Livre : Le Labyrinthe, Jacques Bichot
Labyrinthe : réseau inextricable construit à dessein pour qu’il soit très difficile d’en comprendre le plan et donc d’en sortir. Un titre fort bien choisi par l’auteur pour décrire la situation dans laquelle de nombreux secteurs de la société française ont été cadenassés, notamment par les responsables politiques et les administrations. Voir l'ouvragre : Jacques Bichot, Le Labyrinthe : Compliquer pour régner. Editions les Belles Lettres.
Mais avant de plonger dans le vif du sujet, Jacques Bichot met d’abord en garde contre la confusion courante entre complexité et complication. Si certains domaines sont structurellement complexes (psychologie, recherche médicale, économie...), dans de nombreux autres, les complications sont artificielles et introduites à dessein par des organismes au premier rang desquels l’État : La complication au sens où nous l’entendons désigne une accumulation, due à l’action humaine de mécanismes et de dispositions dont la complexité n’a pas d’utilité du point de vue de l’intérêt général. Inutile de dire que l’auteur démontre un peu plus loin qu’en application de l’adage cherche à qui le crime profite, ces complications artificielles servent en réalité des intérêts particuliers.
Avec ses 37 régimes différents, le système de retraites français constitue un cas typique de complications artificielles. Injuste, opaque, déficitaire et très coûteux à gérer, il ne respecte pas les objectifs fixés en 1945 par le Conseil national de la Résistance. Et les mécanismes mis en place pour tenter de colmater les anomalies les plus visibles ne font qu’aggraver la situation. L’auteur traite par exemple de la compensation financière entre régimes, un mécanisme censé tenir compte des évolutions démographiques divergentes des différentes professions : la situation est si confuse qu’aucune suite n’a été donnée au rapport commandé par l’État sur ce sujet. Ces complications ont des conséquences très concrètes : six milliards d’euros par an de frais de gestion dont la moitié pourrait être économisés, et, en 2014-2015, des milliers de nouveaux retraités du Nord attendent des mois avant de percevoir leurs pensions. Mais cette situation perdure parce que les organisations professionnelles de retraites par répartition sont des lieux de pouvoir ; elles fournissent l’occasion à des syndicalistes ouvriers et patronaux d’exercer des responsabilités, d’occuper des fonctions honorifiques et de profiter de divers avantages.
Jacques Bichot traite dans ce livre de nombreux autres labyrinthes que celui des retraites : fiscalité des ménages et des entreprises, aides aux entreprises, normes, sécurité sociale, Europe, avec toujours des cas précis mettant en lumière le grotesque des complications instaurées par le système. Par exemple celui des frais professionnels de deux euros par jour, alloués de façon forfaitaire par un employeur à ses démarcheurs. Somme contestée par l’URSSAF, approuvée en Cour d’appel, mais condamnée par la Cour de cassation. Sur des sujets dont dépendent pourtant les projets à long terme des individus et des entreprises, quotient familial, impôt sur la fortune, impôt sur le revenu, impôts sur les sociétés, CSG, taux de la TVA, l’historique de leurs manipulations qu’en dresse l’auteur dépasse l’entendement. Même sur le Crédit impôt recherche généralement considéré comme positif et soutenu par la quasi totalité des partis politiques : Le CIR a constitué pendant plus de trente ans un merveilleux champ de traficotage pour les ministres, leurs cabinets et leurs services, et pour le Parlement. Cette inflation des normes et des lois se mesure très concrètement par la taille des documents administratifs : le recueil des lois de l’Assemblée nationale est passé de 433 pages en 1977 à 1067 en 1983, 2400 en 2003, et 3721 en 2004.
Pourquoi
Si la moitié de ce livre est consacrée à décrire la situation actuelle et son évolution depuis un demi-siècle, l’autre moitié s’attache à comprendre pourquoi, dans tous les domaines gérés par l’État, s’installe la gangrène de la complication inutile. Une analyse essentielle pour tous ceux qui veulent améliorer la situation. On aurait pu croire que, au mieux attachés au bien-être de leurs administrés, ou au moins soucieux de simplifier leur propres tâches, les politiques et les administrations tendraient à simplifier leurs procédures, mais le sous-titre du livre, Compliquer pour régner, explique la naïveté de cet espoir.
Diviser pour régner est bien connu, et le fait de multiplier à l’infini les catégories de taxes, de règles et de citoyens permet à l’État de se constituer des clientèles, même si les promesses faites aux uns et aux autres sont contradictoires. D’après l’auteur, ces mesures catégorielles sont surtout utiles pour arriver au pouvoir. Une fois au pouvoir, c’est compliquer pour montrer qu’on a du pouvoir qui motive les politiques et qui prend le dessus. A propos des aides fiscales à la construction (Scellier, Duflot, Pinel…) par exemple : Ce fatras d’avantages fiscaux représente la tentative dérisoire que font les hommes politiques régnants pour donner l’impression qu’ils gouvernent. Mais Jacque Bichot va plus loin et estime à propos de l’ISF : Ils ont agi en étant psychologiquement dans la toute puissance face à des sujets, et non des citoyens, sujets auxquels les maîtres de l’appareil d’Etat peuvent imposer leurs sautes d’humeur. C’est donc Compliquer pour dominer les citoyens. Mais Jacques Bichot va plus loin encore et montre que cet outil est aussi utilisé par l’administration face aux politiques. La complication revanche des techniciens montre comment les hauts fonctionnaires qui dirigent l’administration, connaissant les sujets beaucoup mieux que leurs ministres, pour se rendre en permanence indispensables, inventent, non pas un labyrinthe, mais des dizaines, chacun d’entre eux requérant un fil d’Ariane spécifique qu’il garde soigneusement par devers lui.
Le labyrinthe L’image globale du labyrinthe choisi comme titre de cet ouvrage évoque bien la complexité dans laquelle sont enfermés en France les citoyens, les salariés, les employeurs, les agriculteurs, les indépendants, les fonctionnaires ou les retraités. Mais Jacques Bichot poursuit l’analogie et montre comment chaque élément du mythe (Ariane et son fil, Dédale, Icare, Thésée, le Minotaure, Minos) correspond à une réalité actuelle des faiseurs de complications. Dédale, par exemple, représente le brillant haut fonctionnaire capable de trouver une solution technique à n’importe quel objectif même incorrect. Minos, est le responsable politique au pouvoir prompt à humilier en se comportant de manière grossière, en se moquant impunément de personnes qui n’ont pas les moyens d’exiger un traitement correct. |
Le secteur privé aussi
Si ce livre se concentre sur la principale source de complications, l’Etat, les collectivités locales et les organismes publics comme la Sécurité sociale, l’auteur juge que la tentation de la complication existe aussi dans les entreprises (notamment les banques), et les organismes sociaux paritaires, tous tentés de compliquer leur fonctionnement interne et leur relation avec leurs clients. Avec, à notre avis, une différence majeure : les entreprises n’étant pas éternelles, subissent régulièrement des retours à la réalité, parfois brutaux.
Conclusion
Le titre du dernier chapitre, Simplifier pour servir, indique la direction à prendre. Mais en soulignant que La complication est liée à la boulimie d’hommes de pouvoir qui entendent imposer leur volonté, et cela aussi bien dans le domaine des affaires, des entreprises que dans la sphère politique, Jacques Bichot montre que la simplicité ne surgira pas toute seule, et qu’il s’agit, pour les citoyens, d’un combat permanent.