Plans de relance : comment la France et l’Allemagne luttent contre la crise
Pour la première fois depuis 2011, l’Allemagne va s’autoriser un déficit budgétaire supérieur à 0,35% de son PIB. Pour cela elle met en pause son principe constitutionnel du « frein à l’endettement » qui lui a permis de générer des excédents budgétaires depuis 2015 pour un total de 48,7 milliards d’euros de réserve. A titre comparatif, c’est aujourd’hui ce que la France propose d’investir dans son propre plan de relance de l’économie (annoncé à 45 milliards d’euros, mais que la Fondation iFRAP estime déjà à 49 milliards d’euros).
Incontestablement aujourd’hui, l’Allemagne se retrouve, de par sa bonne gestion budgétaire passée, en capacité de soutenir bien plus massivement son économie en temps de crise. La banque publique allemande (KfW) pouvait déjà soutenir les entreprises à hauteur de 357 milliards d’euros, un plafond relevé aujourd’hui à 822 milliards d’euros : soit +465 milliards d’euros. En parallèle, l’Etat allemand va emprunter 156 milliards d’euros et augmenter ses dépenses publiques de 122,5 milliards. En face, la France prévoit, pour l’instant, une « relance » budgétée de 49 milliards d’euros, ce qui devrait creuser nos finances publiques avec un déficit plongeant à -96,4 milliards d’euros (estimation provisoire) en 2020, contre un prévisionnel de -54,6 milliards (soit un « creusement » de 41,8 milliards). La France soutient ses entreprises avec des garanties de prêts de 300 milliards d’euros. Evidemment ces montants sont évaluatifs et leur actionnement (notamment en garantie) dépendra de la capacité des entreprises à pouvoir rembourser leurs créanciers. Le différentiel Allemagne/France semble toutefois important alors que le PIB allemand est 1/3 plus gros que le PIB français (3.386 milliards en 2018 contre 2.353,1 en France). Les excédents allemands accumulés en haut de cycle donnent nécessairement plus de force financière et budgétaire à l’Allemagne pour contrer la crise.
Comparatif des deux plans de relance et de leurs impacts sur les finances publiques
France | Allemagne | |
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Dispositif de financement de l'activité partielle et du chômage | 5,5 Mds pour l’activité partielle : financés par l’Unedic dans la limite de 4,5 SMIC 8,5 Mds pour le financement d’un dispositif exceptionnel de chômage partiel budgété pour 2 mois | 3 Mds pour faciliter le recours des indépendants à la « sécurité de base » (minima sociaux et chômage) 7 Mds pour faciliter le recours des salariés à la « sécurité de base » (minima sociaux et chômage) |
Soutien aux entreprises mises en difficulté par le confinement ou l’épidémie | 1 à 2 Mds financés, pour mars, à hauteur de 750 millions par l’Etat et 250 millions par les régions pour corriger les difficultés liées au confinement Cela passera notamment par une indemnité de 1.500 euros forfaitaires « pour tous ceux qui ont perdu, entre mars 2019 et mars 2020, 70% de leur chiffre d'affaires » | 40 Mds pour un fonds d’urgence « bouclier Corona » pour soutenir les petites entreprises et les indépendants contre la faillite* Cela passera notamment par une aide allant de 9.000 à 15.000 euros pour 3 mois, pour les entreprises de moins de 10 salariés et les indépendants |
Prêts garantis par l’Etat pour les entreprises | 300 Mds de prêts garantis par l’Etat prévus déjà dans le cadre du PLFR(1) 2020 | 600 Mds vont être versés dans un fonds de protection pour les grandes entreprises contre les rachats Cela comprend 400 Mds de prêts garantis, 100 Mds pour les opérations sur titres et 100 Mds pour les programmes déjà adoptés à refinancer par la banque publique allemande (KfW) |
Prêts garantis par l’Union européenne | 1.000 Mds de garanties de prêts bancaires par les puissances publiques européennes (sans incidence directe sur l’actuel PLFR) | |
Report de charges fiscales et sociales | 32 Mds de report automatique dont 10,7 Mds sur les charges fiscales et 21,3 Mds sur les charges sociales | Concernant les reports de charges, pas de chiffrage, c’est aux entreprises de faire les demandes |
7,2 Mds de recul des recettes fiscales sont attendues par le gouvernement | 33,5 Mds de recul des recettes fiscales sont attendues par le gouvernement[1] | |
Achat de matériels médicaux (masques, respiration) | 2 Mds de crédits d’urgence sont ouverts pour l’achat de matériel en faveur des hôpitaux et notamment des masques FFP2 et de chirurgie | 3,1 Mds pour l'achat d’équipements de protection et le développement d'un vaccin et d'autres mesures de traitement |
Soutien au secteur de la Santé | 5 Mds d’investissement sur 10 ans dans le budget de la recherche | 55 Mds « supplémentaires disponibles pour d'autres projets de lutte contre la pandémie » Mise en place d’un « parapluie protecteur fédéral » pour les hôpitaux afin de compenser la perte de revenus et l'augmentation des coûts : estimés à 2,8 Mds Réserve de 5 Mds des fonds des caisses maladie |
(*En réalité, il s’agit d’un fonds de 50 Mds, dont nous avons soustrait 10 Mds relevant des aides aux indépendants et aux salariés)
A titre de comparaison, bien que toutes ces lignes ne soient pas à additionner, on peut estimer que le plan de relance français tourne autour de 350 milliards d’euros, dont 50 milliards de soutiens directs et 300 millions d’euros de prêts garantis par l’Etat aux entreprises.
En face, le plan allemand tourne autour de 53 milliards d’euros d’aides directes auxquelles s’ajoutent les 55 milliards d’euros disponibles en supplément pour lutter contre l’épidémie et les 600 milliards d’euros du fonds de protection des grandes entreprises (dont les prêts de garanties). Ce fonds de protection doit également servir à financer les potentielles nationalisations (notamment pour Lufthansa). Ce plan de près de 710 milliards d’euros vient se rajouter aux 357 milliards d’euros déjà prévus par la banque publique allemande (BfW) pour soutenir les entreprises en 2020 : soit un dispositif total de plus de 1.000 milliards d’euros. Enfin, les procédures pour obtenir un prêt sont également simplifiées : jusqu’à 3 millions, la BfW pourra décider seule des prêts, sans autre interlocuteur.
A titre informatif, Bpifrance vient d’annoncer que pour aider à soutenir l’économie française face à la crise, elle allait créer deux fonds, l’un pour les PME, l’autre pour les start-up, de 100 millions d'euros chacun et avec des tickets de 1 à 1,5 million d’euros. Il faudra toutefois attendre les prévisions de printemps de la Commission européenne pour disposer d’évaluations consolidées définitives sur les finances publiques des deux pays.
[1] https://www.bundesfinanzministerium.de/Content/DE/Pressemitteilungen/Finanzpolitik/2020/03/2020-03-23-pm-nachtragshaushalt.html