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La crise et le tsunami de main-d'oeuvre asiatique

La thèse que nous soutenons est que la crise financière actuelle a peut-être été précipitée par des excès comme les subprimes aux USA ou l'explosion incontrôlée des dérivés financiers mais qu'elle a sa source profonde dans le tsunami de main d'oeuvre très bon marché qui déferle du sud-est asiatique et dont les symboles sont les Chinois supplantant les travailleurs du Maghreb dans les travaux d'infrastructure, la construction d'un pont entre San Francisco et Berkeley dont tous les éléments sont construits en Chine et transportés par barges, les panneaux en verre les plus difficiles du musée du verre de Toledo coulés en Chine, etc. « Mon obsession est de créer chaque année 25 millions d'emplois nouveaux pour les Chinois », autant que tout l'emploi en France, avouait Hu Jin Tao, le Président chinois, à Georges Bush.

Si l'on ajoute le reste du sud-est asiatique, l'Indonésie, la Malaisie, le Vietnam, etc. c'est vraisemblablement le double qui déferle sur le marché mondial ouvert, par Internet, les avions gros porteurs et les porte-conteneurs.

Si cette thèse est exacte, la crise actuelle ne sera pas comme les crises « ordinaires », un mouvement de pendule, un excès de production comme l'illustre le célèbre cycle du porc, mais une crise qui va durer tant que les milliards d'êtres humains qui vivent encore avec moins d'1 euro par jour n'auront pas intégré le marché mondial comme producteurs et consommateurs.

Si c'est exact, la seule solution pour que l'Occident avancé garde ses emplois, se trouve dans le développement de produits et services qui n'existent pas encore et qui ne peuvent donc être copiés par les PVD. C'est le jeu joué grâce à des entreprises innovantes dans des domaines très différents comme Apple, BMW, Louis Vuitton ou L'Oréal.

C'est le jeu que devrait jouer la France sur une beaucoup plus grande échelle si elle cessait de se borner à des incantations au dieu Innovation et mettait en place la seule manière de transformer l'innovation en emplois : le financement massif par le privé de start-up.

Quelques études récentes viennent de donner corps à ce qui n'était jusqu'à présent qu'une thèse. Comme le décrit le Wall Street Journal dans « China trade takes a toll in U.S.” du 27/9/2011, l'un des credo des économistes jusqu'à présent était que le commerce international assure une répartition optimale des avantages comparatifs. Certes, les importations détruisent certains emplois mais en diminuant le coût pour le consommateur des produits ou services importés, elles lui procurent des économies qui peuvent se reporter sur d'autres consommations de produits ou services plus évolués, et si l'offre de tels produits ou services ont bien lieu dans le pays, contribuent ainsi à créer des emplois à plus haute valeur ajoutée.

Trois économistes américains dont Michael Spence, un prix Nobel, viennent de montrer que cette théorie ne s'applique plus en raison du fait « que le monde n'a jamais connu d'aussi grands pays [que la Chine, NDLR] se développant si rapidement ». Leur démonstration s'appuie sur l'examen de 722 agrégats de comtés, certains avec des produits comme de la mécanique lourde peu exposés à la concurrence chinoise, d'autres avec des productions plus légères plus facilement déplaçables. Les secondes ont vu une chute plus importante de l'emploi manufacturier accompagné par une réduction parallèle des services à la production. L'étude note incidemment que la production chinoise a simultanément déplacé des importations de pays à bas salaires (nous pensons notamment aux pays du printemps arabe…).

Un autre article publié par Homi Karas et Geoffrey Gertz du Wolfensohn Center for Development au Brookings Institut montre qu'il y a un transfert de consommation considérable des pays de l'Ouest vers ceux de l'Est, en grande partie généré par le développement de la classe moyenne en Asie. Leurs calculs montrent que vers 2015, le nombre de consommateurs de la classe moyenne devrait égaler ceux des États-Unis et de l'Europe. En 2021, si les tendances persistent, il devrait y avoir 2 milliards de consommateurs dans la classe moyenne sud-asiatique dont 600 millions dans la seule Chine contre 150 aujourd'hui.

Dans cette optique, la France doit-elle se recroqueviller sur elle-même comme le proposent plusieurs politiciens et se couper de la mondialisation ? Ou la mondialisation va-t-elle se produire sans nous, privant nos entreprises des possibilités considérables de développement et de croissance ? De nombreuses entreprises françaises ont déjà opté et sont en Chine ou dans le sud-est asiatique, en Afrique, en Russie, etc.

Est-il possible de se protéger du tsunami de main-d'œuvre sud-asiatique et en fait mondial en nous enfermant dans une coquille ? Et ne faut-il pas au contraire jouer le fait que ce tsunami est à double sens, que des milliards d'êtres humains, jusqu'à présent isolés du marché y entrent mais que simultanément, beaucoup s'enrichissent et ouvrent des marchés immenses à ceux qui sauront inventer et réaliser des produits et services plus avancés ?

PS : Et pour ceux qui s'inquiéteraient d'une chute de la croissance chinoise, rappelons qu'ils ont urbanisé en quelques années 400 millions d'agriculteurs mais qu'il en reste encore 400 millions. Pékin n'en est qu'à son sixième périphérique…