Confusion sur l’avenir de l’agriculture française
Au chevet de l’agriculture française, les administrations sont nombreuses. En décembre 2015, trois d’entre elles ont émis des diagnostics différents sur son cas : la Commission des comptes de l’agriculture (CCAN), les SAFER et le Conseil d’analyse économique (CAE). Une cacophonie inquiétante pour un patient en crise.
La plus optimiste, la CCAN, a annoncé une augmentation surprise de 16% du revenu moyen par agriculteur non salarié pour 2015[1]. Satisfaites aussi, les SAFER réunies en congrès annuel se sont félicitées de la croissance de leur chiffre d’affaires de 6% et ont réclamé plus de pouvoirs. Plus alarmiste, le CAE a publié un rapport soulignant la « contre-performance de l’agriculture française » et dramatisant la situation avec : « Agriculture, l'heure des choix ».
Les principaux intéressés, les agriculteurs, sont plutôt d’accord avec le CAE et ont vivement protesté contre les chiffres de la CCAN. En 2015, ils ont vécu une année de crise pour les producteurs laitiers, les éleveurs de bovins, de porcs et de volaille. Même les cours des céréales ont poursuivi leur baisse et sont très en dessous des sommets de 2012. Les manifestations du printemps et du début de l’été ont été les plus importantes et les plus violentes depuis longtemps, et les 700 millions de subventions décidées en catastrophe par l’État montrent la profondeur de l’impasse où se trouve toute une partie de notre agriculture. Ces nouvelles aides (report d’échéance, annulation de cotisations sociales, nouveaux prêts) strictement de circonstance, ne traitent aucun des problèmes de fond et sont contestées par Bruxelles. En ce début d’année 2016, la crise « perdure » d’après le ministre de l’Agriculture, et face au nombre de faillites, la FNSEA demande un plan de reconversion pour les agriculteurs concernés. Une mesure inévitable après des années de politiques volontaristes mais irresponsables, d'installation de jeunes agriculteurs dans des conditions économiques intenables.
CAE :
« Comment expliquer les contre-performances de l’agriculture française ? »
"Placé auprès du Premier ministre, le CAE (Conseil d’analyse économique) réalise, en toute indépendance, des analyses économiques pour le gouvernement et les rend publiques. Il est composé d’économistes universitaires et de chercheurs reconnus." |
L’étude du Conseil d’Analyse Économique ne porte ni sur les importants atouts structurels de notre agriculture, ni sur les problèmes actuels de ce secteur (perte de compétitivité et de parts de marché, faiblesse des revenus de la grande majorité des agriculteurs), mais s’en tient à l’objectif annoncé par son titre, les causes de cette situation. Une méthode exemplaire, trop de réformes étant décidées sans avoir identifié la véritable racine du problème.
Causes
Le premier point mis en avant par le CAE est « Une prédominance des petites structures ». En France, sur les 450.000 exploitations, les 150.000 dites « petites » sont si petites qu’elles ne peuvent pas être considérées comme des exploitations, et sont généralement exclues des statistiques. Les 150.000 « moyennes » sont en moyenne « petites » et les « grandes » sont le plus souvent « moyennes ». Tout en indiquant que ce sujet est contesté et que de petites exploitations peuvent être rentables, tout le raisonnement du CAE plaide pour que les exploitations qui le souhaitent, en ont besoin et en sont capables, puissent s’agrandir en surface ou en capacité (ex cheptel). Cette position est argumentée et justifiée notamment par l’importance des coûts fixes et par la multiplicité des nouveaux rôles à remplir sur une exploitation (technique de production, stockage/vente, responsabilité écologique, management).
Trois autres causes, « Le progrès technique en berne », et « Un capital humain hétérogène », « Des filières moins bien coordonnées qu’en Europe du Nord » mises en avant par le CAE sont, à notre avis, liées au problème précédent : la diffusion des innovations, la coordination avec les industriels qui ont besoin de quantités importantes et de régularité, et le recrutement de personnels correspondants au niveau de qualification requis au XXIe siècle, sont en général plus difficiles dans de petites structures.
Le CAE questionne aussi un autre point sensible, en partie lié à la taille, « Des stratégies de compétitivité hors prix contestables ». Le CAE y remet en cause l’espoir que toute l’agriculture française pourrait vivre sur des créneaux prestigieux comme les meilleurs fromages ou les vins de Bordeaux. D’une part les infinies variétés de nos produits sont rapidement incompréhensibles pour les étrangers, et d’autre part le gros du marché porte sur des produits de qualité, mais standardisés. Le CAE cite par exemple le cas du steak haché dont la part dans la consommation de viande bovine est passée de 5% en 1975 à 45% en 2015, et celui des fromages allemands dont le chiffre d’affaires à l’exportation est supérieur à celui de l’ensemble des nos fromages.
Enfin, plus classique, les « Règlementations et coût du travail » sont des problèmes bien connus et généraux pour toutes nos entreprises agricoles ou pas.
Propositions
L’article fondateur du CAE[2] se limitait à identifier franchement les causes du problème sans traiter des solutions. Les propositions contenues dans la note officielle du CAE[3] s’éloignent curieusement des causes, et notamment de la première. Les recommandations débutent par « Préserver le capital naturel ». La plupart des autres recommandations sont dans la même tonalité : techniques de régulation biologique, traçabilité, absence d’antibiotique, subventions selon les externalités, formation, recherche. Des idées sympathiques et un appel à l’agro-écologie chère au ministre de l’Agriculture mais peu opérationnelles pour résoudre nos problèmes urgents : aucune étude n’a d’ailleurs montré que nos pratiques écologiques sont moins bonnes que celles de nos concurrents européens. Le sujet de la taille des exploitations est abordé au détour de la cinquième recommandation de façon particulièrement feutrée par « Ne pas pénaliser, a priori, l’agrandissement des structures ».
SAFER :
« La régulation foncière joue un rôle dans la compétitivité des exploitations agricoles »
Face à la crise agricole de 2015, ce thème de la compétitivité était particulièrement bien choisi pour ce congrès du cinquantième anniversaire de la FNSafer de décembre 2015. Mais malgré l'urgence, ce sujet n'a pas été évoqué et aucune remise en cause des pratiques des SAFER n'a été envisagée au cours de cette réunion. Leur principal projet est d'accentuer leur lobbying auprès des resposnables politiques pour renforcer leur pouvoir d'intervention sur les parts de sociétés, souvent les plus grandes exploitations : "Il s’agit d’un nouveau chantier ambitieux, pour lequel la FNSafer déploiera la même stratégie de lobbying que pour la Loi d’Avenir."
Une orientation étrange alors que le rapport « Étude des structures agricoles en France et dans l’UE » présenté par le très officiel Institut national de la recherche agronomique (INRA) au cours de ce congrès des SAFER, montre la gravité du problème de la faible taille de nos exploitations. Même les 150.000 grandes exploitations françaises ont un potentiel de production inférieur, voire très inférieure à celui de ses grands concurrents d’Europe de l’Ouest (Danemark, Suède, Pays-Bas, Italie, Allemagne) et d’Europe de l’Est (Slovaquie, Hongrie, Roumanie). Un fait particulièrement inquiétant alors que l'agriculture de ces nouveaux pays monte en puissance rapidement maintenant qu’ils adoptent des modes de production modernes.
L’étude de l’INRA montre ensuite qu’une des causes de ce médiocre potentiel économique, est la faible intensité capitalistique des exploitations françaises. Une situation anormale dans le pays d’Europe le plus grand et le plus favorable à l’agriculture.
Conclusion
Les politiques publiques et syndicales françaises en faveur du nombre d’exploitations plutôt que de la réussite des exploitations, ont conduit à cet écart croissant entre notre agriculture et celle des pays voisins. En possession de ces données, il est étonnant que le lien entre sur-régulation de notre agriculture et sa sous-performance n’ait pas été au moins discuté dans le rapport du CAE et au cours de ces deux jours de congrès de la FNSafer.
Les problèmes de l’agriculture française sont clairement identifiés et les solutions aussi. La sélection des "bons" agriculteurs et des "bons" projets agricoles par des administrations (SAFER, Contrôle des structures, Préfectures, Syndicats) ne peut conduire qu'à ces échecs. Comme dans les autres secteurs de l’économie française, elle a besoin de moins d’administration, moins de corporatisme et plus de liberté. Cela a été fait pour les télécommunications, les autocars et les taxis, pourquoi pas pour l’agriculture ?
[1] Devant les protestations soulevées par ces chiffres, le ministère de l’agriculture a renoncé à publier les données détaillées par secteur pour avoir le temps de les vérifier.
[2] Focus N° 010-2015 de Jean-Christophe Bureau, Lionel Fontagné, Sébastien Jean
[3] L’agriculture à l’heure des choix de Jean-Christophe Bureau, Lionel Fontagné, Sébastien Jean