Industrie : le succès italien est aussi fiscal
Dans une Europe post-industrielle, l’Allemagne a longtemps été considérée comme la dernière puissance productive. L’Italie est l’autre grand pays européen qui a su garder son industrie. Si le secteur industriel a aussi traversé des crises, son modèle semble à présent assez solide, au point de faire de l’Italie une véritable puissance exportatrice, affichant une balance commerciale sur les biens avec un excédent de 34,4 milliards d’euros en 2023, quand la France affiche encore une fois un déficit commercial sur les biens de presque 100 milliards. Pour obtenir ces très bons résultats, l'Italie a appliqué une recette qui marche : encouragement de l'innovation, robotisation, fiscalité favorable avec des impôts de production bas et un niveau de taxation sur les transmissions d'entreprises très bas ( plus abattement d'un million d'euros). Une recette à appliquer.
Une balance commerciale nettement positive
L’Italie affiche une excellente balance commerciale sur les biens, avec 34,4 milliards d’euros d’excédent en 2023 tandis que la France est à presque 100 milliards de déficit sur la même année. En 2022, son solde commercial sur les biens était également négatif (-41 milliards), mais cela pouvait s’expliquer par la crise de l’énergie principalement, puisque hors produits énergétiques, l’Italie était à +86 milliards. Le modèle industriel italien est donc très solide. Selon The Conversation, l’Italie se placerait même devant la Corée du Sud, en quatrième position parmi les pays exportateurs (en 2022), derrière la Chine, les Etats-Unis et l’Allemagne.
En 2023, les Italiens auraient surtout assisté à une baisse des importations (-17,6%), quand les exportations auraient stagné (+0,6%), mais restant à un niveau très élevé. Le principal partenaire commercial de l’Italie est l’Allemagne (11,4% des échanges), devant la France (7,6%), les Etats-Unis (6,2%) et la Chine (4,6%). L’Italie importe plus depuis l’Allemagne qu’elle n’y exporte (83,1 milliards d’euros d’importations contre 69,9 milliards d’euros d’exportations), mais le principal déficit commercial est avec la Chine (40,3 milliards contre 16,2 milliards). Le principal excédent commercial des Italiens est américain (34 milliards d’euros).
Une industrie basée sur les produits à haute valeur ajoutée
L’industrie italienne est très diversifiée, mais certains secteurs sont moteurs de ce dynamisme exportateur. La mode italienne résiste encore assez bien à la concurrence mondiale (33 milliards d’excédent en 2021), les exportations d’articles pharmaceutiques, chimiques et botaniques ont enregistré une forte hausse de +50,7 %, suivies de celles d’articles de sport et d’instruments de musique (+53,6 %) et des denrées alimentaires, boissons et tabac (+19,3 %), témoignant d’une dynamique particulièrement positive dans ces secteurs.
L’Italie garde aussi une tradition automobile importante, qui représente 6,7% des exportations industrielles en 2023, avec une spécialisation dans le luxe. De nombreuses marques automobiles sont encore détenues par des Italiens, et la production reste basée sur le territoire italien. Au-delà du produit fini, l’Italie est le 4e exportateur européen de composants automobiles. L’industrie pharmaceutique contribue quant à elle à hauteur de 8,1%. L’Italie est également 9e puissance exportatrice de produits métalliques et 5e de machines industrielles. Le secteur italien de la technologie de pointe (instruments mécaniques, composants de machine) bénéficie de la présence de plus de 5 000 entreprises, avec une richesse produite dans le monde d’environ 80 milliards d’euros.
Le luxe français, made in Italy ? D’ailleurs, n’oublions pas que c’est en partie grâce à des entreprises françaises que l’industrie italienne se porte aussi bien. En effet, un certain nombre de grandes marques italiennes sont passées dans le giron de LVMH, comme Fendi, Bvlgari, Loro Piana, Olga Berluti, Acqua di Parma, etc. ; ou de Kering, comme Gucci, Bottega Veneta, Brioni, Pomellato. Ce rapprochement entre grands groupes de luxe français et savoir-faire familial italien concerne aussi les chaussures, comme les souliers Louboutin, dont l’histoire commerciale est française, mais la production italienne à l’heure actuelle. La plupart des fournisseurs des Dior, Hermès et autres Chanel sont aussi transalpins, notamment au niveau des tissus. |
Le PIB italien repose beaucoup sur son secteur industriel, puisque ce dernier représente 23% de sa valeur ajoutée en 2023, contre 18,5% en France (et encore, 2023 représente une exception, les années précédentes étant plutôt à 16%. Et en valeur absolue, l’Italie avait réussi à dépasser la France en 2021 pour la première fois depuis 2009.
Sources: Banque Mondiale.
Le tissu industriel italien repose sur des entreprises familiales
Les petites et moyennes entreprises familiales sont très implantées en Italie, et font montre d’un ancrage local, en particulier dans les régions du Nord (Lombardie, Piémont, Emilie-Romagne, Toscane, Vénétie). Les zones qui concentrent ces petites industries sont appelées « districts industriels », et sont au nombre de 141 en 2021. Au total, 66% des employés dans l’industrie manufacturière y travaillent. En Italie, 83% des entreprises de taille intermédiaire sont des PME familiales, alors qu’en France, ce ne sont que 48% d’entre elles. 80% parmi ces PME familiales ont été transmises au sein de la famille du propriétaire, contre 22% seulement en France. De manière générale, les entreprises familiales italiennes sont plus nombreuses, mais moins grandes : en moyenne, elles emploient 4 salariés, alors qu’en France, elles en emploient 5,6. Mais dans les grands groupes, on compte également des modèles de gestion familiale, à travers des holdings, comme dans l’industrie automobile (Agnelli), dans l’alimentation (Ferrero, Barilla, Illy) ou dans la mode (Versace, Armani).
L’ouverture à l’international
Les entreprises familiales italiennes réussissent à l’étranger, comme le démontrent ses résultats en exportations. Grâce à une certaine diversité des petites industries, les entreprises italiennes sont relativement solides face à certains chocs. Cependant, l’Italie est une grande terre d’investissements originaires de groupes multinationaux. L’électricien Edison a été racheté par EDF, le fabricant d’électroménager Indesit par Whirlpool, le géant pneumatique Pirelli par ChemChina, le constructeur de luxe Lamborghini par le groupe Volkswagen, etc. La taille et le savoir-faire des industries italiennes en font des cibles de choix pour des grands groupes. De même, l’Italie est aussi assez exposée aux chocs de production dans les autres pays européens (en particulier l’Allemagne). L’Etat italien doit surtout miser sur la mise en avant de la qualité de ses produits. C’est pourquoi elle a, depuis 2009, promu le « Made in Italy » de manière systématique, quels que soient les gouvernements :
Le label “Made in Italy” ou l’utilisation du drapeau italien sur un produit est extrêmement réglementé (le produit doit être issu de l’industrie italienne en totalité), et l’infraction à ces règles peut mener à la case prison ;
Le gouvernement italien organise une campagne avec la Chambre de commerce italienne et Google pour la promotion du label « Made in Italy » ;
Le label (Made in Italy ou la marque Be IT très utilisée à l’étranger pour promouvoir les investissements italiens) est apposé non pas que sur des produits, mais sur des événements, tels que le Grand Prix de Formule 1 d’Emilie-Romagne à Imola, renommé Formula 1 Rolex Gran Premio del Made in Italy e dell'Emilia-Romagna ;
Même le ministère du Développement économique est renommé ministère des Entreprises et du Made in Italy en 2022 ;
L’instrument financier de ce label, les SACE (Servizi Assicurativi del Commercio Estero, équivalents de Bpi France Assurance Export), a soutenu des projets d’exportation à hauteur de 55 milliards d’euros en 2023 (contre 22 milliards pour son homologue français).
Robotisation, l’atout n°1 des entreprises industrielles italiennesL’Italie est un pays particulièrement avancé concernant la robotisation de son industrie, avec, en 2022, près de 23 000 robots impliqués dans le processus de production, contre 16 000 aux Etats-Unis, et 8 000 en France. L’Italie exporte même des robots, et se place en 6e fournisseur mondial en robotique. Le choix de la robotisation est relativement récent, mais est très dynamique, notamment en 2022, où l’installation de nouveaux robots industriels a augmenté d’environ 65%, selon un rapport de la fédération internationale de la robotique. Les robots utilisés dans l’industrie italienne ne sont pas que des robots « de chaîne » qui effectuent des tâches répétitives, au contraire. Des robots issus d’une technologie de pointe participent au travail de la célèbre marbrerie toscane de Carrare, par exemple. |
Formation professionnalisante, politique fiscale et investissements privés, la recette qui marche
Les régions industrielles d’Italie ont réussi à rester attractives pour les investisseurs, parce que l’innovation y est encouragée. D’abord, la formation y est très bonne, grâce aux lycées professionnels (istituti tecnici e professionali), qui représentent 44% des étudiants du secondaire de l’année 2024-25 (27,6% en France).
On remarque que les dépenses en recherche et développement de l’Italie sont inférieures à celles de la France, mais l’innovation y est florissante, comme le démontre l’exemple des robots. Mais la fiscalité est également un facteur d’explication important de ce succès. En effet, les entreprises bénéficient d’une déduction fiscale de 50% pour les investisseurs dans les petites et moyennes entreprises qui innovent le plus. Les impôts de production sont aussi plutôt bas (2,2% du PIB en 2022).
Enfin, les droits de succession et de donation pour des transmissions patrimoniales entrepreneuriales représentent un taux entre 4% (pour les héritiers directs) et 8% (pour les plus éloignés), contre parfois 45% en France pour les héritiers directs. Les héritiers directs transalpins bénéficient aussi d’un abattement d’un million d’euros. En bref, cette fiscalité flexible des successions permet deux choses : elle favorise les entreprises familiales, quelle que soit leur taille ; elle apporte la garantie d’avoir des investissements davantage issus du secteur privé pour maintenir une industrie compétitive.
Conclusion
L’Italie a donc favorisé son industrie, et peut se targuer d’être parmi les derniers pays européens à avoir un tissu industriel aussi dense. Celui-ci est constitué en grande partie de petites et moyennes entreprises familiales, qui bénéficient d’une politique de succession tournée vers la préservation des actifs. L’Etat italien est attentif à soutenir ce modèle, en témoigne sa politique de promotion du Made in Italy. En outre, la qualité de la formation permet de garantir une haute valeur ajoutée des produits, dans des secteurs aussi diversifiés que stratégiques. Dans cette période où la question de la réindustrialisation semble aussi complexe en France, force est de constater que le modèle italien repose sur des bases assez simples.