Les exploitations agricoles bloquées entre plafonds et planchers
Le gouvernement s'est engagé à ouvrir une négociation sur les seuils qui bloquent les entreprises françaises en dessous de 10, 50 ou 200 salariés. Mais les entrepreneurs agricoles français butent, en plus, sur toute une série d'autres seuils gérés par les Contrôles des structures et les SAFER. La nouvelle loi dite "Loi d'avenir pour l'agriculture" aggrave la situation en regardant surtout vers le passé. Comment font les autres pays européens ?
Les pays européens étant très différents, il est naturel et souhaitable que leurs agricultures soient très diverses : nature des productions, taille des exploitations, mode de culture, méthode de commercialisation, tous les types d'entreprises agricoles qui respectent les normes sociales et environnementales sont légitimes. À condition qu'elles soient rentables pour les agriculteurs qui y consacrent leur travail et leur capital. En cas de problème dans un pays, cette diversité permet de comparer les conditions qui y règnent avec celles appliquées par les pays voisins plus performants. Or l'agriculture française a deux problèmes : dépassée par celle de pays a priori moins agricoles, et fournissant un revenu médiocre à la majorité de ses agriculteurs.
Par rapport aux pays voisins, l'agriculture française possède de nombreux atouts et est handicapée par d'autres facteurs (niveau des charges, excès de règlementations…) mais est aussi soumise à un régime unique en Europe de gestion administrée des propriétés agricoles. En France deux organismes, le Contrôle des structures et les SAFER interviennent dans la fixation de la taille des exploitations agricoles. Le premier régit les autorisations d'exploiter attribuées aux agriculteurs locataires ou propriétaires, et le second les autorisations d'achat des propriétés agricoles. Les deux se basent sur des « Surfaces minimum et maximum d'exploitations », « Unités de références » et désormais des « Activités minimales d'assujettissement » [1] calculées en fonction de nombreux paramètres locaux [2] pour autoriser ou refuser les demandes des intéressés. L'objectif principal est de limiter la taille des exploitations pour qu'elles soient plus nombreuses, et en pratique aussi, d'exclure les exploitations atypiques ou innovantes.
2013 : Espagne et Italie devant la France pour les exportations de vin
Le quatrième vignoble du monde est chinois. En 2013, l'Espagne a exporté 40% de plus de vin que la France. L'Italie possède le plus grand vignoble du monde devant l'Espagne, moitié plus grand que le vignoble français. Les vins du continent américain représentent 31% des échanges mondiaux. Cédant aux demandes réitérées du gouvernement français, Bruxelles a pourtant fini par autoriser notre pays à maintenir des quota de droits de plantation de vignes. Source : Organisation Internationale du Vin, Point de conjoncture vitivinicole mondiale 2013.
Comparaison entre pays européens
La France est le plus vaste pays de l'Union européenne (20% plus grand que la Suède), et surtout, celui qui dispose de la plus grande surface de terres cultivables sous un climat tempéré. Tout en excellant dans de nombreuses spécialités de niche, la France est naturellement un acteur important au niveau mondial dans les productions de masse (grandes cultures, élevage). Des domaines où la taille est souvent critique, vu notamment la puissance des équipements requis, mais aussi la variété des compétences nécessaires (agronomie, mécanique, chimie, marketing, finance, juridique).
Rapport entre le nombre d'exploitations de plus de 200 hectares et celui des exploitations de 50-200 hectares
Source : Eurostat, Farm structure, données 2007
Comme l'indique le diagramme ci-dessus, la situation de la France est atypique, un véritable plafond étant imposé autour de 200 hectares à la taille des exploitations agricoles. Une analyse plus fine des données montrerait d'ailleurs que le plafond se situe nettement en dessous de 200 hectares. Seuls les Pays-Bas ont un coefficient de « grandes » fermes inférieur à celui de la France. Mais la densité de population y est quatre fois supérieure à la densité en France.
Le critère du nombre d'animaux d'élevage est tout aussi frappant, la France se trouvant cette fois-ci la dernière de ces six pays. Le tableau montrant comment les Pays-Bas ont pu développer une agriculture performante malgré le manque d'espace.
Rapport entre le nombre d'exploitations de plus de 500 « Unités d'élevage [3] » et celui des exploitations de 100-500 « Unités d'élevage »
Source : Eurostat, Farm structure, données 2007
Conclusion
Les obstacles mis à l'adaptation à la taille des exploitations agricoles, aux évolutions techniques, à celles du marché, aux capacités et à la volonté des agriculteurs, constituent un handicap essentiel pour notre agriculture. Si la situation de l'agriculture française était excellente, ou au moins similaire à celles des autres pays européens, on pourrait être tenté de se résigner aux atteintes légales aux droits d'entreprendre, de propriété et de respect de la vie personnelle perpétrées à nos frais par ces organismes publics et privés. Mais comme ce n'est pas le cas, il est urgent de libérer les initiatives des agriculteurs-entrepreneurs en supprimant ces mécanismes administratifs qui prétendent mieux savoir que les intéressés ce qui est bon pour eux.
[1] On ne s'attachera plus à une surface, mais on prendra en compte le niveau et la nature des activités (production, transformation, commercialisation, agrotourisme), a expliqué le ministre.
[2] Type de production, surface de l'exploitation actuelle, surface de la nouvelle exploitation, distance entre les deux, âge du demandeur, de ses parents agriculteurs, de son conjoint et de ses enfants, profession de son conjoint, orientation professionnelle probable de ses enfants…
[3] Une Unité d'élevage correspond à une vache laitière, ou à un nombre d'animaux « équivalents » en termes de leur consommation de nourriture.