Frontex : où en est-on ?
Selon un sondage Eurobaromètre réalisé en mars 2017, 73% des Européens interrogés souhaitent que l’Union européenne (UE) agisse davantage en matière d’immigration. En effet, si la création de l’espace Schengen est considérée comme une grande avancée de l’acquis communautaire (mobilité des travailleurs et des touristes), cet espace de libre circulation des personnes pose également des difficultés en matière de contrôle des flux migratoires. En 2018, 581.000 personnes ont fait une demande d'asile dans un des pays membres et FRONTEX détectait 150.114 franchissements illégaux des frontières de l'UE. Si un renforcement à 10.000 agents FRONTEX était prévu pour 2020, cet objectif a finalement été repoussé à 2027.
Une première expérience FRONTEX : 2004-2016
Frontex (forme abrégée de « Frontières extérieures ») est l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de UE et ce, depuis 2004. Avec un budget d’environ 280 millions d’euros provenant de subventions de l'UE, sa mission était la coordination des activités des unités nationales chargées de la protection et de la garde des frontières de l'UE avec les États non-membres.
Pour cela, FRONTEX disposait d'un système d'information de recueil des données analysées en temps réel afin de mieux connaitre la situation aux frontières extérieures de l'UE. Les objectifs étaient :
- D’assurer une meilleure répartition des ressources budgétaires de l'UE accordée aux Etats membres dans le cadre de la protection des frontières ;
- D’assister les États membres de l'UE dans le développement de procédures communes de formation, de gestion intégrée des frontières et d'uniformisation des règles et fonctionnement à chaque frontière extérieure ;
- De proposer aux gardes-frontières, les dernières innovations technologiques pouvant répondre à leurs besoins ;
- De mettre à la disposition des Etats membres une force de réaction rapide (RABITs) composée d’experts conseillers dans le domaine des gardes-frontières européens ;
- De faciliter le retour, expériences communes (RETEX).
Néanmoins, la crise migratoire, et notamment son pic entre 2015 et 2016, où le nombre de détections de franchissements illégaux des frontières a augmenté de +369% (passant de 282.933 en 2014 à 1.822.177 en 2015) a démontré l'inefficacité de FRONTEX dans sa première forme, notamment à cause des limites de son mandat et de ses moyens. Les critiques ont ainsi pointé une trop grande dépendance à l’égard de la bonne volonté des Etats-membres, à la fois pour autoriser ses interventions sur leur sol et pour se déployer sur le terrain. En outre, ses effectifs n’étant pas suffisants, Frontex dépendait principalement des contributions des Etats-membres.
FRONTEX 2.0
Ainsi, certains pays, dont la France, ont décidé sur proposition de la Commission européenne l’évolution de FRONTEX désormais soutenue une Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes ainsi que la création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes. Cette décision a été entérinée par le Conseil de l'UE et le Parlement européen en octobre 2016.
Cette agence qui n'est pas une nouvelle entité juridique, vise à renforcer le mandat de FRONTEX en lui donnant de nouvelles compétences dans le soutien aux États membres en matière de protection des frontières, de retour et de coopération avec les pays tiers en intégrant le système européen de surveillance des frontières (EUROSUR) afin d'améliorer son fonctionnement.
En coordination avec d'autres organismes comme l'Agence européenne de contrôle des pêches et de l'Agence européenne pour la sécurité maritime, l’agence a désormais la possibilité d'acheter son propre matériel et peut assister les Etats membres en participant à l'enregistrement et à l'identification des migrants à leur arrivée (aux frontières extérieures mais aussi dans les ports et les aéroports).
Avec un siège à Varsovie, l’agence compte :
- Environ 650 personnels originaires de 29 pays dont ¾ employés par l'Agence elle-même et ¼ d'experts nationaux détachés par les Etats membres pour quelques années, et qui devrait passer à 1.250 personnes d'ici à 2021 ;
- Un budget de 320 millions d'euros en 2018, tout en précisant que ce sont les Etats membres qui mettent à ce jour à sa disposition les moyens maritimes et aériens contre remboursement.
Au final, FRONTEX déployait en février 2019 : 976 agents, 17 bateaux, 4 avions, 2 hélicoptères et 59 voitures de patrouille engagés sur le terrain. Des effectifs renforcés en été là où les besoins sont les plus nombreux… mais des moyens qui restent sans doute insuffisants pour opérer un contrôle effectif des frontières extérieures de l’Europe.
Ainsi, la Commission européenne a prévu en septembre 2018, un renforcement des propres moyens aériens et maritimes de l’agence et la création d'un corps permanent de 10.000 agents opérationnels d'ici à 2020… échéance repoussée à 2027 par le Parlement européen en avril dernier (en plus de la réserve de réaction rapide), soit :
- 3.000 employés permanents de Frontex déployés sur le terrain ;
- 3.000 agents détachés par les Etats membres sur le long terme ;
- 4.000 agents détachés par les Etats membres pour une période plus courte (par exemple une année).
Le coût de ce renforcement est estimé à 1,3 milliard d’euros pour la période 2019-2020, et 11,3 milliards d’euros pour la prochaine période budgétaire de l'UE, de 2021 à 2027.
Source : Frontex, Risk Analysis, rapport 2014 à 2019, Table 1.
Aujourd’hui, le nombre des franchissements illégaux des frontières de l’Union Européenne a baissé : -60% en 2017 et -27% en 2018, cela par rapport à l’année précédente. En outre, en 2018, Frontex a saisi 400 véhicules volés, 158 tonnes de drogue, près de 5.000 faux papiers. Et a sauvé 37.000 migrants de la noyade. Néanmoins, le nombre de franchissements irréguliers reste bien supérieur à l’avant 2013, preuve que la pression sur les frontières extérieures de l’UE demeure élevée. Et tous les problèmes originels de FRONTEX n’ont pas été réglés : notamment la question de la dépendance vis-à-vis des Etats.
Une question de coopération entre Etats membres
En plus d’un renforcement des moyens, la Commission européenne proposait de renforcer les capacités opérationnelles en permettant aux agents de FRONTEX d’effectuer, sous l'autorité et le contrôle de l'État membre dans lequel ils sont déployés, des tâches nécessitant des pouvoirs d'exécution. Actuellement, pour procéder à une arrestation lors d'un contrôle par exemple, les agents portant le brassard Frontex doivent s'en remettre à leurs collègues du pays où a lieu l'opération pour dresser le mandat. Sauf que, lors du sommet européen organisé à Salzbourg, les pays du groupe de Višegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), de même que l'Italie et l'Espagne, se sont opposées à l'idée de voir des agents dotés de pouvoirs "européens" se déployer sur leur territoire.
Au final, l’agence reste tributaire de la volonté des États membres concernés de coopérer avec elle. La gestion quotidienne des frontières extérieures demeure de la responsabilité des États membres, dont c’est l’un des attributs de souveraineté. Ce manque d’autonomie nuit à sa réactivité. Aujourd’hui Frontex intervient davantage dans un rôle de soutien en cas de besoin et de coordination de la gestion d’ensemble.
Alors même que la solidarité entre États membres demeure indispensable face aux enjeux migratoires, la coopération européenne connaît d’importants points de blocage. Si certains États sont favorables à une extension des missions de Frontex, d’autres y sont opposés. Ses missions, qu'il s'agisse de protection des frontières ou d'aide au retour des migrants illégaux, restent conditionnées à une demande des pays membres, « Les Etats conserv(ant) la responsabilité première de la gestion de leurs frontières », y compris si ces derniers se montrent déficients à contrôler et à enregistrer les entrées de migrants.
Enfin, comme le soulignait en août 2018, le Directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, « les Etats membres doivent prendre davantage de décisions effectives d’éloignement, qui soient mieux mises en œuvre » - « le nombre de gens qui restent sur le territoire européen en situation irrégulière ne cesse d’augmenter (…) si on continue ainsi, on envoie un message implicite aux migrants potentiels : tenter à tout prix de passer en Europe, car même si on est pris, on a toutes les chances d’y rester ». L'Agence aide d’ores et déjà les Etats à renvoyer les déboutés du droit d'asile et les migrants économiques illégaux vers leur pays d'origine. Elle a contribué l'an dernier au retour de 15.000 des 150.000 expulsions de l'Union européenne. Néanmoins, alors que 96% des déboutés du droit d’asile se maintiennent sur le territoire français selon la Cour des comptes (rapport d’octobre 2015), les prérogatives de Frontex en matière de retour mériteraient sans doute d’être revalorisées.