Areva, PSA et les autres, des entreprises, oui ou non ?
Le Ministre des Finances vient d'annoncer solennellement devant l'Assemblée Nationale qu'il n'y aura aucun licenciement ni généralement de suppression de poste à Areva, et n'a pas craint d'élargir l'injonction à toutes les entreprises dans lesquelles l'Etat « se trouve en position d'actionnaire », en ajoutant que « l'emploi ne doit pas être une variable d'ajustement ». Une forme d'interventionnisme à condamner.
L'Etat détient 87% du capital d'Areva. En août dernier, il remplaçait son PDG historique, Anne Lauvergeon, et demandait à son directoire d' « accélérer les efforts de redressement de la rentabilité de l'entreprise ». Avec l'arrêt immédiat de centrales nucléaires en Allemagne et au Japon et le refus du nucléaire en Italie, cette filière est en péril. Elle va perdre de nombreux clients dans la fourniture de combustible nucléaire, dans le retraitement des déchets comme dans la construction de nouvelles centrales. L'entreprise doit absolument s'adapter, et comble de l'ironie la simple éventualité de l'arrivée de la gauche au pouvoir rend encore plus nécessaire cette adaptation. Areva bâtit donc un plan de restructuration, qui aboutit à une prévision d'au moins 2.700 emplois (sur un total mondial de 48.000). Et patatras…voici l'entreprise sommée de tout stopper, et soumise aux impératifs contradictoires de son actionnaire. Il n'est pas dans l'intérêt social, au sens juridique du terme, d'Areva de reculer les adaptations auxquelles la conjoncture prévisible la contraint. Personne n'est dupe de l'impératif électoral, et certainement pas les syndicats qui sont les premiers à relever le caractère inéluctable des adaptations. Mais le résultat est là, la situation à Areva est gelée parce que l'Etat, après avoir enjoint à Areva de redevenir rentable, décide d'instrumentaliser sa participation majoritaire dans le capital d'Areva, et ce contrairement aux intérêts de l'entreprise (voir encadré). Que va faire Areva de ces postes excédentaires, sinon en supporter inutilement la charge, au lieu de se tourner vers d'autres ambitions, et au lieu de préparer ses salariés à d'inéluctables reconversions ?
Il y a encore mieux, après celui de Renault, c'est le patron de PSA, dont, à la différence d'Areva, l'Etat n'est nullement actionnaire, qui a été convoqué à l'Elysée. Le résultat de l'exercice est d'ailleurs douteux, puisque PSA n'avait pas évoqué de plan social ni de licenciements [1], mais seulement des départs volontaires. Ce qui n'a pas empêché le Ministre des Finances d'annoncer haut et fort que PSA ne se livrerait pas à des suppressions de postes, ce qui n'est pas du tout la même chose. Ambiguïté qu'on attend de voir résoudre… [2]
Mais enfin, l'Etat s'applique lui-même, au nom de la nécessité d'adaptation, la règle du non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (parce que le statut de fonctionnaire interdit de parler de licenciements). Et il refuserait aux entreprises privées, et même à celles dans lesquelles, comme PSA, il n'est pas actionnaire, d'exercer le même droit, en les condamnant au même hypocrite et coûteux expédient du départ plus ou moins volontaire à la retraite ? Areva, PSA et les autres sont-elles ou non des entreprises autonomes soumises à une terrible concurrence mondiale ? Préférons-nous, par une politique de court terme, perdre à moyen terme les emplois des entreprises dont nous n'avons pas su maintenir la compétitivité ?L'histoire française est remplie de ces manifestations intempestives ayant souvent mené au désastre. L'économie administrée restera-t-elle ad perpetuum une spécificité française, toutes tendances confondues ? Voici enfin une affaire qui illustre les difficultés de la convergence européenne et particulièrement franco-allemande. Ce type d'interventionnisme n'existe pas outre-Rhin, où l'on se consacre à mettre en place un cadre économique, social et sociétal favorable au développement économique. Il suffit de lire les commentaires ironiques, parfois teintés d'exaspération (cf. Daimler chez EADS), que suscite chez nos voisins le mélange typiquement français et contradictoire d'interventionnisme étatique et d'acceptation des règles entrepreneuriales. Les déclarations de certains membres du gouvernement affirmant ne pas être gênées par d'éventuels licenciements dans les filiales étrangères, y compris allemandes, d'Areva, ne vont pas simplifier la compréhension mutuelle. Mais il est vrai que cette fois il sera facile de rétorquer que l'État allemand porte ici la responsabilité entière de la suppression de la filière nucléaire et de ses conséquences, forme maximale d'interventionnisme et de gouvernance souveraine. Affaire à suivre.
Un abus de pouvoir ?
L'article 242-6 du Code pénal punit d'emprisonnement et d'amende « le fait… pour le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme de faire, de mauvaise foi, des pouvoirs qu'ils possèdent ou des voix dont ils disposent, en cette qualité, un usage qu'ils savent contraire aux intérêts de la société, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. » L'État commet-il un abus de pouvoir ? Au sens pénal, non, puisqu'il n'agit pas de mauvaise foi ni à des « fins personnelles », mais dans l'intérêt jugé supérieur de l'État. Mais ce rappel a l'intérêt de souligner qu'une entreprise constituée sous forme de société anonyme obéit à des règles et à des intérêts qui lui sont propres.
[1] le droit français le lui interdirait d'ailleurs, PSA n'étant pas en perte au niveau du groupe mondial puisque telle est la condition exorbitante et anti-économique posée par les tribunaux.
[2] Il y a deux ans et demi, l'État avait prêté 6 milliards à Renault et PSA sous la condition de ne pas licencier. Ce prêt a été remboursé, et de plus PSA n'a pas de projet de licenciement stricto sensu. Mais surtout, quelle entreprise peut s'engager au-delà du court terme à ne pas adapter sa stratégie ? Et sur le fond, nous persistons à penser qu'une entreprise n'a pas vocation à prendre la place de Pôle emploi, sauf s'il est dans son intérêt propre de conserver des compétences qui, la crise passée, pourront être réutilisées, comme l'Allemagne l'a fait à juste titre dans le cadre du Kurzarbeit.