Ils ont perdu la raison, le livre de Jean de Kervasdoué
Militant. Déçu. Trahi. Révolté. Engagé. C'est ce parcours qui a conduit Jean de Kervasdoué à rédiger ce nouveau livre. Les sujets traités : OGM, diesel, énergie, nucléaire, santé, pesticides, sont divers, mais son message est constant : le pays de Descartes mérite plus de rationalité, moins d'émotion, le respect des données factuelles et le rejet des manipulations, même pavées de bonnes intentions.
Le petit Breton qui a vu sa maman pleurer, en 1948, parce qu'elle avait égaré un ticket de rationnement de pain, est bien placé pour mesurer les bienfaits apportés depuis par le progrès. Dans tous les domaines - nourriture, éducation, logement, santé ou loisirs – le monde de 2014 n'a rien à voir avec celui de son enfance.
Ingénieur agronome puis expert en économie de la santé, l'auteur a aussi été haut fonctionnaire (directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins au ministère de la Santé en 1983), puis entrepreneur et enseignant-chercheur. Les six sujets qu'il traite sont divers sans lui être étrangers. Mais un des aspects très intéressants de ce livre est qu'il fournit ses sources et montre que tout "honnête homme" de bonne foi, d'esprit curieux et disposant d'un accès internet, peut arriver aux mêmes conclusions, ou les vérifier.
Diesel
C'est le cas avec les données sur la mortalité causée par ce carburant, toutes facilement accessibles. Le chiffre de 44.000 morts prématurées par an a été évoqué, lié selon les sources soit au diesel soit aux particules fines en général. La notion de « prématuré » est déjà très floue, mais l'auteur montre que ce nombre est incohérent. Environ 33.000 personnes décèdent de maladie du poumon et 30.000 de tumeurs du larynx, de la trachée et poumon, la très grande majorité étant dues au tabac ! Des études citées par l'auteur et disponibles sur Internet, soit françaises de l'INSERM soit européennes, indiquent des chiffres de 1.000 à 3.000 décès dus aux particules fines produites en partie par le diesel.
Institut national du cancer (INCA France)
« L'interprétation du niveau de risque des émissions diesel vis-à-vis du cancer en population générale reste toutefois complexe, car les études qui ont permis d'objectiver le lien de causalité entre particules diesel et cancer chez l'homme portent exclusivement sur des expositions professionnelles, et dans des conditions de travail qui ne devraient plus persister actuellement. »
Note disponible sur le site du ministère du développement durable.
La prudence de l'INCA tranche avec les positions catégoriques des responsables politiques. L'étude qui avait créé l'émotion initiale concernait des ouvriers qui travaillaient à longeur d'année au fond d'une mine à côté d'un compresseur diesel : on veut bien croire que cette situation était tout à fait nocive.
OGM
C'est son engagement à gauche de longue date, d'abord à la base, puis comme conseiller scientifique des dirigeants, dans un parti qu'il estimait être celui des lumières et du progrès, qui a convaincu Jean de Kervasdoué de ne pas rester silencieux : « La déroute de la pensée », « Une peur et une ignorance entretenues », « La filiation de Jaurès interrompue ». À droite, au centre ou à gauche, de nombreux citoyens sont choqués par la désinformation qui entoure ce sujet et inquiets de voir notre grand pays agricole prendre du retard sur les autres, et être perçu comme rétrograde à l'étranger. Mais l'auteur ressent en plus l'attitude des responsables de son ex-parti comme une trahison. Ses arguments : les centaines de millions d'hectares cultivés en OGM dans le monde, les millions de tonnes d'OGM consommés par les animaux sans provoquer de problèmes, les deux décennies d'expérience, plus ses explications plus théoriques mais de base sur les gènes dormants.
Santé
L'auteur étant un expert de ce thème, il y consacre un chapitre décrivant les nombreuses tares du système de santé actuel. Dans un précédent livre, L'hôpital au pied du lit, il avait eu l'honnêteté de décrire ce que ressent un ancien directeur des hôpitaux, même reconnu comme tel, quand il est hospitalisé par surprise comme simple malade : délais, multiplications d'actes inutiles, absence de communications, etc. En 2014, ces problèmes n'ont pas disparu mais Jean de Kervasdoué a choisi de traiter surtout des conséquences des agendas politiques, très liés aux émotions populaires, qui perturbent toute véritable réforme du système de santé français. Il transparaît que l'ancien directeur des hôpitaux est partisan d'une administration directe et ferme de ce secteur par l'État. Ce n'est pas la conviction de la Fondation iFRAP qui plaide pour la séparation des différents rôles. Il est dommage que les expériences allemande et hollandaise soient rapidement condamnées au prétexte que le système hollandais de concurrence a subi des accrocs ces deux dernières années.
Les scientifiques apaisés mais désengagés
L'auteur consacre un chapitre au mode de développement de la science au XXIème siècle. Malgré la vivacité de la compétition, il la décrit comme relativement apaisée : les théories et les expérimentations se confrontent au niveau mondial pour aboutir à un consensus après plusieurs allers et retours. Mais si aucun Galilée n'est plus condamné, le sensationnalisme entretenu par des chercheurs avec la complicité de certains media lui semble inquiétant. Le cas Séralini récent (cancers des rats aux OGM) qu'il décrit est frappant.
A ce point, on aurait pu attendre que Jean de Kervasdoué tire en plus la sonnette d'alarme. Les scientifiques et leurs débats sont peut-être « apaisés » comme il l'indique, mais ils semblent même « retirés » des débats qui agitent la société. Si la science est mal considérée, au point que le nombre d'étudiants en science diminue, n'en sont-ils pas largement responsables ?
Conclusion
L'expérience du précédent livre de Jean de Kervasdoué, Pour en finir avec les histoires d'eau, tend à renforcer la confiance qu'on peut faire à ses analyses : contrairement à ce prédisaient les oiseaux de mauvais augure, les gigantesques nappes phréatiques françaises, loin de se vider définitivement, sont à nouveau pleines. Et au lieu d'être source de guerre, Israël, la Jordanie et l'autorité palestinienne ont signé un accord de partage de l'eau.
Pour débuter son livre, l'auteur nous rappelle les ravages de la propagande dans un pays qu'il semble avoir connu : l'Albanie où les habitants se croyaient protégés alors qu'ils vivaient dans la misère et sous un régime de terreur. Son message est clair : à chacun de nous d'affuter son esprit critique et de s'informer.
Pollution de l'air ou des esprits ?
Jean de Kervasdoué ne traite pas de l'interdiction totale des feux de bois (cheminée avec ou sans insert) notamment à Paris. Un sujet marginal, mais qui confirme son diagnostic. Les données les plus fantaisistes circulent sur la pollution créée par les flambées occasionnelles des habitants d'Ile-de-France : autant que toute la circulation automobile, pour certains ! L'UFC que choisir a montré l'incohérence de ces données et les différences considérables d'évaluation entre la DRIRE et Airparif, association pourtant très pointilleuse sur la qualité de l'air à Paris. Fin 2015, il faudra faire une évaluation de cette mesure, et revenir en arrière si ce type de pollution n'a pas fortement baissé.
Georges Pompidou, 1966 : Arrêtez d'emmerder les Français