Les certificats d'économie d'énergie : toujours plus chers

Un rapport d’inspection revient sur les certificats d’économies d’énergie (CEE) après que la Cour des comptes ait vigoureusement critiqué le dispositif. Les défauts identifiés sont les mêmes : complexité et coût des intermédiaires ouvrant la porte à des fraudes, économies d’énergie surestimées, quasi politique publique qui entraine une augmentation du coût de l’énergie. Pourtant, alors que la Cour posait la question du principe même des CEE, la mission recommande de renforcer le pilotage public du dispositif qui représente entre 6 et 7 Mds € par an pour la collectivité, soit un coût par ménage de 100 €. Une facture qui pourrait encore substantiellement grimper avec la 6e période en préparation à 500 à 900 € par ménage selon les estimations. Pour la Fondation IFRAP, il faudrait au contraire rééquilibrer les efforts publics en faveur de l'électrification de la consommation d'énergie ce qui, compte tenu de notre électricité à 95% décarbonée, aurait une bien meilleure efficacité.
Le rapport récemment publié, signé de l’Inspection générale des finances, du Conseil général de l’économie et de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable, revient sur les CEE, en vue de la sixième période, qui débutera le 1er janvier 2026 (les CEE fonctionnent par période de 3 ans).
Rappelons que les CEE sont un dispositif instauré en 2005 qui impose aux fournisseurs d'énergie ou "obligés" - fournisseur d’énergie (électricité, gaz, fioul domestique, chaleur et froid) et vendeur de carburant automobile - des obligations d'économies d'énergie, mesurées en kWh cumac (kilowatt-heure cumulé actualisé). L’Etat étant à la manœuvre pour orienter les financements des obligés vers tel ou tel secteur ou public, etc. il s’agit bel et bien d’une quasi-politique publique et les CEE peuvent s’assimiler à un quasi-prélèvement pour la financer. Le mécanisme des CEE s’inscrit dans le cadre d’une directive européenne sur les économies d’énergie (DEE) qui fixe à chaque pays de l’UE des objectifs à atteindre.
Assez étonnamment, la mission considère que « en l’absence de vision claire sur les objectifs assignés au dispositif et de données suffisantes sur ses grands paramètres, qu’ils soient financiers ou relatifs aux gains énergétiques, (…) il n’est pas possible de répondre à la question, posée par les commanditaires, de son efficacité. » Pourtant les critiques du dispositif restent majeures.
Des objectifs d’économies toujours plus élevés alors que les actions rentables sont de plus en plus difficiles à atteindre
Le volume d’économies d’énergie notifié à la Commission implique 41 TWh d’économies par an, à comparer au rythme d’économies d'énergie qui était de 13 TWh par an entre 2012 et 2019, sachant que l’on peut raisonnablement penser que les actions d’économies d’énergie les plus rentables (en termes de consommation évitée) ont déjà été effectuées. On notera par ailleurs que la stratégie notifiée par la France à la Commission est plus ambitieuse que celle calculée par la Commission (article 8 de la Directive) pour la France (41 TWh contre 32).
La 6e période doit faire l’objet d’une nouvelle évaluation de l’objectif d’économies d’énergie : l’hypothèse de travail serait de 1250 à 1600 TWHc par an soit le double de l’obligation annuelle. Or, même l’Ademe estime que les gisements d’économies d'énergie économiquement exploitables ne permettront pas de remplir la totalité de l’objectif fixé (entre 51% et 88% selon les scénarios).
Un dispositif qui connaît un développement exponentiel mais sans lien avec la consommation finale d’énergie
Le niveau d’obligation est en croissance exponentielle : il a été multiplié par 57 depuis 2006 ! Les CEE sont essentiellement orientés vers les économies d’énergie dans le secteur résidentiel (66%) ce qui n’est pas forcément représentatif de la consommation finale d’énergie.

Un principe de liberté de moyens mais qui souffre des nombreuses interventions de l’Etat
Si le principe général est une liberté de moyens pour atteindre l’objectif d’économies d’énergie, l’Etat a fait le choix d’orienter plus massivement les actions vers les ménages modestes au nom de la lutte contre la précarité énergétique. L’obligation « Précarité » introduite au cours de la 3e période représente 36% de l’obligation totale en 5e période. Il existe donc une vraie logique de redistribution à travers ces programmes de financements.
Il en est de même des bonifications dans une logique incitative et des programmes qui permettent d’orienter les financements vers des problématiques d’accompagnement de la transition énergétique choisies par la puissance publique sans lien nécessairement avec des économies d’énergie précisément évaluables. Cela peut être le cofinancement d’action dans le domaine des transports par exemple qui permettront en théorie un report modal. Si la réglementation limite les bonifications et programmes à 25 % et 11,5 % respectivement du total des CEE sur la 5ème période, cet encadrement est dépourvu d’effet puisqu’il n’existe pas de sanctions.
La loi liste les domaines d’interventions possibles des programmes, qui sont très larges « sans conférer de cohérence d’ensemble à cet outil pourtant dérogatoire » commente le rapport. Bonifications et programmes sont par ailleurs créés par simple arrêté, offrant une grande souplesse au ministre compétent. L’Etat peut aussi choisir de combiner CEE et subvention (par exemple dans le cadre de Ma Prim’Renov). Autrement dit, cela donne une très grande liberté à l’Etat pour orienter les financements sans qu’il n’y ait forcément d’études d’impact pour les justifier, ni, comme on va le voir, que les actions fassent l’objet d’évaluation robustes.
Une connaissance des gisements d’économies d’énergie très approximative
Les gisements d’économies d’énergie permettent, en théorie, de fixer un niveau d’obligation sur la période qui soit réaliste et soutenable. Mais de telles études sont complexes à mener : elles nécessitent une bonne connaissance de l’offre technique et reposent nécessairement sur toute une série d’hypothèses, notamment d’élasticité du déclenchement des travaux au niveau des primes. Les études menées par l’ADEME pour les deux dernières périodes présentent des limites méthodologiques très fortes. Elles étaient en effet basées sur des projections de tendances passées, et sans évaluation du coût marginal d’atteinte de ces gisements. L’actualisation de l’étude ADEME pour la 5ème période qui réévalue fortement à la baisse le gisement sur le résidentiel, interroge sur la robustesse de cette méthode, nous dit le rapport.
Les CEE financent un large spectre d’actions auprès des ménages, dont on estime de façon forfaitaire les économies d’énergie liées, et non par mesurage des consommations avant et après travaux. Pourtant des tests par sondage ou par accès aux relevés de consommation permettraient de fiabiliser les estimations.
Les fiches d’opérations standardisées fixent une référence conventionnelle chaque équipement considéré et une estimation de gains de performance énergétique. Cette méthode, fondée sur la performance des équipements, n’intègre ni hypothèses d’écarts entre performance théorique et performance réelle (liés par exemple aux malfaçons), ni variables comportementales liées à l’utilisation qui en est faite par les ménages (gain de confort, nouveaux équipements, composition du foyer, etc.)
Les efforts de l’administration pour limiter les éventuels écarts entre les estimations d’économies et les gains effectifs sont très insuffisants, alors même que le cadre européen demande aux États membres de mettre en place des systèmes de vérification.
S’agissant des « fiches d’opérations standardisées », pour les plus utilisées il est prévu qu’elles soient toutes révisées dans un délai de trois ans à compter de leur création ou modification. Cependant les processus conduisant à réviser ces forfaits restent insuffisamment clairs et surtout, ils ne donnent pas lieu à des corroborations par des mesurages. On retient surtout une prise de conscience tardive de l’État de la nécessité de mesurer les écarts entre estimations théoriques et gains réels.
La problématique des coûts de gestion
Les « coûts de gestion » du dispositif (coûts commerciaux et de contrôle) sont significatifs : ils se seraient établis à 30 % du coût total des CEE sur la 5e période selon l’Ademe. La montée en puissance de l’obligation a favorisé l’émergence de tout un réseau d’intermédiaires et le développement d’un marché secondaire des CEE dont le volume est désormais significatif. Mais cet écosystème reste peu régulé souligne le rapport.
De même le niveau des primes versées aux bénéficiaires étaient peu suivis jusqu’en 2022 : depuis, le montant des primes est exigé, sans pouvoir être corrélé au montant des travaux, ce qui empêche de calculer un taux de couverture des CEE. Par ailleurs, aucune exploitation n’a encore été faite de cette donnée, note la mission. Au total, l’État n’est pas en mesure d’évaluer précisément le coût pour la collectivité du MWhc économisé, « ce qui obère sa capacité à piloter les orientations qu’il donne au dispositif » dit timidement le rapport.
L’administration n’est pas non plus en mesure d’évaluer l’effet d’aubaine. Si on se réfère à l’estimation faite par l’ADEME en 2019, cet effet est significatif sur le secteur résidentiel (enquête en ligne auprès de 40 000 ménages qui conclue que 50% des travaux réalisés auraient pu l’être sans le versement de la prime. Mais les travaux ont sans doute été de plus grande ampleur et de meilleure qualité ce qui permet de conclure à un effet d’aubaine plus proche de 30% pour les ménages et 10% pour les professionnels). Le risque d’effets inflationnistes du dispositif sur le coût des travaux, ne sont pas mieux appréhendés.
Les contrôles sur les CEE ont été récemment renforcés : ces contrôlés ont été délégués aux acteurs privés qui doivent s’assurer de la conformité et de la qualité des actions financées. Les obligés ont fait appel à des organismes accrédités pour leurs contrôles réglementaires qui doivent aboutir à un taux de 45% de conformité en 2025. Le pôle national des CEE qui dépend de la direction générale de l’énergie et du climat diligente également ses propres contrôles qui restent assez limités soit l’équivalent de 9% des délivrances. Mais ces deux niveaux de contrôles sont mal coordonnés.
Le rapport s’attarde sur le manque de moyens humains du PNCEE ainsi que des délais d’instruction limités. Ces différentes limites restreignent la capacité du PNCEE à contrôler un dispositif, pour lequel l’importance de la fraude et des malfaçons reste difficile à quantifier : en effet, si les rejets de CEE avant délivrance et sanctions prononcés depuis 2015 sont non-significatifs à l’échelle du dispositif, cette faiblesse peut également trahir une insuffisance des contrôles dit le rapport. La mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) estime que la fraude atteindrait 480 M€ en 2023, décomposés entre 380 M€ de fraude « évitée » par les contrôles et 100 M€ de fraude « subie », l’ensemble représentant l’équivalent de 12 % du coût du dispositif sur l’année 2023. Un manque de moyens d'évaluation et de contrôle adaptés, qui contraste avec l'ampleur des ressources financières engagées, ce qui est incompréhensible pour les ménages et les entreprises, qui pourraient s'attendre à une transparence accrue sur l'utilisation de ces fonds.
Un coût global massif sur les ménages et les entreprises
Le coût du dispositif pour la 5ème période s’élèverait à environ 6 Md€ en 2022, mais à seulement 4 Md€ en 2023, compte tenu d’une chute dans les délivrances entre ces deux années. En lissant annuellement l’obligation, le cout moyen serait de près de 6 Md€. Cette estimation correspond au coût du dispositif, et non à celui des économies d’énergie à proprement parler. Le coût « complet » pour la collectivité serait plus proche de 7,5 Md€ en 2022 et 5,6 Md€ en 2023.
Les obligés répercutent le coût des CEE sur le prix des énergies. S’agissant des tarifs réglementés de l’électricité (TRVE), cette répercussion est même prévue par voie réglementaire. La répercussion du coût des CEE sur les tarifs touche essentiellement les ménages, via leur facture de gaz et/ou d’électricité et, pour les automobilistes, au titre du prix des carburants et une partie du secteur tertiaire.
Les ménages assumeraient donc 70% du financement du dispositif ; ce prélèvement étant proportionnel à la consommation d’énergie, il pourrait même être régressif, même si l’obligation précarité assure une certaine redistribution. Il existe une contrainte supplémentaire puisque l’ensemble des ménages financent à travers leurs factures de gaz, d’électricité ou de carburants les CEE tandis que les ménages bénéficiaires sont surtout les propriétaires de leurs logements.
La mission considère que les CEE pourraient représenter entre 3 et 4,5 % de la facture annuelle des ménages selon l’énergie considérée, soit un coût sur la facture de gaz et/ou d’électricité d’environ 100 € et, pour les automobilistes, au titre des carburants de 60 €. Les simulations effectuées dans le cadre d’une hypothèse d’obligation annuelle de 1 600 TWhc par an à partir de 2026, montrent un coût des CEE pour un ménage se chauffant au gaz, (part carburant compris) de 480 € à 580 € par an contre environ 180 € actuellement. D'autres estimations réalisées par le cabinet Colombus Consulting, donnait le coût annuel des CEE pour un ménage français entre 450 à 912 € par an toutes énergies confondues à partir de 2026.
Conclusion
Le dispositif des CEE peut finalement s'analyser comme une politique publique de soutien à la rénovation énergétique des bâtiments financés par un prélèvement sur la consommation d'énergie des ménages et des entreprises assujetties. Le montant de cette incitation à réaliser des travaux se chiffre en milliards d'€, 6 à 7 milliards € par an, soit un coût par ménage de 100 € et 60 € par automobiliste. Une facture qui pourrait encore substantiellement grimper avec la 6e période en préparation à 500 à 900 € par ménage selon les estimations.
Cette politique couteuse et mal évaluée s'ajoute à d'autres dispositifs comme les subventions directes à la rénovation énergétique type MaPrimeRénov' (2,1 milliards €), les subventions à l'Anah, les taux de tva réduits, etc. (sans compter les normes environnementales qui viennent peser sur le coût des travaux).
Comme le recommande la mission, la Fondation IFRAP considère que le Parlement devrait bénéficier d'un panorama complet des dispositifs et de leurs coûts, de leur ciblage et de leur efficacité. Une politique d'exonération fiscale semble plus simple à mettre en œuvre pour inciter à la rénovation (TVA à taux réduit, exonération temporaire de taxe foncière sous réserve de travaux) que le dispositif sophistiqué des CEE. Et si en ces temps de disette budgétaire, le législateur veut limiter au maximum l'effet d'aubaine, une subvention directe aux ménages sous conditions de ressources serait toujours plus efficace.
De plus, un nouveau dispositif va entrer en vigueur en 2027 : à savoir le système ETS2 (soit les quotas carbone étendu, dans le cadre d’un marché distinct, aux transports et au logement) qui va peser sur les vendeurs d'énergies fossiles. Ce dispositif va encore augmenter l'impact financier pour les ménages du coût de l'énergie tout en soulevant des difficultés d'articulation avec le dispositif des CEE (le premier favorisant la baisse d'émissions de GES et le second les économies d'énergie) et risque de recréer des tensions sur les plus modestes (crise de type gilets jaunes).
Pour la Fondation IFRAP, cette nouvelle étape devrait obliger l'exécutif à faire des choix : encourager l'électrification des usages dans un pays où l'électricité est à 95% décarbonée plutôt que de dépenser toujours plus en politique d'économies d'énergie. Il s'agirait de favoriser la conversion du parc automobile ou des systèmes de chauffage à l'électrique grâce à des primes qui ont jusqu'à présent été rabotées dans le cadre des derniers arbitrages budgétaires.