SAFER : « Les dérives d'un outil »
Les sociétés pour l'aménagement foncier et rural (SAFER) sont des organismes ignorés de la plupart des Français. Jusqu'au jour où l'acheteur et le vendeur d'une propriété plus ou moins agricole voient leur contrat signé soudain cassé sur ordre d'une des 26 SAFER. Grâce au rapport 2014 de la Cour des comptes, les SAFER font les gros titres des media et vont être mieux connues. Mais si le constat de la Cour des comptes est sévère, il ne peut pas traiter du problème de fond : faut-il conserver ces étranges organismes uniques en Europe ?
Opacité des activités des SAFER
La Cour des comptes a rencontré des difficultés à connaître précisément les types d'activités de certaines SAFER qui ne communiquent pas non plus ces données à leur fédération (FNSafer) : impossible d'analyser les installations de jeunes agriculteurs et la nature des opérations des SAFER, tableaux d'activité, des vendeurs et dans acquéreurs peu renseignés. La Cour s'inquiète aussi de « l'absence de comptabilité analytique » des SAFER et du mode calcul des marges « complètement dépassé ».
Carence de l'État
Dans son rapport, la Cour constate que l'État a délégué des pouvoirs considérables aux SAFER mais n'exerce pas le contrôle qui serait indispensable sur leurs activités. En décidant lequel des cinq à dix candidats pourra finalement acquérir un bien, la SAFER, entreprise privée, dispose d'un pouvoir quasiment judicaire, et pratiquement sans appel sur le fond. Une propriété, notamment rurale, représente pourtant souvent un bien très particulier sur les plans professionnel (les terres voisines de l'exploitation) ou affectif (propriétés de famille) qui ne devrait être achetée ou vendue que conformément à la volonté des intéressés. En pratique, les deux commissaires du gouvernement (agriculture et finance), responsables dans chaque région de la surveillance des SAFER, interviennent le moins possible : surtout ne pas créer de problème avec les syndicats agricoles qui gèrent aussi les chambres d'agriculture et les SAFER.
Faible activité dans les métiers de base
Installation des jeunes agriculteurs : les premières installations avec dotations aux JA ne représentent que 10% du total. « On ne saurait qualifier ce résultat de part importante de l'activité de rétrocession comme l'affirme la FNSAFER sans suggérer que cette activité est étonnamment inefficace. » Remaniement parcellaire : « de moins en moins, pourtant une de leurs missions d'origine ».
Entreprise à but non lucratif ?
Les SAFER ne distribuent pas de dividende. Mais la Cour constate que certaines SAFER distribuent une partie de leurs « bénéfices » (sic) à leurs salariés. Plus généralement, il est inévitable que les directions de SAFER et leurs salariés souhaitent faire du chiffre en intervenant sur des opérations où ils n'apportent aucune valeur ajoutée, mais simplement pour au moins survivre et de préférence grossir et étendre leur pouvoir. Les SAFER ne sont pas lucratives pour leurs actionnaires, elles le sont pour les personnes qui y travaillent.
Coût pour la collectivité des interventions « de substitution »
Pour accroître leur chiffre d'affaire, la Cour signale que les SAFER arrivent à intervenir dans des transactions où l'opération de vente est déjà conclue sur le principe. Le vendeur et l'acheteur se sont déjà été mis d'accord soit directement soit grâce à une agence immobilière (opérations dites de « substitution »). Dans le cas cité par la Cour d'un vignoble de 5 millions d'euros, tout le monde semble gagnant, la SAFER (250.000 euros), le vendeur et l'acheteur … mais le département, la commune et l'État sont privés respectivement de 195.700, 61.800 et 4.635 euros. Une perte choquante alors que les finances de ces collectivités sont sous tension. L'acheteur aura logiquement aussi payé 150.000 euros à l'agence qui avait fait tout le travail de rapprochement des deux parties. Comme la Cour le laisse entendre, le vendeur et l'acheteur y gagnent surtout la certitude de ne pas subir de préemption de la part de la SAFER. L'argument classique de la SAFER semble être « si vous passez par nos services, nous ne ferons pas de préemption et nous de ferons pas de réduction de prix ». La Cour considère cette pratique comme un détournement de l'avantage fiscal dont bénéficient les SAFER. Dans certaines SAFER, les opérations de substitution, représentent plus de 75% des interventions des SAFER.
Les SAFER se financent en prélevant une commission sur chaque transaction de terres agricoles, de propriétés agricoles et, de plus en plus, de biens ruraux sans lien avec l'agriculture. Coût de l'exonération fiscal correspondante : 60 millions d'euros. Les SAFER reçoivent en plus des subventions directes de l'État (6 millions d'euros en 2012) et des collectivités locales et ont mis en place une méthode de financement qui étonne la Cour : une contribution de 200 € pour bénéficier d'une réponse « rapide » de préemption/non-préemption des SAFER. La SCAFR (ci-desous) a aussi bénéficié d'avances de l'État régulièrement annulées ou non réclamées.
Confusion FNSAFER / SCAFR
La Fédération nationale des SAFER, cohabite de façon floue avec une autre structure, la SCAFR-Terres d'Europe, une société de services dont l'actionnaire principal est la Caisse des dépôts et qui siège au conseil d'administation des 26 SAFER à la place de la FNSafer. La cour propose de réorganiser leurs rapports.
Ce que la Cour des comptes ne dit pas
La Cour limitant ses avis au cadre légal actuel, ne va pas au fond du problème, qui serait de reconnaitre que le rôle des SAFER est infaisable, même pour des personnes compétentes, de bonne volonté et honnêtes. Comme l'a admis le responsable de la SAFER Gascogne-Haut-Languedoc [1] confronté à de vigoureuses protestations après une décision contestée, au moins quatre candidats acheteurs ont régulièrement des projets valables. Et quand il n'y pas de critères clairs, les seuls appliqués risquent d'être les plus douteux : conformismes, préjugés, relations ou autres. La Cour s'étonne « qu'aucune règle déontologique ne soit mise en exergue dans la gestion des SAFER » d'autant plus qu'elle évoque les très vives tensions qui existent entre toutes les parties intéressées.
Conclusion
Dans son rapport 2014, la Cour des comptes consacre trente-deux pages aux SAFER. Preuve sans doute que, comme l'iFRAP, elle estime que si ce sujet est mineur par la taille, il est critique puisqu'il touche au respect de libertés fondamentales : le droit de propriété et celui de contracter. Il ne faut pas s'y tromper, si les principes qui fondent le mode de fonctionnement des SAFER étaient étendus au reste de l'économie, on passerait d'une économie de marché à une économie administrée de type soviétique.
Dernière minute. Un autre rapport du Ministère de l'agriculture, publié bizarrement le même jour que celui de la Cour des comptes.Des critiques convergentes, toujours aucune solution de fond.
[1] La France agricole N° 3523