Non, les nouvelles ressources propres ne financeront pas le plan à 500 milliards de la Commission européenne
En mai dernier, la Commission européenne a proposé un plan de relance massif de 750 milliards, le “Next Generation EU” pour revitaliser les économies européennes. Les Etats membres risquent de voir leur contribution augmenter drastiquement pour financer ce dernier, Allemagne et France en tête. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen souhaite donc créer de nouvelles ressources propres, dont une taxe carbone et une taxe sur le numérique. Ces dernières lui permettraient d’éviter de passer par les Etats, de plus en plus sollicités, et de plus en plus opposés à ce type de prélèvements. Cette initiative semble cependant peu réaliste, compte tenu de la difficulté à mettre en place de telles taxes et le peu d’argent qu’elles rapporteraient in fine.
Quelles sont les différents types de ressources propres de l’Union Européenne déjà existantes ?
Les ressources propres se définissent comme les recettes de nature fiscale affectées à l’Union européenne pour financer son budget. L’Union européenne est déjà alimentée par trois types de ressources propres, les ressources propres traditionnelles (RPT) et les ressources TVA et RNB :
- Les droits de douane aux frontières, les cotisations sucre et les prélèvements agricoles font partie des RPT. Elles représentaient 15,8% du total des recettes de l’Union en 2018, soit 23 milliards d’euros[1] ;
- La TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée) est prélevée directement sur les impôts nationaux. Elle a permis de récolter 17 milliards en 2018, soit 11,9% des ressources ;
- Enfin, la ressource RNB est la contribution de chaque État membre, calculée en fonction de sa part dans le Revenu national brut européen et d'éventuelles corrections. Au départ complémentaire, c’est aujourd’hui la principale source de revenus de l’Union européenne, à hauteur de 103 milliards en 2018 (71%).
Il sera difficile d’augmenter les contributions nationales pour financer le plan de relance “Next Generation EU”, de nombreux pays vertueux s’y opposant fermement. La Commission souhaiterait donc rembourser une partie de l’endettement commun par le biais de nouvelles ressources propres. Elle voudrait ainsi relever le plafond des ressources propres à 2% du RNB, ce qui représenterait un peu plus de 340 milliards d’euros. Pari irréalisable ?
Tour de table des nouvelles ressources propres envisagées par la Commission européenne
La Commission européenne propose de créer quatre nouvelles ressources propres pour financer le plan de relance.
La première consisterait en la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE. Les importations, entreprises et pays les plus polluants seraient davantage taxés pour compenser les quantités de CO2 émises. Ce mécanisme permettrait de lutter contre les externalités négatives dont les fuites de carbone. Il rapporterait entre 5 et 14 milliards par an. Rappelons qu’il pourrait être complété d’une taxe sur les plastiques à usage unique, rapportant environ 7 milliards d’euros par an.
La seconde ressource propre porterait sur la création d’une nouvelle taxe Gafa ou taxe sur le numérique. Les géants américains du numérique (Google, Apple, facebook, Amazon) sont accusés d’évasion fiscale puisqu’ils payent peu d’impôts et délocalisent dans des paradis fiscaux. Cette taxe Gafa permettrait de taxer des entreprises non présentes sur le territoire et rapporterait 1,3 milliard par an.
La troisième consisterait en la refonte du système d'échanges de quotas d'émissions polluantes (Le ETS, EU Emissions Trading System). Le but serait d’inclure le transport maritime dans le système et de réduire les quotas d’émission de CO2 gratuits des compagnies aériennes. Cette mesure pourrait rapporter 10 milliards par an.
La quatrième concernerait la mise en place d’une taxe sur les transactions financières (TTFE) des grandes entreprises. Il s’agit d’un projet débattu depuis une dizaine d’années mais relancé fin 2019 par le ministre allemand des finances Olaf Scholz. Ce dernier propose un imposition de 0,2% des achats d’actions des grandes entreprises. Scholz propose également un allègement de la taxe, soit une annulation des taxes sur les obligations et produits dérivés. Cela permettrait de lever entre 3,5 et 10 milliards par an, en fonction du degré de taxation.
Source: Commission européenne
La difficile - voire inutile - mise en place de nouvelles ressources propres
Les nouvelles ressources propres envisagées par la Commission européenne manifestent une volonté de reprise économique respectueuse de l’environnement. Ursula von der Leyen s’est en effet engagée au début de son mandat pour une Europe plus verte et a construit son “Green Deal” dans cet esprit[2]. Cependant, le paradigme s’est véritablement transformé suite à la crise du Covid-19. D’un point de vue réaliste, c’est l’Europe qui est le plus durement frappée par la crise économique. Les gouvernements nationaux risquent de privilégier une relance par tous les moyens plus qu’une relance verte. La mise en place de telles taxes nécessite une collaboration entre Etats membres, qui est loin d’être acquise. Aujourd’hui, les pays de l’Est, Pologne en tête, restent fermement opposés à la mise en place de telles taxes qui viendraient ralentir leur production, dépendante du charbon et extrêmement polluante.
En outre, ces nouvelles taxes comportent de nombreux aspects négatifs pour une Union européenne qui se doit d’être performante pour relancer sa croissance. Elles sont supposées encourager des comportements vertueux mais provoqueront inévitablement une baisse des ressources. Si seule l’UE adopte de telles mesures, ses entreprises seront fortement désavantagées. Cela signifierait également le début d’une guerre commerciale que l’Union européenne ne gagnera pas. De nombreuses entreprises et lobbys ont déjà commencé à manifester leur opposition.
Enfin, ces recettes resteront, au moins dans un premier temps, marginales. La Commission européenne ne prévoit pas leur mise en place avant 2024, date à laquelle la crise économique sera sans doute derrière nous. Le processus de négociation européen étant connu pour sa lenteur, elles risquent même de ne jamais voir le jour. Selon nos estimations, les nouvelles ressources propres ne rapporteraient qu’entre 19,8 et 42 milliards par an, si elles parviennent à être toutes mises en place. C’est loin d’être suffisant pour couvrir les 500 milliards de subventions prévus par le “Next Generation EU”. Nous pourrions même supposer qu’il s’agit là de beaucoup d’efforts pour rien.
[1] Voir notre étude sur les chiffres clé de l’Union européenne; https://www.ifrap.org/europe-et-international/union-europeenne-les-chiffres-cles
[2] Le Green deal propose deux objectifs principaux de long terme. Le premier consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre de manière drastique, de 40% par rapport au niveau de 1990 en 2030 et de 80% d’ici 2050. L’autre objectif est d’atteindre la neutralité carbone en 2050.