Produits phytosanitaires : entre promesses irréalistes et statistiques bancales
Les critiques de la Cour des comptes sur les résultats des trois plans éco-phyto sont sévères. Depuis 2008, l’utilisation de produits phytosanitaires a continué à augmenter alors qu’elle était supposée avoir baissé de 50% en 2020. Et 400 millions d’euros se sont évaporés dans les tuyauteries mises en place. Pour se défendre, les agriculteurs ont des arguments : des objectifs totalement irréalistes fixés par les gouvernements, et des évaluations simplistes de résultats. Ni la Cour dans sa question, ni le Premier ministre dans sa réponse, ne prennent en compte la forte augmentation de la surface cultivée sur la période étudiée, entrainant automatiquement la croissance des quantités de produits phytosanitaires utilisés.
Situation de la France
En quantité de produits phytosanitaires utilisés, la France se situe au troisième rang en Europe. Mais la France est un grand pays, et rapporté à ses 29 millions d’hectares cultivés, elle est au 9ème rang, dans la moyenne européenne.
| France | Italie | Espagne |
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Quantité de produits phytosanitaires | 3ème | 1ère | 2ème |
Quantité de produits phytosanitaires par hectare | 9ème | 6ème | 6ème |
Résultat du plan eco-phyto I
En 2009, à la suite du Grenelle de l’environnement, le plan eco-phyto a été décidé avec les objectifs suivants :
- Baisse de 50% de la consommation de pesticides d’ici 2020
- Résultat : objectif reporté à 2025 dès 2016
- Résultat : consommation augmentée de 12% de 2009 à 2016
- 50% des exploitations engagées en certification environnementale en 2012
- Résultat : « Evolution lente » de 2009 à 2019
- 20% de la surface agricole en bio en 2020
- Résultat : 7,5% en 2018 (y compris ceux en cours de transition)
Comme on le voit d’après le rapport de la Cour, dix ans plus tard aucun des objectifs n’a été approché. Face à l’échec de ce plan, un autre plan a été décidé dès 2016 puis un autre en 2019.
- 2009 : eco-phyto I
- 2016 : eco-phyto II
- 2018 : eco-phyto II+
Position des agriculteurs
Face à ces échecs, les agriculteurs font d’abord remarquer que les données additionnent des quantités de produits phytosanitaires très différents, certains supposés très toxiques et d’autres utilisés même par l’agriculture raisonnée, agroécologie et bio, comme le cuivre. D’après le ministère de l’agriculture, la consommation des produits les plus contestés aurait baissé. Et logiquement, l’interdiction de certains produits très efficaces a entrainé leur remplacement par d’autres moins toxiques mais qu’il faut utiliser plus souvent ou en plus grande quantité. Exemple : le diméthoate pour les cerisiers.
Les autres justifications avancées, changement climatique et surstockage en 2018 en prévision d’augmentations annoncées de prix des produits phytosanitaires, sont moins convaincants. On espère que ces écarts statistiques sont éliminés puisque les données portent sur une dizaine d’années (2008-2018).
2008 : fin des jachères obligatoires
En 1992, face à une crise de surproduction, la politique agricole commune avait imposé une mise en jachère obligatoire de 10% des surfaces agricoles en Europe. En France, sur les 29 millions d’hectares agricoles, 2 à 3 millions d’hectares avaient donc été gelés, diminuant d’autant les besoins en engrais et produits phytosanitaires.
En 2008, la décision a été prise de mettre fin à ce gel, pour répondre à une demande de produits agricoles et, en France, pour accroître la production d’agrocarburants. Cette production est logiquement très intensive, les qualités gustatives ou sanitaires des maïs, blé, sucre ou colza destinés à finir dans les réservoirs des véhicules automobiles, étant hors sujet.
Cet accroissement de 10% de la surface agricole utilisée a entrainé une augmentation mathématique de 10% des différents intrants (engrais et phytosanitaires). Vu le type de culture pratiquée, l’intensité de produits utilisés est estimée au double de la moyenne française, soit une augmentation automatique de 20%. Ceci ne prend pas en compte le fait que les terres mises en jachère en 1992 n’étant pas les meilleures, leurs besoins en intrants sont généralement supérieurs à la moyenne.
Conclusion
L’ambiance des grands messes (Grenelle de l’environnement, COP21…) est propice à la fixation d’objectifs spectaculaires mais totalement irréalistes. On l’a vu avec l’objectif fixé en 2015 de baisser la part du nucléaire de 78 à 50% dès 2025, repoussé à 2035 deux ans plus tard. La situation est la même pour les produits phytosanitaires. Loin de galvaniser les énergies, ces gesticulations ruinent la crédibilité des responsables et découragent les acteurs de terrain.
Comme dans le domaine de l’énergie, la France n’est pas un mauvais élève dans celui des produits phytosanitaires. Les données fournies (augmentation de la consommation de produits phytosanitaires) font les gros titres mais sont trop globales pour être utiles. Face au problème climatique et aux demandes des consommateurs, il est pourtant urgent d’améliorer sa performance dans ce domaine mais sans déstabiliser notre agriculture, ni dépenser des centaines de millions dans de multiples organismes inefficaces.
Rapport de la Cour des comptes, page 4 Le nombre et la diversité des acteurs impliqués, l’insuffisante articulation du plan Écophyto avec plus d’une dizaine d’autres instruments de programmation portant des mesures relatives aux pesticides, la diversité des sources de financement et la généralisation des co-financements ou appels à projets ont conduit à développer une gestion administrative et financière si complexe qu’elle peut neutraliser les effets de l’impulsion nationale et, plus récemment, des initiatives régionales. |