La loi sur la transition énergétique : un leurre pour le sommet mondial de Paris
Avec sa loi sur la transition énergétique votée en janvier 2015, notre pays va se mettre en position de donneur de leçon aux 195 pays et aux 45.000 participants de la conférence internationale sur le climat que Paris accueillera en décembre 2015. Une satisfaction psychologique. Mais à quel prix pour la compétitivité de notre pays et le niveau de vie des Français, si elle devait être mise en application ? Heureusement, elle ne le sera pas. Les déclarations faites cette semaine par Ségolène Royal, ministre de l'Énergie, sur le nucléaire montrent que le contre-exemple allemand et les prises de position des experts du secteur commencent à porter.
Il faut le rappeler, l'objectif de la conférence internationale sur le climat n'est pas de réduire la consommation d'énergie dans le monde, un but indécent face aux besoins des quatre milliards d'êtres humains qui vivent dans des conditions que les Français jugeraient misérables. Par exemple, deux milliards d'humains n'ont pas accès à l'électricité, d'où de multiples maladies et décès dus aux fumées toxiques des cuisines. Ce n'est pas non plus de réduire la production d'électricité nucléaire alors que 72 réacteurs sont en cours de construction dans le monde, et que le gouvernement et les industriels français travaillent activement à vendre notre technologie à l'étranger. Ni de produire de l'essence à partir de céréales alors que l'avantage écologique est douteux, que le plein d'une voiture en biocarburant à base de maïs, représente la ration annuelle (200 kilos) d'une personne dans un pays en développement, et que toute la production agricole devra être mobilisée pour nourrir les 9 milliards de terriens. Non, l'objectif fixé par le GIEC est de réduire la production de gaz à effet de serre. Dans leur accord du mois dernier, la Chine et les États-Unis l'ont bien compris, du moins au niveau des intentions : Barack Obama a annoncé une réduction de 26 à 28% des émissions d'ici 2025 par rapport à 2005, et Xi Jinping envisage d'atteindre un pic des siennes autour de 2030, si possible avant.
Le plan français
En 2007, alors que sa position lui aurait permis de jouer un rôle de leader, la France s'est alignée sur l'objectif européen inspiré par des extrémistes allemands viscéralement opposés au nucléaire. L'Europe avait pris trois engagements pour 2020 : réduire de 20% la production de gaz à effet de serre, produire 20% d'électricité renouvelable et réduire de 20% sa consommation d'énergie finale. Le second point avait déjà peu à voir avec l'objectif du GIEC et le troisième objectif non plus, mais, contrairement aux deux premiers, il n'était pas juridiquement contraignant. De ces trois objectifs, la nouvelle loi sur l'énergie passe à huit. Seuls les deux premiers correspondent à l'objectif climatique à atteindre. Certains autres, comme la réduction de la consommation énergétique, sont des moyens éventuels de parvenir au but, d'autres, comme la réduction de la part du nucléaire, n'ont rien à voir avec le but poursuivi et sont même tout à fait contradictoires.
Émission de gaz à effet de serre | 1. -40 % en 2030 par rapport à 1990 |
2. -75 % en 2050 par rapport à 1990 | |
Consommation énergétique finale | 3. -20 % en 2030 par rapport à 2012 |
4. -50 % en 2050 par rapport à 2012 | |
Part des renouvelables dans la production d'électricité | 5. 23 % en 2020 |
6. 32 % en 2030 | |
Consommation de ressources fossiles | 7. -30 % en 2030 par rapport à 2012 |
Part du nucléaire dans la production d'électricité | 8. 50 % en 2025 (75% en 2014) |
Ces objectifs posent deux questions : sont-ils atteignables ? sont-ils souhaitables ?
Atteignables ?
Depuis 2005, la consommation finale d'énergie baisse en France, mais peu, alors que l'économie est en crise, la croissance très faible, les prix des énergies très élevés et les incitations aux économies d'énergie fortes (bonus/malus, subventions financières, campagnes d'information, développement des transports publics, …).
D'après les chiffres du commissariat général au développement durable [1], jusqu'en 2013 le transport connaît une légère baisse annuelle, mais ce secteur dont l'activité sur-réagit à la baisse quand l'économie stagne ou régresse, sur-performe fortement en cas de reprise ; dans le résidentiel et le tertiaire, une légère croissance ou une stabilisation ; et dans l'industrie une décroissance à la fois pour de très mauvaises raisons (fermetures d'usines métallurgiques, de raffineries de pétrole, baisse de la production …) et grâce à un effort important de productivité des entreprises.
Mais l'efficacité énergétique de l'industrie, comme celle des particuliers ne connaitra pas une croissance sans fin apparente comme nous le constatons pour le secteur de la communication. Pour ne donner que deux exemples, l'usine Georges Besse-2 d'enrichissement de l'uranium a fait gagner la production de un à deux réacteurs nucléaires. On ne fera pas beaucoup mieux. Et chacun peut comprendre qu'après avoir gagné 40% sur son électricité de cuisson grâce aux plaques à induction, on est proche de la limite. La baisse de 20% de consommation d'énergie en 2020 est donc irréaliste à moins de passer à un régime très autoritaire ou/et de réduire drastiquement le niveau de vie des Français. Non seulement la population française augmente de 1% par an, mais le pays tente de rattraper son retard en voulant construire 500.000 logements par an, et la quasi-totalité de la population souhaite une amélioration de sa situation, estimant qu'un revenu médian français de 1.630 euros par mois est très insuffisant.
De son côté, même si la baisse prévue de la consommation d'énergie était faisable, la réduction de la part du nucléaire à 50% en 2025, et donc la fermeture d'une vingtaine de réacteurs nucléaires en dix ans n'est pas crédible. En particulier elle augmenterait très fortement le contenu carbone de l'électricité française. La réalité du monde de l'énergie faite de béton, d'acier, de cuivre et de lignes électriques à construire à travers la France n'a rien à voir avec les mondes virtuels d'Internet. Distribuer une nouvelle version de logiciel à dix millions de smartphones se compte en jours ; mettre en place des parcs de centrales, même éoliennes, et des réseaux, en décennies comme le constatent les Allemands.
Souhaitables ?
La production massive d'énergies solaire ou éolienne est techniquement faisable puisque ces technologies sont déjà opérationnelles sinon matures pour le solaire. Mais aucune des nouvelles méthodes de production disponibles n'est actuellement compétitive en France avec les énergies existantes (hydraulique, nucléaire, pétrole, gaz, charbon). Leur surcoût complet (y compris les effets de l'intermittence) varie d'un facteur 3 (éoliennes terrestres) à 6 (solaire, éoliennes marines), et est financé par des subventions payées par les consommateurs. Une charge difficilement supportable pour notre pays. Le pouvoir d'achat des Français baisse déjà depuis la crise, d'après l'OFCE, de 1.750 euros par ménage de 2011 à 2015.
Dans une telle période, l'augmentation du prix de l'énergie, des taxes et des coûteuses contraintes règlementaires est inadmissible pour la plupart des Français et la précarité énergétique deviendrait incontrôlable. La taxe la plus connue est la contribution au service public de l'électricité, déjà dix milliards par an pour la prochaine décade, enclenchée par l'option de diminuer de 25% la part du nucléaire au profit d'énergies intermittentes ne se développant qu'à l'abri d'obligations d'achat à prix exorbitants. Mais il en existe d'autres comme la taxe carbone et la taxe contribution énergie climat sur les carburants de 4 centimes d'euros par litre, passées inaperçues grâce à l'effondrement du prix du pétrole, mais qui seront toujours là même quand leurs prix remonteront [2]. Et aussi le coût de la bureaucratie des certificats d'économie d'énergie, celui des ampoules dites vertes, imposées, même lorsque leur utilisation ne dégage aucune rentabilité, celui des agrocarburants incorporés à l'essence et au diesel, celui du méthane issu de la méthanisation [3].
De même, la loi est pleine de bonnes intentions en ce qui concerne l'isolation des logements. Mais parce que ces travaux ne sont pas toujours rentables, ils doivent eux-aussi être subventionnés par l'État. Dans cette catégorie, la norme de construction RT2012 qui favorise le chauffage aux combustibles fossiles aux dépens de l'électrique, et surtout des pompes à chaleur qui offrent une énergie à contenu carbone quatre fois inférieur à celui du gaz, constitue un mystère bureaucratique. La relance du secteur de la construction appelle une toilette sévère des réglementations.
Ces charges pèsent sur les particuliers mais aussi sur les entreprises, l'État et les collectivités locales, détournant les capitaux disponibles des investissements rentables vers des investissements parfois utiles mais jamais rentables. L'idée que la France pourrait entrer dans une nouvelle phase de croissance et de prospérité en mettant en œuvre par la contrainte des technologies moins efficaces que les précédentes, est inimaginable. Cela ne s'est jamais produit, pas quand la vapeur a remplacé la force animale, ni pour le chemin de fer, l'électricité, le moteur à explosion, l'électronique, la révolution verte agricole ou la médecine scientifique.
Donc l'essentiel des gains d'émissions d'ici 2050 se fera en développant l'utilisation des énergies décarbonées opérationnelles et rentables dont le nucléaire. "Il faut bâtir de nouvelles centrales nucléaires" a déclaré Ségolène Royal le 13 janvier 2015, dans un entretien publié par le magazine Usine Nouvelle. Après sa condamnation de « l'écologie punitive », cela fait espérer que les centrales existantes, dont Fessenheim, seront maintenues en production tant qu'elles seront certifiées par l'indépendante et rigoureuse Autorité de Sûreté Nucléaire, et que leur exploitant jugera qu'elles sont économiquement performantes.
Le risque politicien
La mise en œuvre de la loi sur la transition énergétique entraînerait des charges financières considérables (en dizaines de milliards d'euros par an). Des dépenses qui risquent d'être motivées par des considérations strictement politiciennes [4] : gagner les prochaines élections, servir de marqueur au quinquennat et flatter l'ego des négociateurs. Contrairement à ce qui se passe pour l'attribution des jeux olympiques, du mondial de football ou de l'exposition universelle, la France n'a eu aucun mal à se voir attribuer la responsabilité de la conférence mondiale sur le climat de décembre 2015 : elle était la seule candidate. Son organisation coûte pourtant apparemment beaucoup moins cher que celle des autres manifestations. Mais au final sa charge peut être beaucoup plus lourde. Classiquement, une pression psychologique pèse sur le responsable de toute négociation : s'il est en position de le faire, il finit souvent par prendre à sa charge une part excessive des charges du compromis, voire de nous décrédibiliser par des promesses intenables. Pourquoi ? Pour que la négociation aboutisse et qu'il en retire le prestige. C'est le cas dans les négociations sociales ou financières courantes. C'est pourquoi, il est beaucoup plus efficace de confier la responsabilité de la négociation à un professionnel ou à un tiers non impliqué dans l'affaire. Confier le job à un fonctionnaire de l'ONU ou à une personnalité indépendante qualifiée aurait été beaucoup plus prudent que de mettre nos ministres aux commandes. S'ils s'engagent sur des objectifs irréalistes ou sur des aides financières excessives, c'est nous qui devrons honorer leurs promesses, sans que nous ou nos élus ne soyons consultés.
Conclusion
Pour réduire la production de gaz à effet de serre, de nombreuses pistes existent pour le faire en France à un rythme raisonnable, compatible à ce que feront les pays étrangers (il vaut mieux rouler en tête du peloton que de réaliser un numéro solitaire). En 2015 on sait continuer à améliorer les processus industriels et les performances des moteurs à explosion, remplacer le pétrole par le gaz, développer la voiture et le chauffage électriques, perfectionner les centrales nucléaires existantes et nouvelles [5], isoler les bâtiments et utiliser les richesses dont Dame nature a fait cadeau à la France, la biomasse et l'hydraulique, quand c'est rentable. Au lieu de consacrer des dizaines de milliards par an à déployer des productions d'énergies renouvelables intermittentes inefficaces, il serait plus utile de consacrer des milliards à la recherche pour améliorer toutes nos technologies. La France est déjà le pays industrialisé premier de la classe, pour la limitation de ses émissions de gaz à effet de serre, en grande partie grâce à son programme nucléaire, à son potentiel hydraulique important et à son efficacité énergétique (parc de voitures économes, habitudes de relative frugalité, climat tempéré). Elle a déjà dépassé l'Allemagne pour la proportion d'énergies renouvelables dans le mix énergétique. Connaissant les résultats catastrophiques du plan de transition énergétique de notre voisin (Energiewende) et l'abandon brutal du nucléaire, pourquoi l'imiter ? En revenant aux réalités, et en construisant un consensus national sur ce projet, nous pourrons poursuivre dans les prochaines décades des réductions de nos émissions de gaz à effet de serre de l'ordre de 30% à l'horizon 2050, en stimulant les efforts d'autres pays, tout en sauvegardant le pouvoir d'achat des ménages notamment des plus modestes et la compétitivité de nos industries. Il aura fallu conjuguer l'écologie et la raison, c'est possible !
Jacques Peter et Philippe François
[1] Point sur, N° 192, juillet 2014, Le bilan énergétique de la France en 2013 : une hausse de la consommation qui en masque la baisse continue.
[2] Ces augmentations ciblées pourraient être justifiées par un but pédagogique, mais devraient être compensées par des baisses équivalentes d'autres prélèvements obligatoires, comme cela était prévu en 2007, mais la méthode choisie avait été refusée par le Conseil constitutionnel.
[3] La méthanisation telle qu'elle apparaît dans le premier bilan normand consomme 30% de maïs tendre et 70% de déchets afin de traiter le lisier. Le coût de revient de l'électricité et du gaz qu'elle produit étant élevé, cette filière doit être subventionnée. Les agriculteurs estiment que, pour être compétitifs, ils doivent bénéficier de cette aide dont profitent déjà leurs concurrents allemands qui utilisent presque 100% de maïs dans leurs méthaniseurs.
[4] Même si les responsables politiques précédents ont pu constater qu'ils n'en tiraient finalement aucun avantage.
[5] La plupart des centrales nucléaires françaises sont dérivées techniquement (et en principe améliorées) de celles des États-Unis qui ont décidé de faire fonctionner les leurs pendant 60 ans, contribuant à un très faible coût de l'électricité.