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Autocars : le ferroviaire résistera-t-il à la concurrence ?

La Loi Macron est en passe d’être adoptée. Les sénateurs ont défendu une vision très restrictive de la libéralisation des transports par autocars. Leur objectif : défendre les lourds investissements que les collectivités ont faits dans le ferroviaire depuis 2000. Mais si les dépenses sont si élevées c’est aussi parce que les régions n’ont pas cherché à négocier avec d’autres opérateurs que la SNCF. 

La loi Macron a été adoptée avec de substantielles modifications au Sénat la semaine dernière et devrait passer en commission mixte paritaire la semaine prochaine. Pas sûr que tout ce qui a été ajouté par les sénateurs, notamment contre l’avis du gouvernement, demeure dans la version finale, particulièrement les amendements à la partie sociale du texte. De même, les sénateurs, en tant que représentants des collectivités territoriales, ont tenu à encadrer plus strictement la partie concernant la libéralisation des services par autocars.

Rappelons qu’il s’agissait bien d’une libéralisation puisque l’objectif était de faciliter la mobilité interurbaine en France en proposant des services de transport entre les villes pour lesquelles aucune liaison rapide (ni ferroviaire directe, ni de transport collectif) n’existe pour l’instant ET de proposer, entre les villes actuellement desservies par des lignes ferroviaires, des services complétant l’offre, notamment ferroviaires, en proposant une combinaison de prix/service plus bas.

(Voir la toute dernière carte des réseaux de bus en France : http://www.goeuro.fr/bus/#/liaisons)

Mais cette libéralisation était mise sous condition de ne pas porter atteinte à un service public de transports. C’est ce qu’avait indiqué le texte initial : « Les entreprises de transport public routier de personnes établies sur le territoire national peuvent assurer des services réguliers non urbains. Toutefois, sur les liaisons infrarégionales qu’assure sans correspondance un service régulier de transport de personnes institué et organisé par une autorité organisatrice de transport (région[1]), cette autorité peut interdire ou limiter les services mentionnés qui portent une atteinte substantielle à l’équilibre économique du service public (après avis conforme de l’autorité de régulation). »

Au Sénat, un amendement déposé par Mme Estrosi-Sassone (UMP) a durci le texte: voir texte de l’amendement adopté.

L’amendement prévoit de porter de 100 à 200 km le seuil en dessous duquel une liaison exploitée par une entreprise de transport public de personnes doit être déclarée à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) qui doit en informer l’autorité organisatrice de transports  concernée qui peut décider de limiter ou d’interdire l’exploitation de la liaison.

Ce qui est intéressant c’est de relever dans l’exposé des motifs à l’amendement, les arguments mis en avant pour justifier ces limitations : le rehaussement à 200 km a pour objectif de protéger davantage les services de transport conventionnés, l’avis demandé à l’ARAFER est un avis simple (et non plus un avis conforme) afin de donner plus de latitude aux autorités organisatrices de transport pour limiter ou interdire l’exploitation d’une liaison, et la notion d’atteinte à l’équilibre économique est étendue : ainsi il y a selon le texte des « effets péréquateurs dans les contrats de service public » et si une liaison par autocar peut très bien ne « pas porter atteinte à l’équilibre d’une ligne de transport public qui est rentable, de moindres recettes porteront atteinte à l’équilibre du contrat de service public dans son ensemble. » Enfin, l’amendement prévoit que  l’autorité organisatrice pourra s’opposer à la multiplication des services librement organisés sur une même liaison, là aussi au motif que leur multiplication peut in fine compromettre l’équilibre économique d’un service conventionné.

Alors que l’esprit du texte visait une libéralisation du transport, c’est-à-dire le développement de l’offre avec des effets attendus en termes de mobilité, d’emploi, de pouvoir d’achat et de service, les mesures viennent rigidifier à nouveau ce marché.

Cette question peut paraître de l’ordre du détail : elle est pourtant toute symbolique. Tout comme le sont les déclarations politiques qui ont entouré la discussion. Les sénateurs socialistes se sont opposés en commission à ces modifications : considérant que cette série de mesures revient à priver la loi de tout effet (Alain Richard) et à tout paralyser (pour Nicole Bricq : « Autant dire que l’on refuse l’ouverture… »). De son côté, le député socialiste Gilles Savary avait déclaré lors d’une conférence : « 50 personnes c’est un train vide, et c’est un car plein », soulignant que la route a aujourd’hui fait plus d’efforts que le train pour s’adapter aux besoins des usagers.

Ce n’est bien sûr par l’avis des représentants des régions qui craignent une concurrence frontale entre les TER pour lesquels les régions dépensent en fonctionnement et en investissement (y compris de réseau) 3,3 milliards d’euros par an, soit leur premier poste budgétaire – comme le rappelle un communiqué de presse de l’association des régions de France (ARF)  présidée par Alain Rousset. Un investissement colossal au regard de la part du TER dans le transport de personnes (1,5% de l’ensemble des transports de personnes (tout compris : voitures, ferroviaire, aérien). À titre de comparaison le trafic de l’ensemble des TER de province représente seulement 80% du trafic de la seule région Ile-de-France. Sans compter que la part des dépenses couvertes par le client final est inférieure à 30%, ce qui laisse la différence pour la poche des régions[2]. Ce qui n’empêche pas les régions de vouloir à tout prix augmenter le nombre de voyageurs empruntant les TER, comme le Languedoc-Roussillon qui a lancé l’opération TER à 1 euro.

Le problème aujourd’hui est assez bien résumé par Jacques Auxiette, président de la région Pays de Loire au nom de l’ARF : « Partout où l’initiative privée peut satisfaire un besoin, les responsables que nous sommes considèrent qu’elle doit pouvoir le faire. Mais pas dans n’importe quelle condition, et c’est tout le problème. Nous voulons de la complémentarité et de la régulation. Il ne s’agit pas que l’initiative privée vienne déstabiliser une offre ferroviaire déjà affaiblie par la concurrence non régulée que représente le co-voiturage. » Soit, en clair, pas d’autocars si c’est pour déstabiliser le ferroviaire. 

Mais ce que les représentants des régions oublient de dire c’est que si aujourd’hui ils sont liés par les investissements importants qu’ils ont faits dans le développement du ferroviaire c’est aussi parce qu’ils ont défendu bec et ongles le monopole de la SNCF. Depuis 2000, et la loi SRU, les régions doivent passer des conventions avec la SNCF pour définir l’offre de transport régional. Et depuis longtemps maintenant elles se plaignent de ne pas en avoir pour leur argent, que le service se dégrade tandis que « l’inflation ferroviaire » c’est-à-dire l’augmentation des tarifs qu’elles doivent payer dérape : +3% par an[3], en raison du manque de productivité de la SNCF. Mais alors que les textes européens leur donnent la possibilité de passer des appels d’offres pour leurs conventions de transports ferroviaires, aucune d’entre elles ne s’en ait saisi. Elles ont parfois menacé de le faire mais au final, certaines d’entre elles renégocient avec la SNCF à l’occasion de l’arrivée à échéance de leurs  conventions et alors même que le transport ferroviaire de voyageurs sera théoriquement entièrement libéralisé en 2019[4].

Au lieu de cela, les régions auraient pu anticiper le mouvement, d’une part en poussant beaucoup plus tôt le mouvement d’ouverture à la concurrence dans le ferroviaire, ce qui leur aurait permis de dépenser beaucoup moins. D’autre part en faisant pression sur la SNCF pour libéraliser le transport par autocar, ce qui aurait sans doute encouragé l’activité et la création d’emplois mais n’aurait pas été - il est vrai - mis au crédit des régions. Dans un marché bloqué, c’est donc un autre acteur qui s’est progressivement imposé, le covoiturage, et qui a pris des parts de marché au transport ferroviaire. Et c’est peut-être déjà trop tard pour le ferroviaire, privé et public, qui même avec l’ouverture à la concurrence en 2019, aura pris trop de retard sur la voiture et l’autocar. À défendre le monopole public, c’est donc toute la filière ferroviaire, qui pourrait alors avoir eu à y perdre[5].


[1] Les départements étaient aussi autorités organisatrices de transport mais la loi NOTRe a confié cette compétence aux régions

[2] Même si elles reçoivent depuis les lois de décentralisation une compensation de l’État. En d’autres termes, le contribuable national subventionne le transport régional.

[3] Recouvre l’ensemble des coûts liés à la réalisation du service régional de voyageurs, dont principalement l’augmentation des coûts de maintenance et les revalorisations salariales au sein de la SNCF.

[4] Paradoxalement, un amendement sénatorial de Mme Estrosi-Sassone adopté met fin au monopole de SNCF mobilités à compter du 1er janvier 2019

[5] Il restera cependant un vrai marché pour le ferroviaire des transports dans les agglomérations fortement peuplées : Ile de France, Alsace, PACA, trafic ferroviaire des 50 km autour des grandes métropoles régionales.