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La volonté de bloquer l’ouverture à la concurrence va sacrifier le rail

L’ouverture à la concurrence est un choix

Suite au rapport Duron qui préconisait de revoir l’organisation des trains Intercités autrement nommés trains d’équilibre du territoire (TET),  le gouvernement vient de rendre sa copie. Les décisions qui sont mises en œuvre sont les suivantes :

Une nouvelle convention sera signée avec la SNCF pour la période 2016-2020. Cette convention devra renforcer la tutelle de l’État en tant qu’autorité organisatrice sur les trains d’équilibre du territoire dont le ministre des Transports a rappelé leur vocation d’aménagement du territoire et de droit à la mobilité.

Par la suite, une concertation sera lancée sous l’égide du préfet François Philizot pour négocier avec les régions à partir de 2016 une nouvelle organisation et une meilleure articulation avec l’offre TER. Il n’a échappé à personne que cette concertation est opportunément repoussée après les élections régionales. Si des liaisons Intercités doivent repasser dans le giron des régions on verra donc après 2016 comment celles-ci seront financées. En attendant, plusieurs lignes de nuit à la fréquentation insuffisante sont menacées (à l’exception des lignes Paris-Briançon et Paris-Rodez-La tour de Carol).

Enfin, tirant les leçons des critiques du rapport Duron sur la vétusté des trains Intercités, le gouvernement s’est engagé à un renouvellement complet du matériel roulant des lignes TET d’ici 2025 pour 1,5 milliard d’euros. Par ailleurs le ministre a rappelé dans son annonce que cet investissement s’ajoute aux contrats de plan État-région qui notamment vont permettre à l’État d’investir dans la modernisation du réseau pour 2 milliards d’euros.

Bien que l’État ait réagi aux conclusions du rapport Duron il ne reprend qu’une partie des recommandations du rapport. Si celui-ci parlait bien de l’insuffisante qualité du matériel roulant ou de renforcer la tutelle de l’État avec les élus sur le schéma de dessertes, le rapport Duron, du nom du député PS du Calvados, auteur du rapport sorti fin mai dernier, avait soulevé d’autres pistes qui n’ont pas été reprises par le ministère des Transports.

Ainsi, le rapport était assez clair sur la responsabilité de l’opérateur historique :

« La commission tient à rappeler que la première condition de redressement de la trajectoire économique des TET repose sur d’importants efforts de maîtrise des charges de la part de l’opérateur. Elle estime en effet que la trajectoire actuelle d’évolution des charges du ferroviaire n’est pas acceptable, n’ayant pas relevé d’exemple en France ou en Europe où la pérennité d’une exploitation pourrait être assurée sans des efforts de productivité de la part de l’opérateur. »

« Une telle augmentation des charges ne peut être qu’insoutenable. Les efforts attendus sont de deux ordres :

® la maîtrise de l’évolution du coût moyen par agent (CMA), alors que les prévisions réalisées par l’opérateur indiquent une progression d’environ 20% sur la période 2015 – 2025, (…)

® des gains de productivité d’au moins 0,5% par an semblent un minimum. Les conditions et l’organisation actuelles de l’exploitation par SNCF Mobilités recèlent, de l’avis général, d’importantes marges d’optimisation des process de production, notamment par comparaison avec les opérateurs homologues en Europe (recherche d’une plus grande polyvalence des agents, optimisation des roulements et redimensionnement du parc de matériel, etc.). »

De même, le rapport évoque le cadre réglementaire, à savoir l’ouverture à la concurrence :

« L’entrée en vigueur du quatrième paquet ferroviaire européen, actuellement prévue pour 2019, aura pour conséquence l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs sur les liaisons intérieures. Selon la Commission européenne, la concurrence doit permettre d’apporter une meilleure maîtrise des charges d’exploitation ainsi qu’un meilleur service offert aux voyageurs. » (…)

« Or, dans ce nouveau cadre, les différents opérateurs ferroviaires européens seront d’autant plus compétitifs qu’ils auront eu le temps de faire évoluer leurs méthodes de production et leur organisation, étant confrontés depuis déjà plusieurs années à un cadre concurrentiel sur d’autres marchés européens. À l’instar des anticipations d’ouverture à la concurrence pratiquées par bon nombre de pays européens voisins, il est donc nécessaire de donner à SNCF Mobilités les moyens de se préparer à cette évolution du droit communautaire, et donc à répondre à la mise en place d’un cadre concurrentiel, sans quoi elle risquerait d’en subir les effets de manière particulièrement brutale. » (…)

La Commission propose que de premières expérimentations soient menées sur les TET, afin de préparer progressivement SNCF Mobilités à l’entrée en vigueur du cadre concurrentiel et de lui donner les moyens de résister à l’entrée sur le marché français de concurrents européens. Dans ce but, la Commission suggère que le monopole dont bénéficie SNCF Mobilités soit levé à titre expérimental sur un périmètre défini par le législateur, en application de l’article 37-1 de la Constitution. Cette première expérimentation pourrait porter sur les lignes de nuit, puis dans un second temps sur certaines lignes de jour, selon des modalités à définir. L’État attribuerait des contrats de service public après mise en concurrence, conformément aux règles définies dans le règlement OSP.

Sur ces deux points, le ministre Alain Vidalies, cité par La Tribune, a fermé la porte à toute discussion : "La question de l'ouverture à la concurrence passionne un certain nombre d'acteurs très compétents. L'ouverture à la concurrence n'est pas un choix, c'est un horizon que la France a accepté et auquel elle veut se préparer dans de bonnes conditions.  Le 30 juin, le pilier technique du paquet ferroviaire européen a été adopté définitivement. Nous allons entrer dans la phase de discussion du pilier politique dans lequel figurent les conditions d'ouverture, notamment son calendrier qui n'est pas aujourd'hui précis avec la Commission qui a proposé 2019 et le Parlement européen 2022. Il y a des questions sur la gouvernance, sur l'open-access ou pas... qui sont lourdes de conséquences. Je souhaite que ces sujets soient éclaircis rapidement (...)  la précipitation serait un risque d'échec."

Les opérateurs privés ont réagi pour regretter qu’aucune ouverture n’ait été faite dans cette direction. Le ministre a également rappelé le calendrier social selon le journal économique avec la négociation de la convention collective pour les entreprises ferroviaires, expliquant que le gouvernement n'allait pas prendre le risque de froisser les syndicats de la SNCF en lançant l'expérimentation de la concurrence, un an après avoir voté la loi sur la réforme ferroviaire.

Si la précipitation est effectivement à éviter, il faut rappeler que le sujet est sur la table depuis plusieurs années : déjà le rapport Haenel (2009) ou Grignon (2011) citaient l’impact positif sur le trafic de l’ouverture à la concurrence dans les pays qui avaient fait le choix de l’anticiper. Par ailleurs, il est peu probable que le gouvernement s’engage dans une telle réforme en 2016, c’est-à-dire à un an à peine des élections. Tous ces arguments montrent à quel point la politique ferroviaire a été jusqu’à présent guidée par des considérations corporatistes visant à défendre la SNCF, le tout habillé de commentaires d’aménagement du territoire ou écologiques. Alors qu’à Strasbourg, tout est fait pour reporter l’ouverture du marché national à 2022, le gouvernement ne peut ignorer que ces choix vont conduire à reporter encore plus de voyageurs à emprunter des moyens alternatifs au train : covoiturage, autocars, etc. Et, à l’image de ce qui s’est passé pour le fret, ouvrir à la concurrence, un marché déjà passablement affaibli.