Cheminots : quelle attitude face au changement ?
Confrontés à un changement irrémédiable d’environnement économique, les syndicats de cheminots n’ont que 2 choix possibles : accompagner l’entreprise dans sa transformation ou lutter pour la défense du monopole historique, au risque de tout perdre.
Mardi 10 mars, la CGT a appelé à la grève contre la réforme ferroviaire. Ce mouvement pour cesser le travail a été suivi par seulement 10% des salariés de la SNCF selon la direction. La CGT avait choisi ce jour de consultation du comité central d’entreprise sur la réforme pour rappeler aux cheminots que la stratégie mise en œuvre par la direction de la SNCF implique des suppressions de postes sous statut, des fermetures de lignes et des gels de salaires, le président de la SNCF, Guillaume Pépy ayant récemment déclaré vouloir s’attaquer à la productivité à la SNCF. Le syndicat de Montreuil réclame au contraire des hausses de salaires et la défense d’un certain nombre d’avantages sociaux (dont le très coûteux régime spécial de retraites). La CGT cheminots se place ici sur une ligne dure, traditionnelle, qui n’accepte pas le vote de la réforme ferroviaire de juin 2014 pour mettre en conformité avec Bruxelles l’organisation de notre système ferroviaire.
Une mise en conformité qui s’est pourtant accommodée de quelques arrangements avec les principes européens puisque :
- La séparation entre gestionnaire de réseau et opérateur ferroviaire voulue par les textes européens s’est traduite en France par la constitution de deux filiales (SNCF-Réseau, SNCF-Mobilités) sous la tutelle d’une structure faîtière, un EPIC de tête, mais dirigé par les deux présidents des filiales ;
- Les murailles de Chine que l’on pouvait attendre d’une telle séparation se sont au départ révélées assez poreuses (notamment la gestion des gares ou encore du système informatique) et ce n’est que sous la pression de l’ARAF et de son président Pierre Cardo que les choses se sont éclaircies au prix d’une organisation assez technocratique ;
- Enfin, la mise en œuvre du 4e paquet ferroviaire qui devait achever l’ouverture à la concurrence dans le transport de voyageurs fait l’objet d’atermoiements devant le Parlement européen, un certain nombre de blocages politiques se faisant jour de la part des États pour reculer la date effective d’ouverture et défendre leurs opérateurs historiques.
En contreparties, et pour faire passer sa réforme, le gouvernement s’était engagé vis-à-vis des syndicats :
- pour un contrat cadre État-SNCF assurant la cohérence et l’unité stratégique, industrielle et économique entre la SNCF et RFF ;
- pour l’affirmation du caractère "non séparable" des futurs établissements ;
- pour la création d’un comité central d’entreprise unique représentant les salariés ;
- pour le maintien du recrutement au statut de cheminot et l’arrêt des embauches de salariés qui relèvent du droit privé ;
- pour l’obligation d’un rapport sur le traitement de la dette, présenté au Parlement et de possibles nouvelles sources de financement destinées aux infrastructures de transport ferroviaire.
Ces concessions ont-elles été suffisantes pour faire accepter la réforme à une majorité de cheminots ? Si le mouvement de grève a été peu suivi peut être est-ce aussi à cause d’une certaine prise de conscience que le modèle ferroviaire est en train d’évoluer et que la SNCF doit de toute urgence s’adapter au changement d’environnement économique au risque sinon de sombrer.
- Lorsque la SNCF augmente ses tarifs, elle est pointée du doigt par la ministre de l’Environnement qui tacle un mauvais signal pour l’environnement et lui demande de rester un acteur du transport de masse. Mais également par les fédérations d’usagers qui lui reprochent de fermer des lignes et de ne conserver que les portions de réseau les plus rentables du territoire ;
- Quant à développer de nouvelles capacités, la SNCF ne peut le faire aujourd’hui sans faire participer les collectivités, elles-mêmes sous la pression de la baisse des dotations. Le meilleur exemple est la bagarre qui est en train de se dérouler autour de la construction de la LGV Tours-Bordeaux. Les péages nécessaires pour amortir les frais de construction (30 millions d’euros le km dans le cas de la LGV Tours-Bordeaux) sont si élevés que l’opérateur ferroviaire ne peut rentabiliser l’exploitation qu’en réduisant la fréquence et les dessertes qu’aux sillons les plus rentables, ce dont les collectivités co-financeuses ne veulent pas entendre parler, au nom de l’aménagement du territoire et de la défense du service public. C’est l’impasse économique du « tout grande vitesse ». À propos de la ligne Tours-Bordeaux, Le Figaro du 12 mars indique « cette nouvelle LGV se traduira par une perte de 100 à 200 millions par an pour la SNCF ». « Nous perdrons indéfiniment de l'argent sur cette ligne », résume Rachel Picard, la directrice général de Voyages SNCF qui comprend l'activité TGV de la SNCF ;
- C’est la raison pour laquelle la Cour des comptes somme la SNCF de revoir sa coûteuse politique de lignes à grande vitesse ou lui propose de remplacer les trains d’équilibre du territoire lourdement déficitaires par des lignes d’autocars. En clair, la Cour des comptes réclame des économies à la SNCF n’hésitant pas à rappeler que chaque année le système ferroviaire bénéficie de 13 milliards d’euros de subventions publiques ;
- Idem, pour les transports régionaux. Les régions ne veulent plus payer les yeux fermés pour des conventions dont elles ne sont pas satisfaites (coût, ponctualité, dessertes). Elles sont de plus en plus nombreuses à réclamer des audits des prestations de la SNCF. Les futures régions qui seront encore plus puissantes vont de surcroît récupérer la compétence transport des départements, à savoir le transport interurbain pour lequel des délégations de service public pouvaient être confiées par convention y compris à des opérateurs privés ;
- Acculée par un endettement phénoménal de 44 milliards d’euros, la SNCF doit pourtant investir pour assurer au minimum l’entretien et la rénovation des voies, dont le problème est devenu patent depuis l’accident de Bretigny. Notons d’ailleurs que les syndicats de cheminots ont longtemps associé privatisation et insécurité ferroviaire au Royaume-Uni et que depuis le dramatique accident francilien, on découvre que le statut public n’a en rien protégé d’une très grave défaillance de son réseau entraînant une vraie remise en cause des process de sécurité de l’entreprise.
La SNCF a longtemps pensé qu’elle pourrait bénéficier de la concurrence à l’étranger en verrouillant le marché français. Une attitude qui évitait toute remise en cause, notamment sur le front syndical. Cette défense du monopole SNCF s’est faite en mélangeant dans la plus grande confusion transport public, missions publiques et statut public. Mais comme le rappelait déjà sévèrement le Sénat dès 1996 « La SNCF n’est pas un service public dont l’accès doit être offert à chacun, quelle que soit sa situation sur le territoire… » il existe seulement des missions de service public, missions qui sont limitées :
- Elles concernent essentiellement les tarifs sociaux ;
- Les lignes d’intérêt national ou régional, trains d’équilibre du territoire, liaisons qui sont fortement déficitaires.
La présentation des choses est différente sur le site de la SNCF. Sur la page nommée « Notre mission de service public » il est dit qu’ « En tant qu'entreprise publique, le cœur de notre mission est de déployer une mobilité fluide et de porte à porte partout et pour tous. » ; « Nous sommes fiers de notre statut public qui nous rend « pivot et architecte » d’une mobilité partagée. » Un peu plus loin sous le titre « Nos liens avec l’État », citant un professeur d’économie, « le transport ferroviaire a les attributs d’un monopole naturel, surtout en raison des coûts d’exploitation et d’infrastructure ». Voilà pourquoi l’État est son unique propriétaire.
Mais en s’abritant derrière la défense d’un monopole, la SNCF et les pouvoirs publics qui ont longtemps défendu une vision corporatiste du ferroviaire ont conduit à un positionnement anti-économique au point qu’aujourd’hui c’est tout le modèle qui vacille.
« Nous voulons financer ces « barbares » qui attaquent les modèles traditionnels pour favoriser la transformation profonde à l'œuvre dans l'économie française » Nicolas Dufourcq, directeur général de BPI France. Les Echos, 9 mars |
S’il est bien un domaine qui subit l’attaque de ces barbares c’est le transport de voyageurs. Citons entre autres les succès d’Uber, Blablacar, de Vélib et Autolib, le lancement de CapitaineTrain.com (site internet de réservation de billets de train, concurrent de voyagesncf) ou encore la Loi Macron qui a libéralisé le transport par autocar. Rien que sur les cars, la SNCF a reconnu dans la Tribune que cette libéralisation allait lui coûter 200 millions d’euros de pertes d’activité. Le site de covoiturage blablacar dont l’activité s’est envolée justement avec la grève de juin dernier contre la réforme ferroviaire, affiche l’équivalent d’1 million de clients mensuels soit l’équivalent de 2.000 rames de TGV. Il y a quelques années c’était le transport aérien low cost avec Ryan Air ou Easy Jet qui venait déjà bouleverser les usages sur le transport international et même domestique.
Bousculé par les innovations technologiques, réglementaires ou marketing, le secteur ferroviaire tente de s’abriter derrière la défense d’un monopole (fermetures de lignes, augmentation des prix). Mais cette ligne de défense est, on le voit bien, de plus en plus fragile. Il n’y a qu’à voir ce qui s'est passé dans le secteur des télécommunications ou de l’aérien pour envisager les changements auxquels la SNCF va être confrontée dans un avenir pas si lointain.