La France n'arrive pas à sortir du problème de la surtransposition
Si la question du juste niveau de transposition des normes d'origines européennes a inquiété de nombreux pays membres de l'Union européenne, la France apparaît de plus en plus en retard sur le sujet. En effet, notre pays se caractérise par la place importante des surtranspositions "politiques" où l'arbitrage politique et la volonté d'aller toujours plus loin l'emportent sur le choix d'une transposition mesurée. Pour mettre fin à ce phénomène, il convient de se pencher sur la stratégie et les outils mis en place par l'Allemagne pour limiter, au mieux, le poids des normes d'origines européennes.
Quel est le vrai poids des normes d’origine européenne ?
Lorsqu’on parle d’inflation normative, le droit européen est souvent accusé de venir complexifier les règles nationales. Incontestablement, la législation européenne vient enrichir notre stock de normes mais ce phénomène est difficilement mesurable car, une fois transposées, les obligations européennes ne se distinguent pas des normes nationales. Les eurosceptiques parlent souvent d’un chiffre de 80 % des lois votées en France qui seraient d’origine européenne. Un chiffre infondé qui trouverait sa source dans une déclaration de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne et qui affichait l’ambition, en 1988, que « vers l’an 2000, 80 % de la législation économique, peut-être même fiscale et sociale, sera décidée par les institutions européennes ».
Plusieurs études, résumées en 2014 dans une analyse d’Yves Bertoncini pour Notre Europe, sur le sujet, ont permis d’estimer la part des normes d’origine européenne aux alentours de 20 % des lois (des années 1990 à 2008) mais avec des taux qui monteraient à 30-40 % des lois pour les secteurs de l’agriculture, de la finance et de l’environnement et qui tomberaient en dessous de 10 % pour les secteurs de l’éducation, du logement, de la défense ou de la protection sociale. D’autres pays se sont également posé cette question et, d’après une note de 2012, il ressort que la majorité des États affichaient une part de normes d’origine européenne plus faible que nous : 15 % pour le RoyaumeUni, 14 % pour le Danemark, 10 % pour l’Autriche… mais 39 % pour l’Allemagne. Pour contrer ce poids, l’Allemagne suit, depuis 2015, l’impact pour ses entreprises de la législation d’origine européenne et a adopté le principe du One In, One out pour contenir la complexité. Si cette politique du One In, One Out a permis de baisser les coûts de -3,5 milliards depuis 2015, en prenant en compte l’impact de la législation d’origine européenne pour les entreprises, la baisse est amoindrie à -2,1 milliards €.
La surtransposition « politique », une problématique française
Il est possible de contenir l’inflation normative d’origine européenne à condition de se doter des bons outils et de mettre fin à la pratique de la surtransposition qui consiste à « adopter des normes nationales plus contraignantes que celles précédant strictement des directives européennes ». Dans leur définition de la surtransposition, les pouvoirs publics français ajoutent « sans que cela soit justifié par la volonté d’atteindre […] des objectifs plus ambitieux que ceux qui sont fixés au niveau européen dans le domaine concerné ». En clair, si une transposition base sa contrainte accrue sur un choix politique, elle n’est pas considérée comme de la surtransposition.
Heureusement, le rapport consacré à « l’adoption et au maintien, dans le droit positif, des mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales du droit de l’Union européenne » qui a été rendu au Parlement courant 2019 mais non publié, n’exclut pas l’arbitrage politique de son enquête et permet de dresser un bilan complet : 1 directive sur 4 fait l’objet d’au moins une mesure de surtransposition « avec un effet pénalisant » et pour la moitié de ces directives, plus d’une mesure de surtransposition concentrait ce phénomène sur quelques ministères, pénalisant souvent l’industrie. Au total, sur 1 400 textes identifiés, 137 directives faisaient l’objet d’au moins une mesure de surtransposition, soit 2,6 %… Le gouvernement a reconnu que 30 directives auraient dû être simplifiées via une loi présentée au Sénat en octobre 2018 mais abandonnée par la suite. Encore une fois, c’est l’arbitrage politique qui l’a emporté car, par exemple, sur les énergies renouvelables, « le gouvernement assume que la loi de transition énergétique qui prévoit de porter leur part en France à 32 % de la consommation finale brute d’énergie en 2030 surtranspose le droit européen […] qui propose de fixer un objectif européen à 27 % en 2030 ».
Ce qu’il faut faire en France
- Faire du Sénat le chef de file de la lutte contre la surtransposition : Depuis 2019, suite à une expérimentation concluante, le Sénat est investi d’un dispositif de vigilance sur les surtranspositions mais cela est loin d’être suffisant. La Fondation iFRAP propose de renforcer ce dispositif en rendant ces conclusions contraignantes et en faisant sauter l’argument de l’arbitrage politique. Pour que les surtranspositions « politiques » baissent, il faut une volonté politique forte de « déréglementer » et de simplifier l’environnement normatif français, ce qui présente des enjeux pour les entreprises (notamment via les coûts indirects dits de « mise en conformité »), pour les particuliers (paperasse administrative stricte) et pour les administrations elles-mêmes (numérisation, partage des données, introduction des algorithmes au sein des back-offices, etc.). Avec à la clé, des gains en termes de coûts de production pour la sphère économique mais aussi administrative.
- Généraliser la règle du One In, One Out : Néanmoins, comme les transpositions font partie intégrante du stock normatif, leur régulation et leur évaluation passeront dans les filets de l’Autorité indépendante de l’Évaluation Normative et de l’Office parlementaire d’évaluation indépendant. Sur les modèles allemand et britannique, la Fondation iFRAP propose d’élargir le principe du One In, One Out à toute la législation (aujourd’hui, ce principe n’est adopté que sur la prise de décrets réglementaires) en instaurant comme règle que toute nouvelle norme soit compensée par la suppression, ou en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes. Les suppressions ou simplifications devront intervenir dans le même champ ministériel ou sur la même politique publique et devront apparaître d’un niveau qualitatif équivalent. La nouvelle Autorité indépendante s’assurera du respect de l’application de ce principe et assurera les arbitrages en cas de difficulté.
Industrie du bois : une législation française 5 fois plus dure que l’obligation européenne Pour protéger les salariés de l’industrie du bois, l’Union européenne encadre l’exposition aux poussières de bois à 5 mg/m3 et uniquement sur les essences de bois durs. La France, elle, a transposé cette obligation et abaissé le seuil d’exposition à 1 mg/m3, soit 5 fois en dessous et cela quelle que soit l’essence du bois. Les machines de cette industrie étant construites pour les normes européennes (le leader du marché est l’allemand, Weinmann), elles ne permettent pas de respecter l’obligation française. Alors la France a renforcé les procédures de contrôles et de mesures de l’exposition des salariés aux poussières de bois et dans le cadre de la mise en place du compte pénibilité, ces dernières sont rentrées dans la liste des agents cancérogènes. À cette même période, le ministère de la Santé avait même évoqué l’objectif de réduire le seuil d’exposition à 0,2 mg/m3. |