Activisme de la BCE : des éclaircissements nécessaires
Mario Draghi aurait sauvé l'Europe, le 6 septembre, en décrétant le lancement des Outright Monetary Transactions (OMT) : des opérations de rachat illimité de dettes émises par les États en difficulté au sein de la zone euro. A en croire les commentateurs, la BCE va déverser des milliards d'euros frais sur la zone, ce dont il n'est pourtant pas question. Mais si une telle politique est nécessaire sur le court terme, ne va-t-elle pas dissuader les États de la zone euro d'entreprendre les réformes de fond qui s'imposent ? Et notamment les baisses de dépenses publiques ? Car il faudra alors mettre en place un contrôle très strict pour surveiller l'application du traité de stabilité.
Actuellement, la France bénéficie avec, les taux actuels, d'une facilité de financement qui lui fait faire une économie annuelle de 2,8 milliards d'euros (environ 700 millions d'euros par trimestre). Cette détente de taux se vérifie également dans les pays touchés par la crise : les taux d'intérêt d'emprunts à 10 ans ont récemment baissé notamment en Espagne de 6,6% à 5,6%. Mais cette expérience momentanée d'argent facile, ne doit pas faire oublier les contraintes du Pacte Budgétaire Européen (TSCG) (0,5% max de déficit structurel). C'est parce que celui-ci sera voté et respecté que les taux resteront facialement bas. C'est du donnant-donnant. En échange, il faudra faire baisser les dépenses structurelles.
Un mécanisme conditionné à une demande d'aide d'États qui ont accès aux marchés
Tout État qui fera appel au fonds de secours devra accepter la supervision de la troïka et abandonner une part de sa souveraineté, dans des conditions analogues à celles des plans irlandais, portugais et grec. Par ailleurs, l'État en difficulté devra avoir accès aux marchés. Si l'Irlande est le seul pays sous assistance de la troïka à avoir retrouvé les marchés début juillet, après deux ans d'absence, la Grèce et le Portugal ne peuvent pas l'imaginer tant les taux d'intérêts auxquels ils devraient faire face seraient élevés. Ce mécanisme cible donc prioritairement des pays comme l'Espagne et l'Italie, dont les besoins seraient largement supérieurs aux possibilités d'assistance offertes via le MES. A titre d'indication, les banques espagnoles possèdent 164 milliards d'euros de créances douteuses, soit 9,5% du total des créances qu'elles détiennent. De leur côté, les régions étaient endettées à hauteur de 145 milliards d'euros au premier trimestre 2012, parmi lesquels 35 milliards d'euros exigibles avant la fin de l'année. En Italie, les collectivités territoriales font également exploser la dette publique du pays : en juillet, la Sicile déclare un endettement de 21 milliards d'euros et craint la faillite. Les marchés boursiers font donc dorénavant partie intégrante des programmes d'assistance, les fonds alloués aux mécanismes de sauvetage risquant d'être insuffisants.
Un rachat illimité d'obligations à échéance maximale de 3 ans, accompagné d'une stérilisation des liquidités
La BCE n'agit ni comme la FED, ni comme la Banque d'Angleterre. La condition de stérilisation des liquidités va dans la droite ligne des thèses anti-inflationnistes défendues par l'Allemagne. Concrètement, toutes les sommes mobilisées dans le cadre de l'OMT seront retirées du circuit économique par la BCE. Il n'est donc pas question de planche à billets.
Cependant, si la BCE rachète des dettes d'États en difficulté sur le marché secondaire pour faire baisser les taux d'intérêts, elle pourrait devenir la bad bank de l'Europe, d'autant que la faible notation des titres ne sera pas un obstacle à ses rachats. Par ailleurs, des problèmes pourraient intervenir sur le moyen ou le long terme en cas d'échec des programmes d'ajustements économiques. Les titres étant d'une maturité de 1 à 3 ans, il se pourrait qu'ils arrivent à échéance avant que les déséquilibres budgétaires ne soient corrigés. Ainsi, pas évident de penser que le statut de créancier de droit commun dont jouit la BCE rassure suffisamment les investisseurs privés dans un contexte de risque persistant d'insolvabilité des États sous supervision de la troïka. A titre d'exemple, l'injection de plus de 1.000 milliards d'euros par la BCE dans le cadre d'opérations LTRO, - fin 2011-début 2012 - n'a pas semblé suffire pour rétablir la confiance.
En réalité, si la BCE agit pour permettre aux États de se financer sur les marchés, la question qui se pose est encore une fois celle de la non soutenabilité des dépenses des États européens, et de la dette publique ainsi générée depuis des dizaines d'années. Est-ce que les États qui feront appel à ces nouveaux mécanismes de sauvetage prendront le chemin des réformes structurelles ? Une réponse négative à cette question révèlerait l'inutilité de tous les mécanismes et sommes mis à disposition par les membres de la zone euro pour résoudre une crise de la dette dont ils connaissent pourtant la cause majeure.
A l'heure actuelle, l'exemple grec permet de nous apporter une partie de la réponse à cette question. Selon le journal grec de centre-gauche « To Vima », l'État et les collectivités territoriales auraient embauché, respectivement, 70.000 et 12.000 fonctionnaires en contravention aux engagements pris avec la troïka, entre 2010 et 2011. Concrètement, l'efficience des mesures de sauvetage n'ira pas de soi tant que les États n'auront pas choisi de procéder aux réformes auxquelles ils se sont engagés.
Ainsi, placée dans le cadre plus général des mécanismes de sauvetage, la mesure annoncée par Mr Draghi doit être sujette à caution. Mais elle soulève également la question du contrôle des mécanismes d'assistance européens.
On observe un renforcement du pouvoir de la BCE…
Dans le cadre de l'OMT, la BCE revendique un véritable pouvoir politique : 1) elle réitère l'obligation pour le pays en difficulté de faire appel au FMI, qui apportera son soutien à l'élaboration des programmes de réformes. Mis en relation avec l'attribution au FMI d'un statut de créancier privilégié par le traité MES, – supérieur à celui accordé au MES lui-même - la BCE le rend incontournable. 2) Elle affirme garder une totale indépendance dans l'activation, l'arrêt ou la prolongation du programme. La BCE pourrait donc décider de ne pas lancer les opérations, même si les conditions étaient remplies.
… Qui s'inscrit dans un mouvement d'autonomisation des mécanismes de sauvetage
Si la BCE est au centre des discussions, il ne faut pas oublier qu'elle n'est qu'un acteur de la crise de la zone euro parmi d'autres. En principe, la Cour des comptes européenne (CCE) est chargée de contrôler toutes les dépenses et recettes des organismes ou organes créés par l'Union, en tant qu'auditeur externe de l'UE. Mais certaines exceptions existent.
La Banque Centrale Européenne (BCE) possède un statut particulier, et ses comptes sont vérifiés par des « commissaires aux comptes externes indépendants désignés sur recommandation du conseil des gouverneurs et agréés par le Conseil ». L'article 27.2 du Protocole 4 du TFUE dispose que, par exception à la règle de l'article 287 du TFUE, le contrôle de la Cour des comptes européenne s'applique « uniquement à un examen de l'efficience de la gestion de la BCE ». La vérification des comptes de la BCE échappe donc à un examen de la CCE.
Le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) a été mis en place en 2010, et libère des fonds au bénéfice de pays sous assistance de la troïka. Il a déjà promis/versé plus de 200 milliards d'euros aux pays en difficulté. Mis en place en dehors de tout cadre communautaire, cet organisme jouit d'un statut de droit privé luxembourgeois, échappant ainsi au contrôle de l'auditeur externe de l'UE, alors même qu'il repose sur la garantie financière des membres de la zone euro. Au regard de la fragilité d'États comme l'Espagne ou l'Italie, fin 2011, la capacité du FESF a été portée à 726 milliards d'euros par tous les États de la zone euro, sauf la Grèce, l'Irlande et le Portugal. La France et l'Allemagne garantissent 50% de ce capital, en apportant respectivement 158,5 et 211,05 milliards d'euros. D'un point de vue institutionnel, le MES est un organisme européen institué par un traité, et donc en principe soumis aux règles de droit commun. Mais ce traité dispose que l'audit externe sera le fait de « commissaires aux comptes externes indépendants approuvés par le conseil des gouverneurs ». On retrouvera uniquement un membre de la CCE dans le comité des commissaires aux comptes, lui-même chargé de mener des audits indépendants. La CCE en tant que telle n'aura pas faculté à contrôler les comptes de cet organisme et se limitera à recevoir le rapport annuel établi par le comité des commissaires aux comptes.
Le Fonds Monétaire International (FMI) n'est pas un organisme européen, mais son capital est largement constitué de fonds provenant des membres de l'UE. Lors de son appel à contributions, en juin 2012, environ 182,9 milliards d'euros ont été promis par l'UE (dont 150 milliards par la zone euro et 31,4 milliards par la France), alors que le reste des participants ont alloué « seulement » 168 milliards d'euros à l'organisation. Pourtant, le contrôle des activités du FMI ne semble pas exister au niveau européen.
Conclusion
La supervision des États en difficulté au sein de la zone euro se renforce, et deux éléments majeurs doivent être évoqués.
Dans un premier temps, il est important d'avoir à l'esprit que la troïka ne fait pas corps avec l'État qu'elle contrôle. Tant que les États sous assistance ne procéderont pas de leur propre chef à des réformes de structures concentrées sur un allégement des dépenses publiques, nul ne pourra garantir le succès de ces plans de sauvetage.
Dans un second temps, c'est la question du contrôle même de ces organismes qui pose problème. Si les États membres sont supervisés par des organismes qu'il est difficile de contrôler, comment légitimer leurs initiatives ? Il ne faut pas omettre que toutes ces politiques reposent sur des fonds publics, à hauteur de plusieurs centaines de milliards d'euros.
C'est justement dans un souci de contrôle que le Tribunal Constitutionnel de Karlsruhe a conditionné toute augmentation de capital allemand au MES à l'accord préalable de la représentation nationale, et a imposé un suivi des évolutions de l'organisme.
Recommandations
Les États qui font appel aux fonds de sauvetage doivent faire l'objet d'une surveillance accrue sur le terrain, afin de contrôler le respect effectif de leurs engagements. Cette exigence a encore plus d'importance dans les États décentralisés. Des sanctions pourraient être prévues à la signature des mémorandums en cas de violation des engagements par le pays/ les collectivités.
A l'aide de mécanismes d'audit externe existant au sein de l'UE, harmoniser et simplifier les structures de contrôle des organismes de sauvetage.