Crise grecque : l'Europe politique à un euro de majorité ?
Un accord vient d'être obtenu pour sauver la Grèce, comme éventuellement d'autres pays membres de la zone euro, de la faillite : les Etats de la zone pourront accorder des prêts bilatéraux, qui seront complétés par un prêt du Fonds Monétaire International à condition que le montant de ce dernier soit minoritaire. L'Allemagne ne voulait pas d'engagement de solidarité financière, qui aurait été contraire à sa Constitution et politiquement difficile compte tenu de l'opposition populaire au soutien d'un pays considéré comme tricheur. La France et la BCE ne voulaient pas d'une immixtion du FMI dans le fonctionnement monétaire européen. L'accord entérine typiquement un compromis.
En 1875 l'amendement Wallon instaurant la République avait été voté à une voix de majorité. L'accord instituant la solidarité financière européenne à la condition que les prêts accordés à un membre défaillant proviennent « en majorité » des autres membres sera-t-il le signal d'une avancée vers l'Europe politique ?
L'histoire nous apprend que les identités nationales sont avant tout de vastes compromis, souvent obtenus par la violence, entre des revendications séparatistes provenant d'identités culturelles restreintes. L'Allemagne est un état fédéral récent et qui entend bien le rester, notamment comme antidote aux dérives du Troisième Reich. De même les Etats-Unis il y a aussi seulement un siècle et demi ne devinrent un peuple uni qu'après quatre années où le sang coula abondamment et les terres furent dévastées. Mais il reste fédéral, et même la peine de mort relève de la compétence de chaque Etat (à la différence de l'Europe). Les Catalans et les Basques ne se considèrent pas comme Espagnols, et l'unification italienne tient avant tout à la géographie. Et la taille des pays ne fait rien à l'affaire, comme le démontre le spectacle offert par Flamands et Wallons. Combien de siècles fallut-il aussi à notre hexagone pour devenir une nation ? L'histoire nous apprend enfin que les compromis nationaux ne sont pas stables, comme nous le démontrent les pays des Balkans.
La crise fait cruellement ressortir l'absence de gouvernance politique. Certains s'en gausseront pour remarquer à quel point l'Europe politique est en panne. Ils ont probablement tort. Car l'Europe ne peut avancer que lentement et à coups de compromis. L'Europe a commencé en 1957 avec le marché unique. L'union monétaire n'a qu'une dizaine d'années. C'est une tentative qui est une première dans l'histoire moderne, et elle nécessite un apprentissage. Comme celles des nations (voir ci-dessus) l'identité et l'unification politique de l'Europe peuvent, elles aussi, hésiter et bien prendre du temps. De même que leur construction pourra toujours être remise en cause, et qu'elle nécessitera une attention de tous les instants, comme le relevait en son temps le chancelier Kohl. Il n'y a pas lieu de s'en étonner ni de jouer les Cassandre à tout bout de champ.
Il y a lieu de se féliciter du compromis auxquels sont parvenus les membres de la zone euro. Annonce-t-il un saut vers une intégration européenne plus poussée ? Ce n'est pas envisageable à court terme, mais il n'est pas impossible qu'il fasse avancer certaines harmonisations comme celle de la politique fiscale, ce qui serait un pas considérable.
Au moins aussi importantes en effet que l'accord lui-même, sont les conditions auxquelles l'intervention des Etats membres serait subordonnée, et dont les mesures extrêmement contraignantes prises par la Grèce nous donnent un aperçu. Il s'agit d'un retour à l'orthodoxie budgétaire, évidemment imposé par l'Allemagne et compris comme une priorité, au moins quant à l'élimination des déficits dits structurels dont ce pays s'est fait le champion. Le Président de l'UE a en même temps reçu pour mission de réfléchir à des « instruments de prévention et de sanction » contre les Etats indisciplinés. En d'autres termes cette indiscipline par rapport aux critères de Maastricht, qui ne fait actuellement l'objet que de procédures d'amende peu coercitives, se trouverait sanctionnée plus durement, outre le refus de la solidarité par les prêts.
Les pays européens se trouvent dès lors engagés dans une direction dont il ne faut pas mésestimer l'importance. Ceux qui, notamment en France, prônent la politique de la relance par la demande, alors que celle-ci est désormais subordonnée à la priorité budgétaire, ne s'y trompent pas. Il faudra donc affirmer la volonté de réduction des déficits structurels, et cela s'imposera notamment à la France, quelle que soit la couleur de leur gouvernement. Comme pour la Grèce il est probable que cela nécessitera une augmentation des impôts aussi bien que la réduction des dépenses publiques. Il est vrai qu'en tout état de cause, Europe ou pas, la résorption de la bulle monétaire mondiale s'annonce comme un défi majeur.
Il y a en conclusion plusieurs enseignements à retenir de cette affaire. Le premier, c'est qu'une certaine Europe politique est bien en marche, même s'il ne s'agit encore que de balbutiements. Le second, c'est la priorité, forcément douloureuse, qui devra dorénavant être accordée à l'orthodoxie budgétaire. Enfin, aller plus loin dans la construction européenne ne pourra se faire qu'en cultivant le compromis et le consensus. Aucun pays n'imposera son modèle, particulièrement au plan social comme au plan fiscal. Le travers trop français, particulièrement à gauche, consistant à décréter que l'Europe suivra le modèle français ou ne sera pas, conduirait directement à ce qu'effectivement il n'y ait pas d'Europe.