l'importation ainsi que l'impact sur la volatilité des prix en Allemagne mais aussi en Europe en raison des interconnexions.
Les exigences européennes en matière de développement d'énergies renouvelables nous emmènent dans une situation à hauts risques. D'une part, parce que la demande sera demain encore plus similaire entre les pays de l’UE en raison de l'électrification des usages : pointes et creux de consommation seront quasiment simultanés à travers l’UE. D'autre part, parce qu'il y a peu de "foisonnement" de l’éolien sur une vaste partie de l’Europe. Ainsi les éoliennes de tous les pays produiront beaucoup simultanément lorsque le vent souffle fort et très peu dans des creux de vent simultanés. Si l’UE ne sort pas de l’utopie actuelle du "tout renouvelable", si elle n'encourage pas la construction de centrales au gaz pour remédier aux creux de production des ENRi, tous les pays auront simultanément un déficit de production et ne pourront exporter pour combler les déficits des voisins. Les périodes de black-out risquent de se multiplier.
La souveraineté électrique devient absolument impérative, à la fois parce que l’électricité sera la source principale d’énergie et parce que chaque pays ne pourra compter que sur lui-même. Pourtant la 3e programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) que le Parlement doit valider ne nous donne pas une sécurité d'approvisionnement. En l'état la PPE3 est suicidaire pour notre pays.
Que s’est-il passé en novembre dernier ? Une situation annonciatrice du chaos à venir
En Allemagne, la semaine du 5 novembre dernier, on constate une « panne de vent », qui se double à partir du 6-7 novembre d’un faible ensoleillement réduisant considérablement la production photovoltaïque. Le 7 novembre à 12h le différentiel entre la production et la charge atteint près de 19GW.[2]
Production électricité Allemagne semaine 42Source : https://www.energy-charts.info/index.html?l=fr&c=DE
Les centrales thermiques au charbon et à la lignite, qui auraient dû être fermées, doivent tourner à fond et il faut en outre recourir massivement à l’importation. Le même de manque de vent est constaté au même moment en particulier chez les voisins (France et Hollande : voir le site ENTSOE), confirmant l’absence de foisonnement. Cette situation n’est pas exceptionnelle dans le cas de l’Allemagne, la même configuration se retrouve le 11 et 12 décembre en soirée :
Quelles conséquences ?
Cette situation est difficilement compatible avec l’électrification des usages (automobile, chauffage, etc.) qui signifie une demande de prévisibilité. Elle entraîne une forte flambée des prix : le magazine l’Express indique que sur les marchés de gros en Allemagne, les prix ont enregistré un pic à 963 euros par megawattheure suite à un manque de vent en décembre et ont failli franchir la barre des 1 000 euros mi-décembre. Cette brusque remontée pénalise les entreprises allemandes : dans le quotidien allemand Bild, le directeur général de l'Association de l'industrie chimique allemande (VCI) déclare : "C'est désespéré. Nos entreprises et notre pays ne peuvent pas se permettre de produire par beau temps. Nous avons besoin de toute urgence de centrales électriques capables d’intervenir en toute sécurité."
Avec le développement à marche forcée des ENRi, les prix de l'énergie sont de plus en plus volatils. Ils peuvent augmenter fortement lorsqu'il n'y a pas de vent mais l’Europe connaît aussi de plus en plus de périodes durant lesquelles ces mêmes prix sont négatifs. L’Allemagne a recensé 160 épisodes de vent faible en 10 ans et heureusement ces pannes de vent ne sont pas intervenues lors de pics hivernaux de consommation. Non seulement ces épisodes augmentent la volatilité des prix mais ils conduisent l'Allemagne à émettre plus de CO2 par KWh produit, à cause du recours aux centrales à charbon et à lignite, tandis que la France se situe durant ces épisodes autour de 50g.
Une situation qui va s'aggraver avec les ambitions européennes
Tous les pays de l’UE, engagés dans le Green Deal, s’électrifient pour se décarboner. Les prévisions de consommation électrique en 2050 sont de l’ordre d’un doublement par rapport à 2022-2023. Pour la France, la dernière SNBC prévoit que la part de l’électricité dans le total des énergies consommées passera de 28 % à 55%. La consommation électrique projetée a été revue pour 2035 et semble en cours de réévaluation pour 2050.
Pour tous les pays (sauf la France avec le nouveau nucléaire) le potentiel d’augmentation de sources d’électricité décarbonée pilotables est très limité (hydraulique, biomasse, déchets). C’est donc une très forte augmentation de la capacité en ENRi (éolien et solaire) qui doit assurer la quasi-totalité des besoins supplémentaires. Ces dernières ont représenté environ 30% de la production d’électricité européenne en 2024 ; aller au-delà nous fait entrer en terra incognita.
- D’une part, l’évolution saisonnière de la demande sera demain encore plus similaire dans les pays de l’UE qu’aujourd’hui du fait de l’unification des utilisations de l’électricité (chauffage ; processus industriels ; transports). Pointes et creux de consommation seront quasiment simultanés à travers l’UE.
- D’autre part, il est connu depuis longtemps (travaux Flocard Pervès de 2012) et largement vérifié depuis, y compris durant les deux pannes de vent en Allemagne étudiées plus haut, qu’il y très peu de "foisonnement" de l’éolien sur une vaste partie de l’Europe (7 pays dans l’étude Flocard Pervès), le régime des vents étant à tout moment sensiblement le même.
Ainsi les éoliennes de tous les pays produiront beaucoup simultanément lorsque le vent souffle fort et très peu dans des creux de vent simultanés. Rappelons que l’énergie produite par des éoliennes est selon une loi physique incontournable proportionnelle au cube de la vitesse du vent : en passant d’un vent de 50km/h à 10km/h, l’énergie produite est divisée par 125. De même pour le solaire les périodes de production nulle (nuits surtout) sont presque simultanées dans l’UE.
Du fait de facteurs de charge faibles (environ 23% en moyenne pour l’éolien terrestre et 13/14% pour le solaire), les pays doivent investir en énormes capacités nominales d’ENRi. Ainsi l’Allemagne prévoit de multiplier par 3,8 sa capacité en ENRi entre 2022 et 2035 et par 4,5 entre 2022 et 2045 pour un simple doublement de sa consommation. Hors la France, les autres pays de l’UE suivront un chemin similaire.
Ainsi lors d’épisodes de vent ou de fort ensoleillement, tous les pays auront simultanément une production électrique dépassant largement leurs besoins. Comme aujourd’hui chacun cherchera à exporter ses excédents …vers des partenaires eux-mêmes en excédent. Les périodes de prix négatifs sur le marché spot vont encore augmenter, mais surtout il faudra débrancher les sources éoliennes et solaires.
Ainsi leur facteur de charge réel ne sera plus celui d’aujourd’hui mais il sera amputé de ces périodes d’arrêt avec un impact direct sur le coût de l’électricité produite.
Quant aux périodes de faible production des ENRi elles peuvent se traduire partout dans l’UE par des périodes de blackout massives (cf. les périodes sans vent de novembre et décembre 2024 étudiées plus haut), insupportables pour la vie des citoyens, le fonctionnement des pays et pour leurs industries.
L'Europe doit encourager la construction de centrales à gaz, appui indispensable aux ENRi
Si l’UE ne sort pas de l’utopie actuelle du « tout renouvelable », aucune centrale au gaz n’aura été construite pour remédier aux creux de production des ENRi et tous les pays auront simultanément un déficit de production et ne pourront exporter pour combler les déficits des voisins.
On peut espérer que le bon sens s’imposera rapidement et que chaque pays de l’UE construira massivement des centrales thermiques à gaz, source pilotable, non seulement pour remplacer les centrales au charbon ou lignite encore existantes et qui seront fermées mais surtout pour pallier la variabilité et l’intermittence des ENRi.
C’est d’ailleurs le chemin suivi par l’Allemagne qui a annoncé en juin 2024 la construction de 24GW de centrales thermiques au gaz d’ici 2035 (l’équivalent de 40% de notre parc nucléaire !)…tout en continuant à soutenir l’utopie du "tout renouvelable" auprès de l’UE. Si les pays de l’UE construisent d’importantes capacités de centrales au gaz, les blackouts généralisés pourront être évités, mais chacun limitera ces nouvelles capacités à ses propres besoins, pour limiter investissements et émissions.
Conclusion
-si encore aujourd’hui un pays en manque temporaire d’électricité peut se tourner vers l’importation pour y remédier ou si un autre peut compter sur l’export pour écouler ses excédents, c’en sera fini demain.
-le marché spot européen sera encore plus volatil avec des amplitudes inconnues dans tout autre marché de commodité. Il pourra fournir des opportunités marginales d’optimisation, mais aucunement soutenir le "grand marché" ouvert de l’électricité, que théorise Bruxelles.
-enfin, au vu de ces changements profonds, il est impératif de faire réévaluer par un organisme vraiment indépendant, pour la France, le coût du kWh utilisable produit par les différentes ENRi, tant les facteurs qui le composent sont nombreux et complexes.
-la souveraineté électrique devient absolument impérative, à la fois parce que l’électricité sera la source principale d’énergie, et donc vitale pour le pays, et parce que chaque pays ne pourra compter que sur lui-même.
RTE France a publié en octobre 2021 un document remis à jour en juin 2022 pour y intégrer le nouveau programme nucléaire annoncé par M. Macron dans son discours de Belfort : Futurs énergétiques 2050. Ce document projette nos besoins en 2050 et propose différents mix de production électrique pour les satisfaire.
Même si notre souveraineté électrique est un impératif affiché, il faut se pencher avec attention sur les documents pour s’apercevoir qu’elle n’est en rien assurée. Le tableau récapitulatif « Principaux résultats » montre que tous les schémas étudiés ont en commun l’hypothèse de disposer à tout moment d’une puissance importable de 39GW (l’équivalent de 60% de notre parc nucléaire !!!)
Avec l’évolution du mix de production des pays de l’UE que nous avons décrite, il est évident qu’il s’agit d’une hypothèse dangereusement absurde. Et comme nos déficits en électricité ne peuvent être comblés que par des pays auxquels nous sommes connectés par des lignes de transport à haute tension (pays de l’UE plus Royaume-Uni), il n’y aura point de salut. RTE organise une insécurité totale sur notre approvisionnement et un chaos catastrophique pour la France.
La PPE3 (Programmation Pluriannuelle de l’Energie), publiée à l’automne 2024 et encore en discussion au Parlement, inspirée de RTE, présente le même gravissime problème, même s’il faut fouiller encore plus pour le comprendre. Pour satisfaire la consommation prévue en 2030 et en 2035, on ajoute aux productions des sources pilotables la production maximale possible des ENRi du fait de leur facteur de charge.
Cela revient à supposer que le vent se mette à souffler et le soleil à briller dès que la consommation l’exige et que le vent s’arrête et la nuit arrive dès qu’il n’y a plus de besoin. Et après avoir saturé les sources pilotables, nous importerions les besoins qui restent si les ENRi ne les fournissent pas et nous exporterions les excédents des ENRi, comme nous le faisons aujourd’hui.
C’est une hypothèse implicite absurde. Car si nous ne trouvions pas ces importations, nous aurions des blackouts plus ou moins catastrophiques car le futur mix de production de l’UE exclut pratiquement la possibilité de telles importations.
Donc la PPE3 à l’horizon 2035, pas plus que Futurs énergétiques 2050 ne nous donne une sécurité d’approvisionnement et une impérative souveraineté électrique. Sans même une considération sur le coût futur de l’électricité, la PPE 3 est suicidaire pour notre pays.