Fonctionnaires européens : le cocktail de réformes
A l'heure de la flexibilisation du statut des fonctionnaires en Grèce ou encore en Italie, on peut s'interroger sur le statut des fonctionnaires européens dont les salaires pèsent près de 10% du budget de l'Union Européenne. Malgré l'opposition de nombreux syndicats, la Commission européenne, principal employeur des fonctionnaires européens, tente de promouvoir une nouvelle réforme de la fonction publique européenne. Portée par Maroš Šefčovič, vice-Président de la Commission européenne, cette réforme consiste en une baisse de 5% les effectifs d'ici 2017 et une augmentation du temps de travail à 40 heures par semaine. L'objectif est de dégager des économies, mais aussi d'inspirer un même souci de rigueur budgétaire aux États membres de l'UE.
La fonction publique européenne, qu'est-ce que c'est ?
La fonction publique européenne, c'est tout d'abord près de 32.000 agents dont plus de la moitié travaillent pour la Commission. Un chiffre impressionnant mais à comparer avec le nombre de fonctionnaires et agents publics en France qui est de 5 millions. Les fonctionnaires européens sont au service des institutions européennes et défendent en leur nom les intérêts de l'UE. Plus concrètement, ils sont à la fois les principaux interlocuteurs des administrations nationales mais également les porte-paroles des positions européennes dans l'UE et le monde.
La Commission et le Parlement ont décidé ces dernières années de jouer la carte de la transparence en publiant annuellement la grille des salaires des fonctionnaires européens. Quelle que soit l'institution pour laquelle travaille un fonctionnaire, les règles sont les mêmes. Ainsi, un fonctionnaire en fonction de son grade (au nombre de 16) et de son échelon (il y en a 5) débute à 2.300 euros brut par mois. Un commissaire, qui appartient au grade et à l'échelon les plus élevés de la fonction publique européenne, gagne environ 20.000 euros par mois tandis que le président de la Commission touche un salaire de 25.000 euros par mois. Il est nécessaire d'ajouter une indemnité de 90.000 euros par an que le président touchera pendant trois ans après la fin de son mandat. Il est à noter que l'ensemble des commissaires reçoivent une indemnité de même montant. En effet, cette indemnité est versée au nom de l'interdiction d'exercer par la suite certaines professions dans le privé si elles sont liées à l'ancien portefeuille que le commissaire avait en charge.
Quant aux parlementaires européens, ils reçoivent depuis 2009 une indemnité de 7.665 euros par mois. Auparavant, chaque député européen était payé par son parlement national. Ainsi, un député italien pouvait gagner jusqu'à 11 fois plus qu'un député bulgare pour la même fonction. Il est toutefois à noter que certains parlementaires suivant leur nationalité cumulent leur rémunération européenne et celle provenant de leur parlement national. A cette rémunération doivent être ajoutés les frais généraux de 4.202 euros par mois, ainsi qu'une enveloppe de 17.000 euros par mois pour payer leurs assistants.
On estime le coût de la fonction publique européenne à 7,8 milliards d'euros par an tandis que le budget global de l'UE est de 130 milliards d'euros. C'est un budget certes important mais ne perdons pas de vue que les institutions travaillent dans 23 langues différentes et doivent couvrir tous les domaines de compétence qui ont sensiblement augmenté depuis l'adoption du Traité de Lisbonne.
La fonction publique européenne déjà réformée en 2004
Face au relatif consensus des hauts fonctionnaires européens sur la nécessité de réformer l'administration communautaire au début des années 2000, Neil Kinnock, alors membre de la Commission européenne, est chargé de réfléchir aux mesures permettant de la moderniser. En 2004, avec l'accord de la Commission, il décide d'imposer la culture du management à une administration encore largement fondée sur le culte de la promotion à l'ancienneté et l'irresponsabilité administrative. Neil Kinnock évoque ainsi le nécessaire “apprentissage des valeurs du privé” aux fonctionnaires européens. Il parvient malgré l'opposition des syndicats à mettre en place la notation individuelle de chaque fonctionnaire qui permet d'accroître les possibilités d'évolution de carrière, quand il fallait auparavant passer un concours pour espérer progresser. La réforme Kinnock, bien loin de se limiter à des aspects managériaux a aussi permis le gel des dépenses ainsi qu'une baisse des salaires pour les nouveaux fonctionnaires s'étalant de 20 à 30%. Les économies dégagées par cette réforme sont aujourd'hui estimées à 5 milliards d'euros et ont ainsi permis à budget constant de mener l'élargissement de l'UE de 15 à 25 États.
Une nouvelle réforme nécessaire à l'heure de l'austérité
De nouvelles dispositions sont aujourd'hui en discussion au Parlement et au Conseil sur fond de propositions de nouvelles économies. Maroš Šefčovič, vice-Président de la Commission européenne les a exposées en détail à l'occasion des 7èmes Rendez-vous Européens de Strasbourg le 22 mai 2012 :
Diminution progressive de 5% des effectifs de l'ensemble des institutions et des agences entre 2013 et 2017, via le non-remplacement d'un fonctionnaire sur 2 ou 3 selon les institutions. Cela permettra d'économiser plus de 830 millions d'euros d'ici 2020 d'après la Commission. Celle-ci a proposé de donner l'exemple en réduisant de 1% son personnel dans sa proposition de budget pour 2013.
Augmentation du temps de travail à 40 heures par semaine : "le personnel devra travailler plus pour le même salaire. L'Union rejoint ainsi les Etats membres qui ont le temps de travail hebdomadaire le plus élevé."
Relèvement de l'âge de départ à la retraite de 63 à 65 ans, avec la possibilité de rester jusqu'à 67 ans. On atteint pratiquement l'âge maximum de départ à la retraite pratiqué en Europe. Le Parlement a même proposé de le retarder à 70 ans !
Diminution de l'allocation de voyage
Pérennisation du prélèvement spécial en plus de l'impôt sur le revenu
Accès plus restreint aux grades les plus élevés
De telles dispositions permettraient d'économiser 1 milliard d'euros d'économies supplémentaires sur la période et 1 milliard d'euros par an à plus long terme : soit jusqu'à 6 milliards d'euros sur 10 ans. Elles permettent de geler les dépenses opérationnelles jusqu'en 2020.
Ces mesures sont le résultat de négociations "très dures" de près de 6 mois avec notamment les syndicats de fonctionnaires européens. "Nous avons évité la grève de justesse", reconnaît Maroš Šefčovič, le vice-président de la Commission. Les personnels européens, très hostiles à cette réforme, ont récemment manifesté alors même que leur statut leur interdit de s'exprimer sans autorisation préalable.
Les syndicats de fonctionnaires européens expliquent ce refus de la réforme par la crainte de devenir les boucs émissaires du sentiment anti-européen. Une drôle d'explication quand on sait que cette réforme est portée par la Commission, qu'on peut difficilement soupçonner d'europhobie. Ce refus est d'autant plus difficile à justifier quand on sait que les fonctionnaires européens tentent aujourd'hui de moderniser tant la fonction publique grecque qu'espagnole en proposant d'augmenter la durée de travail ou le report de l'âge légal de la retraite, des dispositions contenues dans la réforme qui leur est proposée.
La nouvelle réforme portée tant par le Parlement que par la Commission peut, au moment où chaque pays d'Europe doit faire face à la rigueur, donner l'exemple d'une fonction publique européenne à la fois consciente des nécessaires économies qui doivent être appliquées au niveau des pays européens comme au niveau de l'Union tout en permettant de conserver des institutions fortes et un personnel qualifié.