Oui à l'allongement de l'âge... de nos centrales nucléaires
Emmanuel Macron a organisé un Conseil de politique nucléaire (CPN) ce vendredi 3 février, réunissant des membres du gouvernement, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Il y a un an, le président s’engageait à relancer la filière nucléaire en présentant le plan “France 2030” à Belfort. Les deux principaux objectifs étaient alors de construire six nouveaux réacteurs de type EPR2 et de les mettre en service d’ici 2035. Le CPN, dans la lignée de ces objectifs, a permis de lancer des études sur la prolongation de la durée de vie des centrales existantes à 60 ans voire plus.
Selon EDF, la durée de vie d’un réacteur nucléaire est d’au moins 40 ans. L’entreprise publique précise qu’un réacteur est encore utilisable au moins jusqu’à 60 ans. Les réacteurs sont soumis à la maintenance, qui comprend la surveillance quotidienne, avec des réparations fréquentes, la recharge en combustible programmée qui exige une pause de 5 à 6 semaines tous les 18 mois pour chaque tranche, et la visite décennale de l’ASN autorisant ou non la poursuite de l’activité du réacteur. Aujourd’hui, l’âge moyen de nos 56 réacteurs est de plus de 37 ans. On prévoit la fin de l’exploitation de 14 réacteurs sur la période 2029-2035.
La période est donc cruciale pour l’énergie nucléaire et, en février 2022, Emmanuel Macron a annoncé à Belfort le prolongement de toutes les centrales qui sont en état de fonctionner, ainsi que la construction de six nouveaux EPR, qui pourraient aller jusqu’à 14 à long-terme. EDF prévoit aussi l’ouverture du premier EPR pour début 2024 à Flamanville. Le CPN a aussi demandé le début des travaux des EPR2 en 2028.. Aujourd’hui, la France s’est aussi engagée sur de nombreuses innovations du secteur, qui concernent le nucléaire du futur (autour de 2050) : nouvel EPR (European Pressurized Reactor), intérêt pour les petits réacteurs modulaires (SMR), participation à la recherche sur la fusion nucléaire dans le cadre du programme ITER.
Cependant, la question des réacteurs actuels est prioritaire et passe par un “Grand carénage”, un projet industriel de renforcement des réacteurs visant à allonger la durée de leur exploitation de plusieurs décennies. Ce programme permet donc, en théorie, de pérenniser la capacité de production d’électricité nucléaire à l’horizon de 2050.
Le plan du “Grand carénage” a été pensé par EDF dès 2008. L’entreprise publique chiffre en 2014, le coût de cette opération à 55 milliards d’euros pour la période entre 2008 et 2025, dont 10 milliards pour des opérations de réduction des risques d’accident, 15 milliards pour la maintenance des composants principaux et 20 milliards pour les interruptions liées aux visites de maintenance régulières par l’Autorité de sûreté nucléaire.
Le coût du carénage est souvent l’objet de controverses. Par exemple, Jean-Luc Mélenchon, au cours de sa campagne pour la dernière présidentielle, avait estimé le coût global du Grand carénage à 150 milliards d’euros, et justifiait ainsi sa volonté de sortir du nucléaire. EDF avait rappelé que les estimations du candidat étaient largement exagérées, et que depuis dix ans, l'estimation initiale de 55 milliards avait été réévaluée à la baisse : 48,2 milliards en 2018, puis 49,4 milliards en 2020. Aujourd’hui, on parle de 60 milliards. Mais ce débat sur le coût du carénage montre le besoin de vision à long terme : les décisions d’aujourd’hui engagent l’avenir énergétique du pays sur au moins les quatre prochaines décennies.
A travers le Conseil politique du nucléaire, le président de la République tient à “piloter la politique nucléaire de la nation”. En pleine crise énergétique, l’allongement de la durée de vie des réacteurs et les investissements dans le nucléaire du futur prouvent que l’heure n’est plus au démantèlement de notre parc nucléaire national. En cela, la France s’inspire des Etats-Unis, qui ont, eux aussi, renouvelé leur confiance dans le nucléaire récemment.
Aux Etats-Unis, le seuil des 40 ans devenu un simple jalon de contrôle
Les Etats-Unis d’Amérique sont la première puissance nucléaire civile du monde, devant la France : avec une production de 771,6 TWh (2021) provenant de ses 92 réacteurs, les Etats-Unis disposent d’environ un tiers de la production nucléaire mondiale. Cependant, comme ils sont également un gros producteur de charbon, de gaz et d’hydroélectricité, le nucléaire ne représente que 19,6 % du mix électrique. Les Etats-Unis disposent de 92 réacteurs opérationnels, deux en construction, et de dix en projet, dont les petits réacteurs modulaires (SMR). 41 réacteurs ont déjà été mis à l’arrêt définitivement, dont une dizaine sur les dix dernières années. L’âge des réacteurs est en moyenne plus élevé qu’en France (environ 42 ans contre 37).
D’un côté, les réacteurs les plus anciens (35%) sont assez mal entretenus et sont menacés de fermeture dans les années à venir, et pourraient être transformés en centrales à gaz. Il y a déjà 23 autres réacteurs qui ont annoncé leur fermeture prochaine. La durée de vie d’un réacteur est de soixante ans. En même temps, la NRC (Nuclear Regulatory Commission, soit l’équivalent de l’ASN) a même autorisé la prolongation des réacteurs jusqu’à l’âge de 80 ans. 90% des centrales nucléaires du pays ont obtenu une prolongation de la licence d’exploitation jusqu’à 60 ans, et six réacteurs jusqu’à 80. Ainsi, les réacteurs les plus vieux (1972) pourraient fonctionner jusqu’en 2052.
Les Américains sont déjà engagés dans le Grand carénage et veulent faire durer leurs réacteurs le plus longtemps possible, alors qu’ils ont aussi laissé tomber le nucléaire au cours des deux dernières décennies. Là-bas, le seuil de 40 ans, initialement maximal, est devenu un simple jalon de contrôle.
En France, les 40 ans sont jusqu’ici vus comme une durée maximale, alors que c’est une durée minimale en Amérique. Mais certaines voix, comme celle du directeur exécutif d'EDF chargé du parc nucléaire et thermique Cédric Lewandowski, militent pour que l’Etat et l’ASN reconsidèrent cette durée de vie des réacteurs. Alors que l’ASN hésite à passer à 60 ans, EDF pousse déjà jusqu’à 80 ans, prenant les Etats-Unis en exemple. Avec le CPN du 3 février 2022, l’Etat semble être d’accord pour aller au-delà de 60 ans.
Etat des lieux du parc nucléaire français La France est l’un des principaux producteurs d’énergie nucléaire, avec 56 réacteurs opérationnels, 363,4 TWh en 2021, ce qui représente 13,3 % de la production nucléaire mondiale. 69 % du mix électrique français est issu du nucléaire. EDF construit ses premiers réacteurs dans les années 1960. A partir de 1973 se développent les REP (réacteur à eau pressurisée), dont la plupart ont été construits dans les années 1980. Jusqu’en 1995, 95 réacteurs ont été construits, avant que le nucléaire connaisse un lent déclin. En 2012, François Hollande promet de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique national à 50% en 2025, au profit des énergies renouvelables. Sans pour autant atteindre cet objectif, l’Etat français se désengage néanmoins de la filière nucléaire : peu d’entretien, pas de construction de nouveaux réacteurs, baisse du nombre d’emplois dans la filière. A l’heure actuelle, 14 réacteurs ont fermé définitivement. La plupart d’entre eux étaient anciens, issus de la première phase de construction et souvent des modèles antérieurs aux REP : réacteurs à eau lourde ou à neutrons rapides. Entretemps, les REP se sont imposés comme modèle standard en France et ailleurs. Il convient également de souligner les problématiques qu'affrontent notre parc nucléaire en ce moment. La France souffre ainsi d'un manque de main d’œuvre, comme pour la partie soudure, qui est primordiale face aux risques de corrosion sous contrainte. En 2022, environ 600 soudeurs américains et canadiens ont traversé l’Atlantique pour l’entretien de la tuyauterie de nos centrales. En réaction, le CPN veut lancer un grand plan de formation aux métiers du nucléaire. |