Libéralisation des lignes nationales d'autocars : une course de lenteur
Les lignes régulières d'autocars à moyenne et longue distance présentent des atouts spécifiques importants par rapport aux autres modes de transport, véhicules particuliers, trains ou avions. C'est pourquoi leurs prix sont très inférieurs à ceux des trains et qu'ils sont répandus dans le monde entier, sauf en France où leur développement est rendu pratiquement impossible par la SNCF. Cela évolue, mais pourquoi si lentement ?
Le principal atout structurel des lignes nationales d'autocars c'est leur souplesse. Dans un pays aussi Paris-centrique que la France, proposer des trajets directs (sans correspondance) comme Lille-Nancy ou Le Havre-Cherbourg ne leur fait pas peur, s'il y a des clients. Et dans les villes aussi, les autocars peuvent facilement desservir plusieurs points, comme le Nice-Marseille qui est capable de s'arrêter à la fois en centre ville, au port et à l'aéroport de ces villes. Un service que le train, prisonnier de ses rails, ne peut pas rendre. Le second atout est qu'ils utilisent des matériels banalisés :
- Les autocars sont utilisés dans de multiples autres environnements : trajets à courte distance, trajets à la demande, bus scolaires, entreprises. "Un autorail coûte 6 millions d'euros, un autocar 300.000 euros", d'après Jean-Pierre Farandou, directeur de SNCF proximités.
- Les mêmes autocars peuvent circuler dans toute l'Europe alors qu'il existe de multiples standards incompatibles pour les trains, augmentant leurs coüts de 30 à 50%.
- Les routes, partagées avec les autres utilisateurs (voitures particulières, camions), sont donc beaucoup moins coûteuses à construire et entretenir que les voies de chemin de fer. Le réseau d'autoroutes irrigue maintenant toute la France, et très peu de segments sont fréquemment saturés.
Enfin, contrairement à la croyance générale, la performance écologique des autocars est nettement meilleure que celle des trains pour les trafics d'intensité faible et moyenne. Rapport 2009 de la Cour des comptes sur les TER "Le maintien de liaisons ferroviaires faiblement utilisées n'est pas justifiable d'un point de vue écologique. (…) Si l'on considère les taux moyens constatés sur les liaisons régionales, les émissions de CO2 par voyageur-kilomètre sont plus faibles de 30% environ pour les autocars que pour les trains"
Ce qui n'est pas autorisé est interdit
Mais en France, l'ouverture des lignes nationales régulières de transport par autocars doit être autorisée par des commissions où la SNCF joue un rôle dominant. Comme l'a indiqué en 2006 Hervé Mariton, Député de la Drôme « Votre rapporteur spécial s'est intéressé à la situation très particulière du transport intérieur de voyageurs par autocars sur des liaisons commerciales régulières de longue distance, cette situation étant assez simple à observer en France dans la mesure où l'activité y est aujourd'hui… inexistante. (…). La réglementation nationale : des obstacles visant à protéger la SNCF ». Hervé Mariton concluait « Des projets immédiatement opérationnels existent (…) alors pourquoi interdire à des entreprises de prendre un risque qu'elles entendent assumer – sans subvention publique - ? »
2010 : Des fonctionnaires prétendent décider à la place des entreprises
De nombreux rapports ont été produits sur ce sujet, par exemple celui du Conseil Général de l'Environnement et du Développement d'octobre 2010 intitulé « Service de Transport d'Intérêt National ». Produit par trois hauts fonctionnaires, ingénieurs généraux et inspecteurs généraux, il est plutôt pessimiste sur l'intérêt du développement de ce mode de transport. Mais au lieu de recommander la mise en place de règles qui laisseraient aux entreprises la responsabilité de se lancer ou non sur ce marché, ses auteurs prétendent se mettre à leur place des entrepreneurs. « La problématique n'est pas de lancer une expérimentation comme le suggère le président de la Fédération nationale des transports de voyageurs, mais plutôt de s'interroger sur l'intérêt de lancer un appel à projet ».
Pourtant il n'y a que deux scénarios. Soit il n'y a pas de marché et les entreprises ne se lanceront pas dans cette aventure ou s'en retireront rapidement. Soit il y a un véritable besoin, et il est urgent de l'ouvrir à la concurrence. Plusieurs pays analysés dans ce rapport ont libéralisé ce secteur, souvent depuis des dizaines d'années (Royaume-Uni, Italie, Allemagne, Norvège, Suède) avec des succès variés mais sans jamais provoquer la catastrophe qui semble effrayer nos responsables et les conduire à sans cesse repousser la décision d'ouverture.
2010-2011, un premier pas : cabotage
Des lignes internationales régulières de cars existent depuis des décennies, soit partant de France comme Paris-Londres, soit la traversant comme Genève-Lisbonne. Sur Paris-Londres, les prix des voyages en autocars sont plus de deux fois inférieurs aux prix les plus bas en train. Une première évolution a quand même eu lieu en 2010 où les lignes internationales d'autocars ont été autorisées à prendre des passagers pour des trajets « de cabotage » limités à la France : 230 trajets ont été autorisés. Plus de 270 sont en cours d'examen.
2011-2012, un second pas : lignes nationales
Le récent rapport du Conseil d'Analyse Stratégique (octobre 2011) intitulé « L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs » se prononce prudemment mais clairement en faveur de l'ouverture à la concurrence, y compris pour les liaisons par autocars :
Recommandation n° 6
Favoriser la contestabilité des marchés couverts par les services commerciaux, par exemple en commençant à libéraliser les services nationaux de transport de voyageurs par autocars.
Peut-être à la suite de ce rapport, le ministre des transports vient d'annoncer un projet de loi autorisant la création de lignes régulières nationales, aussitôt assorti de nombreuses restrictions. Les lignes se limitant à une seule région seraient autorisées par le Conseil régional. Pour celles concernant plus d'une région, c'est l'État qui déciderait. Et ces lignes « ne devront pas compromettre l'équilibre financier des lignes existantes sous contrat de service public ».
Ces restrictions ruinent largement la portée de ce projet. D'une part, aucune des lignes existantes, régionales ou inter-régionales de la SNCF, n'est actuellement en équilibre financier. Il sera donc très difficile de juger de ce qui est acceptable ou non. D'autre part, pour les trajets en "cabotage", les régions ont donné un avis négatif à la moitié des demandes d'ouverture de lignes, montrant comme leur intérêt commun avec la SNCF dans les Trains Express Régionaux (TER) se fait aux dépens de leurs administrés : tout comme l'État, au lieu de se conduire en arbitre entre les différents modes de transport, les régions défendent d'abord leurs intérêts dans les TER.
C'est au contraire en ouvrant ces lignes à la concurrence qu'il serait possible de découvrir ce que préfèrent les clients et quel est le « juste » coût de ce service pour la collectivité et pour les voyageurs.
Il n'est même pas certain que ce modeste texte trouve un créneau parlementaire avant les élections. Inévitablement, le découpage d'une telle réforme en de multiples étapes mineures multiplie le travail parlementaire, alors que la règle devrait être simple, comme dans d'autres pays : « les opérateurs homologués (raisons de sécurité) sont autorisés à ouvrir des lignes régulières d'autocars, à condition de déposer leurs trajets, leurs horaires et leurs tarifs 45 jours à l'avance ».
SNCF : le retour
La SNCF, qui dispose d'une puissante filiale, KEOLIS, « Acteur majeur du transport public de voyageurs (bus, cars et tramways) » s'est aussitôt déclarée intéressée par ce marché des lignes régulières d'autocars à longue distance. Dans le transport de marchandises, le fret ferroviaire SNCF est déjà en voie d'être marginalisé à l'intérieur de GEODIS, la filiale SNCF de transport de marchandises par camions. Les Trains Express Régionaux et Nationaux vont-ils aussi être absorbés par les autocars de KEOLIS ?
L'arrivée de la SNCF sur ce marché auquel elle s'est si longtemps opposée est piquante, mais naturelle, à condition que ses comptes concernant ces lignes soient clairement isolées du reste de ses activités et des 12 milliards d'aides publqiues qu'elle reçoit chaque année. Une règle très difficile à vérifier.
Mais faut-il attendre que la SNCF s'intéresse à un marché et accorde son autorisation pour l'ouvrir à la concurrence ?