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Évasion fiscale : la France refuse 5 milliards d'euros

Mais elle peut encore se raviser…

En refusant d'adhérer au système « Rubik » proposé par la Suisse, système qui vise à permettre une « régularisation » des avoirs détenus en Suisse par des résidents étrangers, sans pour autant procéder à une levée du secret bancaire, la France a sans doute raté une belle occasion d'obtenir des ressources fiscales supplémentaires (4 à 5 milliards d'euros la première année) qu'elle aurait pu alors consacrer pleinement à la réduction rapide de son déficit.

En effet, deux accords paraphés respectivement le 10 août avec l'Allemagne et le 25 août avec la Grande-Bretagne, ont ouvert à nos deux voisins à compter de 2013, la possibilité d'obtenir respectivement :
- Quant à la régulation des comptes détenus à l'étranger, respectivement 8,8 milliards d'€ pour l'Allemagne et 2,5 à 3 milliards pour l'Angleterre.
- Ensuite, pour l'avenir la possibilité de faire prélever par les banquiers Suisses devenus agents collecteurs pour compte de tiers, une rente annuelle sur les plus-values et les revenus de capitaux détenus, soit respectivement 880 millions d'€ pour l'Allemagne et près de 5,67 milliards d'€ pour la Grande-Bretagne, compte tenu des volumes d'affaires respectifs pratiqués par leurs ressortissants.

1) Le système Rubik "équivaut à l'échange de renseignements" :

Les deux accords qui ont été négociés dans des termes presque identiques par la Suisse, offrent ainsi aux pays membres de l'UE la possibilité de régler une fois pour toute leurs différents fiscaux avec la confédération et de lui substituer un système en tout point comparable avec la levée pure et simple du secret bancaire et la divulgation automatique d'information fiscale. C'est d'ailleurs ce que reconnaît explicitement l'accord du 10 août avec l'Allemagne. En substance : « La Suisse et l'Allemagne considèrent toutes deux que, pour ce qui est des rendements de capitaux, la collaboration bilatérale convenue dans le présent accord équivaut durablement, dans ses effets, à l'échange automatique de renseignements [1] ».

En effet, non seulement l'accord ouvre la possibilité aux détenteurs de comptes de régulariser leur situation volontairement avec l'administration fiscale, mais encore, il permet dans le cas contraire de purger les comptes des créances fiscales nées dans leur pays d'origine avec :
- Pour le passé, une régularisation sous forme d'une imposition forfaitaire identique s'échelonnant entre 19% et 34% de la valeur des capitaux détenus en Suisse
- Pour l'avenir, un prélèvement libératoire aligné avec le taux national pratiqué dans le pays d'origine du détenteur de compte, frappant les plus-values et les revenus de capitaux mobiliers. Dans le cas britannique cependant, les taux pratiqués ont été négociés à une valeur légèrement moindre par rapport aux taux domestiques (-1% concernant les plus-values et -2% s'agissant des revenus mobiliers), afin d'éviter de faire fuir la base imposable vers des juridictions plus clémentes (Asie, Moyen-Orient).

S'agissant cette fois de la coopération pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscale, et éventuellement de nouvelles domiciliations de comptes anglais ou allemands en Suisse, les accords prévoient la possibilité pour les pays d'origine des titulaires de comptes, de ne livrer que leur nom sans l'accompagner de leur établissement bancaire d'accueil, dans la proportion de 750 à 999 demandes sous deux ans pour l'Allemagne, et de 500 demandes par an pour la Grande-Bretagne.
Par ailleurs, la mise en place du système de collecte par les banquiers suisses devrait avoir un coût de 500 millions de francs (436,38 millions d'€), tandis que ceux-ci consentiront avant collecte du paiement forfaitaire sur les capitaux détenus, deux garanties de respectivement 1,91 milliards d'€ (2 milliards de FCH) pour l'Allemagne et de 436 millions d'€ (500 millions FCH) pour la Grande-Bretagne, avec ensuite possibilité d'imputation sur les prélèvements fiscaux effectués sur les comptes étrangers, en cas de dépassement du milliard de francs suisses (873 millions d'€) de produits fiscaux reversés pour l'accord britannique et de 4 milliards pour l'Allemagne.

2) Quid de la France ?

On le voit, les concessions suisses sont importantes et la productivité des accords dès 2013 significative pour les finances publiques des deux pays (8,8 milliards puis 880 millions/an et 3 milliards puis 5,67 milliards/an). Si la France adoptait la même voie et sans préjuger des sommes que les autorités françaises pourraient négocier avec leurs homologues helvétiques, elle se situerait sans aucun doute dans la fourchette des recettes collectées pour ces deux pays, soit selon nos calculs, 4 à 5 milliards sur les capitaux détenus puis 1 à 2 milliards d'€ annuels. Le réalisme commanderait à nos politiques d'entamer au plus vite des négociations. En effet, si la liste HSBC avait permis en avril 2009 avec sa « cellule de régularisation » des évasions fiscales de rapatrier près de 7,3 milliards de capitaux avec une collecte de 1,2 milliards d'€ de revenus fiscaux pour l'État, le mécanisme qui a vécu (la dissolution de la cellule de régularisation a été prononcée au 31 décembre 2009) n'a pas démontré l'efficacité du « tout répressif » en matière fiscale : 15% de régularisation dans une perspective optimiste (4 725 contribuables « régularisés » sur les 30 000 potentiels).

Certes, les montants collectés représentent deux ans de contrôles fiscaux [2] (500 millions d'€ récupérés/an en moyenne), mais la « productivité » fiscale des régularisations françaises reste extrêmement dépendante de l'aléa que constitue le « renseignement fiscal ». Il n'est pas possible d'obtenir une ressource pérenne équivalente tous les ans sur les autres avoirs non révélés en l'état actuel des choses. Par ailleurs la France pourrait ainsi jouir d'une palette voisine des 500 demandes de renseignements par an, « boostant » ainsi l'actuelle convention fiscale franco-suisse dont un dernier avenant est entré en vigueur depuis le 4 novembre 2010.

En définitive, la solution la plus pragmatique devrait l'emporter, selon l'adage « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras » ; en effet en 2013, la France devra, si les perspectives de réduction du déficit sont tenues, revenir -3% du PIB. Il faudra alors parvenir converger pour revenir rapidement à l'équilibre. Si les anticipations actuelles sont correctes , le déficit structurel s'établira à -1,6% du PIB.

Conclusion :

Dans les conditions budgétaires actuelles, il y a fort à parier qu'un supplément inédit de ressources fiscales de l'ordre 4 à 6 milliards d'€ (0,2 à 0,3 point de PIB la première année-2013) puis de 2 milliards d'€ (0,1 point) les années suivantes et de façon parfaitement récurrente, pourrait conduire la France à réviser sa position sur le système Rubik. Il serait tragique que l'idéalisme de la justice fiscale l'emporte sur le pragmatisme et l'intérêt général. Nous rentrons dans une époque où chaque posture à son coût, c'est ce qui pourrait amener l'Italie et l'Espagne à s'intéresser elles aussi au système Rubik.

Milliards d'€AllemagneGrande-BretagneFrance (hypothèse)
Avoirs non déclarés entre 130 et 180 milliards 52 milliards 80 milliards
Consignation (payée par les banques/ remboursable) 1,91 milliard 0,436 milliard environ 0,9 milliard
Régularisation des avoirs (taux) entre 19% et 34% entre 19% et 34% entre 19% et 34%
Montant de la régularisation attendue des comptes 8,8 milliards 2,5-3 milliards environ 4 à 5 milliards
Fiscalisation des PV (taux) 26,375% 27% < 28% taux officiel 31,3%*
Fiscalisation des revenus de capitaux (taux) 26,375% 48% < 50% taux officiel 31,3%*
Rendement annuel moyen attendu 0,88 milliard 5,67 milliards 1-2 milliards
Communication des demandes de renseignement sans "fishing expeditions" de 750 à 999 demandes/2 ans 500 demandes/an 500 demandes/an ?
Notes : *sans prendre en compte pour la France du relèvement de 1,2% des prélèvements sociaux sur les revenus du capital

[1] Se reporter à la documentation de base de l'accord, disponible auprès du Département fédéral des finances (DFF). Pour la Grande-Bretagne, voir ici.

[2] Voire pour un détail des retours fiscaux, Assemblée nationale, Commission des finances, compte rendu du 17 mai 2011 : http://www.assemblee-nationale.fr/1…