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Grèce et France, le drame des privilèges

La crise grecque envoie à la France un message beaucoup plus profond que ne le laisse supposer le plan de sauvetage organisé par les autres pays de la zone euro et le FMI. Qui dit plan de sauvetage dit qu'un sauvetage est possible en Grèce, que des mesures fortes comme celles qu'ont prises en d'autres temps et d'autres lieux le Mexique, l'Argentine ou la Nouvelle-Zélande, suffiront à rétablir l'équilibre budgétaire.

A lire une opinion du Wall Street Journal du 26 avril [1], on peut douter des possibilités d'un tel redressement. En résumant la thèse de l'auteur, du Cato Institute de Washington, le rôle central du gouvernement et le clientélisme qu'il génère font que 70% des Grecs vivent d'emplois d'Etat, des privilèges qu'il distribue ou des taxes qu'il prélève au profit de certaines catégories. De ce fait, les Grecs sont plus occupés à rechercher des rentes de situation distribuées par l'Etat qu'à créer des richesses.

Qui ne sera pas frappé de la ressemblance avec ce qui se passe en France ? C'est en fait la seconde explication au déficit des finances publiques, la première restant le manque de création d'emplois marchands.
C'est à chaque petite étape de la vie courante que l'on découvre des charges, le plus souvent ignorées du grand public, qui n'ont en fait aucune justification sociale ou économique mais sont simplement ce que l'on pourrait appeler des mesures de luxe pour avantager un groupe social ou faire la publicité d'un ministre. Et qui finalement font vivre tout le monde aux crochets de tout le monde.

Les exemples abondent : le budget de 100 millions annoncé par un ministre, Christian Estrosi, pour aider au développement des brevets alors que - c'est un inventeur qui parle - des mesures similaires se sont multipliées depuis 40 ans, et sans effet sur la créativité ou l'innovation française ; l'absence de délai de carence en cas d'arrêt maladie ou le supplément familial de traitement [2] pour les fonctionnaires ; les chèques restaurant ou la carte orange pour les salariés alors que la complexité de notre système social, mis au premier plan par la complexité de notre feuille de paie [3], est déjà extrême.

La gravité de ce mal est que lorsqu'on en arrive au niveau où en est la Grèce, détricoter les entrelacs de dispositifs aussi complexes devient impossible en cas de crise. Les mesures de sauvetage prises sont alors massives et aveugles, touchant d'abord ceux qui ne se sont pas organisés pour profiter du système et se défendre, et sont généralement les plus fragiles. Mais surtout, lorsque le mal a atteint un certain niveau, il n'est même plus sûr qu'un détricotage soit possible sans se heurter à des remous, spontanés ou organisés, qui l'interdisent. On peut alors craindre un dépôt de bilan collectif aux conséquences imprévisibles.

Pour le prévenir, il aurait fallu que ceux, chargés du contrôle de la dépense publique, aient mené des actions beaucoup plus énergiques. Mais pour l'instant, notre Assemblée nationale est encore à des années lumières du mécanisme de contrôle qui fonctionne à Londres avec un certain succès depuis des années.

Faudra-t-il que dans une nouvelle nuit du 4 août, tous ceux qui bénéficient des largesses de l'Etat viennent renoncer à leurs privilèges devant les caméras rue de l'Université ? Au risque de créer des embouteillages monstres ?

[1] « The failure of the Greek Economic model », par Tachis Michas.

[2] Complément d'allocations familiales, lié en partie au niveau de traitement du fonctionnaire.

[3] Les feuilles de paie américaines, anglaises, lithuaniennes, pour ne prendre que trois exemples, ne contiennent que 4 ou 5 lignes.