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Accord européen : 4 questions majeures sans réponse

750 milliards dont 360 milliards de prêts et 390 milliards d’euros de subventions. L'accord européen fait valser - une fois encore - les milliards. 40 milliards d’euros de subventions seront destinés à la France. Le décor est planté mais plusieurs questions restent en suspens. Pourquoi la France a-t-elle seulement 40 milliards quand l’Italie récupère 81 milliards et l’Espagne 74 ? Combien la France va-t-elle payer en plus à cause du Brexit et de l'augmentation des rabais ? Pourquoi le remboursement est-il reporté au-delà de 2028 ? Et combien la France va-t-elle payer, à compter de cette date, pour rembourser ces subventions ?

Il conviendrait d’afficher plus clairement le mode de calcul des subventions pour chaque pays et la note qu’il faudra payer ensuite…  Et dire aussi clairement ce que tout cela nous demandera en face des réformes pour baisser les dépenses publiques (réforme des retraites, etc.)

L’Union emprunte sur les marchés pour s’endetter, c’est nouveau. Mais cet argent n’est pas gratuit, nous devrons le rembourser. Afficher les milliards c’est bien, expliquer combien ça va nous coûter et les réformes qu’il va falloir incontournablement mener pour les payer, ce serait mieux.

Source: Annonces des gouvernements, Le Figaro, et calculs Fondation iFRAP juillet 2020

Note : Seuls figurent pour le moment la répartition du montant total des subventions accordées (graphique 1) et en miroir le montant total des droits à contributions que les pays devraient respectivement honorer en tout ou partie (en fonction du niveau de recettes propres que la Commission entend créer pour financer les prêts consentis à partir de 2021). Ne sont pas encore connus les montants des lignes de crédits (prêts) accordées par pays pour 360 milliards. Précisons que les remboursements de prêts ne commenceraient à s'effectuer qu'à compter de 2028 et jusqu'en 2058, soit 13 milliards d'euros/an pendant 30 ans (hors intérêts). Vraisembablement, ce seront des obligations à coupon zéro (intérêt et principal remboursés en fin de prêts). 

Source: Annonces des gouvernements, Le Figaro, et calculs Fondation iFRAP juillet 2020

1- Pourquoi la France ne percevra que 40 milliards d’euros de subventions ?

Le président de la République, Emmanuel Macron, a parlé d’un accord historique et d’une véritable victoire. Le nouveau Premier ministre Jean Castex a annoncé qu’une grande partie du financement du plan de relance français de 100 milliards émanerait des subventions européennes. Pourtant, la France, tout aussi touchée sanitairement et économiquement que l’Italie et l’Espagne, ne touchera “que” 40 milliards d’euros de subventions et aucun prêt (cette question est aujourd'hui discutée puisque l'Institut Bruegel calcule lui 50,66 milliards d'euros). L’Italie, principale bénéficiaire, recevra 81,4 milliards de subventions et 127 milliards de prêts, pour un total - colossal - de 209 milliards. L’Espagne touchera quant à elle 74,4 milliards de subventions. 

Pourquoi une telle répartition ? Elle est principalement due aux critères pris en compte pour la distribution des subventions. Ainsi, 70% seraient engagés en 2021 et 2022 et leur répartition basée sur la proposition de la Commission qui prend en compte le taux de chômage 2015-2019. Les 30% restants seraient alloués en 2023 et calculés en fonction de la baisse de PIB à laquelle chaque Etat membre sera confronté en 2020 et 2021, ce qui semble plus juste comme critère. Le critère du chômage serait alors supprimé. Enfin, les montants perçus ne devront pas dépasser 6,8% du RNB (Revenu national brut) de chaque Etat membre.

2- Quand et comment remboursera-t-on les montants empruntés ?

Le remboursement de l’emprunt de la Commission n’a pas encore été précisé, puisqu’il aura lieu jusqu’en 2058. Il est même prévu qu’il n’intervienne qu’à partir de 2028, pour laisser le temps aux Etats membres de "réfléchir". Coup dur pour les générations à venir, qui s’endetteront jusque dans 40 ans.

Charles Michel a encore une fois évoqué la mise en place de “nouvelles ressources propres” pour financer le plan de relance, mais les chiffres restent très flous, voire utopiques. Les "nouvelles ressources propres" se définissent comme des recettes de nature fiscale affectées à l’Union européenne pour l’aider à financer son budget. Le Président du Conseil a relevé temporairement leur plafond de 1,2% à 1,8% du RNB de l’UE, ce qui reste insuffisant pour être véritablement efficace.

Charles Michel a proposé de lancer dès 2021 une taxe sur le plastique non recyclé. Il a ensuite évoqué la mise en place d’une taxe carbone aux frontières, d’une taxe Gafa et d’une taxe sur les transactions financières. Des taxes dont on nous parle depuis plus de dix ans pour certaines, mais qui n’ont jamais réussi à voir le jour et dont le montant des recettes est plus qu'incertain. La taxe sur le plastique non recyclé sera forcément payée aussi par les consommateurs européens...

Source : Commission européenne

3- Quel coût annuel supplémentaire pour la France ?

Il ne faut pas espérer que le contribuable français ne paiera rien de plus dans les années à venir, comme l’a affirmé Emmanuel Macron. Puisque les nouvelles ressources propres seront insuffisantes, la France devra payer l’addition et sera sans doute l'un des Etats membres les plus mis à contribution pour payer ce plan de 390 milliards de subventions (environ 67 milliards  d'euros au maximum selon les estimations).

Pourquoi ?

D'abord, la baisse du budget pluriannuel 2021-2027 par rapport à celui de 2014-2020[2] ne vient pas compenser le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne. Seuls 8 milliards seront économisés sur sept ans alors que le “trou du Brexit” est évalué à à peu près 12 milliards d’euros par an. Il faudra donc bien combler ce manque de ressources. Deuxièmement, les “rabais” accordés aux pays frugaux ont été augmentés dans le cadre de l'accord, ce qui devrait être payé en priorité par la France et l'Allemagne. Les rabais se définissent comme des mécanismes de correction du budget européen, qui exemptent certains Etats membres d’une partie de leurs contributions.

Rabais annuels accordés :

  • Danemark : 377 millions d'euros (+91%)
  • Pays-Bas :  1,921 milliard d'euros (+22%)
  • Autriche : 565 millions d'euros (+138%)
  • Suède : 1,069 milliard d'euros (+34%)

L’Allemagne, quant à elle, conserve son rabais à 3,67 milliards d'euros.

Il est donc possible d'estimer les surcoûts annuels du Brexit et des sur-rabais pour la France à 1 milliard d'euros par an minimum. A cela s'ajouterait à compter de 2028 le remboursement des prêts finançant les subventions à concurrence des montants non couverts par de nouvelles ressources propres. Cela pourrait représenter jusqu'à 2,26 milliards supplémentaires, soit un total maximal de +3,26 milliards par an (augmentant d'autant le prélèvement sur recettes au bénéfice de l'Union européenne actuellement de 21 milliards d'euros par an). 

4- Quelles contreparties seront véritablement exigées ?

La question des contreparties s’est bien évidemment posée lors des négociations. Pour les pays frugaux, il semblait nécessaire de “surveiller” les plus dispendieux, souvent les principaux bénéficiaires des aides. Les Pays-Bas voulaient mettre en place un système de veto qui a été écarté. Mais il y aura bien un mécanisme légitime de contrôle.

Les pays bénéficiaires des subventions devront présenter un programme de réformes et d’investissements qui devra se conformer aux valeurs de l’Union (article 2 TFUE) et s’inscrire dans une volonté de transition écologique. L’accord impose en effet 30% d’investissements verts.

Les plans des bénéficiaires devront être validés par la Commission et par le Conseil, à majorité qualifiée[3]. Les Etats pourront déclencher un “emergency brake”, ou frein d’urgence, s’ils estiment que le bénéficiaire ne respecte pas les conditions fixées. Cela signifie que, sur demande d’un ou plusieurs Etats membres, des enquêtes de contrôle pourront être réalisées. En cas de manquement, des mesures correctives ou des sanctions pourront être proposées.

Concernant la France, des réformes des retraites et du marché du travail pourront potentiellement être demandées, même si elles ne sont pas à ce stade conditionnelles. Nos voisins transalpins ont été beaucoup plus transparents que nous, ayant confirmé dès l'annonce du plan qu’ils auraient recours à des réformes structurelles, notamment concernant leur système de retraite. La France ne devrait pas y échapper.

Union Européenne : point sur un budget 2021-2027 revu légèrement à la baisse de 26 milliards d'euros

Le Président du Conseil Charles Michel, en charge de piloter les négociations, a proposé de diminuer une nouvelle fois le montant du cadre financier pluriannuel 2021-2027, le budget à long terme de l’UE. Ce dernier est donc passé de 1.100 milliards d’euros à 1.074 milliards, soit un peu plus d’1% du RNB des Etats membres. Cette perte de 26 milliards va dans le sens des pays frugaux, très réfractaires aux dépenses. De nombreux programmes ont par conséquent vu leurs allocations réduites, comme le Fonds de défense (- 6 mds) ou le programme pour une Europe digitale (- 1,4 md).

Tableau 1 : Comparaison de la proposition de CFP 2021-2027 de la Commission européenne (Mai 2020) à celle du Conseil (Juillet 2020), en milliards d’€

 

Proposition de la Commission mai 2020

Proposition du Conseil juillet 2020

Différence (en mds €)

1 - Marché Unique, innovation et numérique

140,7

132,8

-7,9

2 - Cohésion et valeurs

374,5

377,8

3,3

3 - Ressources naturelles et environnement

357

356,4

-0,6

4 -Migration et gestion des frontières

31,1

21,9

-9,2

5 -Résilience, Sécurité et Défense

19,4

13,6

-5,8

6 - Voisinage et le monde

102,7

98,4

-4,3

7 - Administration publique européenne

74,6

73,1

-1,5

dont Fonds de cohésion

323

=

 

TOTAL

1.100

1.074,4

-26

Source : Politico, https://www.politico.eu/article/the-eus-budget-fight-by-the-numbers/

En outre, les Européens se sont mis d’accord sur un mécanisme de relance à 750 milliards d’euros. Cependant sa composition s’éloigne des 500 milliards de subventions et 250 milliards de prêts prévus initialement en mai. En effet, le “Next generation EU” sera composé de 390 milliards d’euros de subventions et 360 milliards de prêts. En réalité les subventions directes ne s’élèvent qu’à 312,5 milliards d’euros (Voir infra), auxquelles s’ajoutent différentes lignes du budget pluriannuel dédiées. A noter que le nouveau programme pour la santé a été complètement supprimé, au même titre que l’aide humanitaire ou l’instrument de soutien à la solvabilité.

Tableau 2 : Comparaison de la proposition relative au Next Generation EU de la Commission européenne (mai 2020) à celle du Conseil européen (juillet 2020), en milliards d’€

PILIER I

Proposition Mai

Next Generation

EU

Proposition du Conseil

Juillet 2020

Différence

Facilité européenne pour la reprise et la résilience

560

672,5

112,5

dont subventions

310

312,5

2,5

dont prêts

250

360

110

REACT EU

50

47,2

-2,5

Développement rural

15

7,5

-7,5

Fonds de transition juste

30

10

-20

TOTAL pilier I

405 subventions

250 prêts

376,7 subventions

360 prêts

- 28,3 sub.

+110 prêts

PILIER II

Proposition Mai - Next Generation EU

Proposition du Conseil - Juillet 2020

Différence

Instrument de soutien à la solvabilité

26

0

-26

Invest EU

15,3

5,6

-9,7

Facilité d'investissement stratégique

15

0

-15

TOTAL pilier II

56,3

5,6

-50,7

PILIER III

Proposition Mai - Next Generation EU

Proposition du Conseil - Juillet 2020

Différence

Nouveau Programme pour la santé

7,7

0

-7,7

rescEU

2

1,9

-0,1

Horizon Europe

13,5

5

-8,5

Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération

10,5

0

-10,5

Aide humanitaire

5

0

-5

TOTAL pilier II

38,7

7,9

-30,8


[1] Voir notre analyse https://www.ifrap.org/europe-et-international/non-les-nouvelles-ressources-propres-ne-financeront-pas-le-plan-500

[2] 1082 milliards d’euros. Voir également le document final https://www.consilium.europa.eu/media/45125/210720-euco-final-conclusions-fr.pdf ainsi que https://www.contexte.com/medias/pdf/medias-documents/2020/07/Plan_de_relance_nouvelle_proposition_20_juillet.pdf

[3] La majorité qualifiée est un des modes de vote adoptés au sein du Conseil de l’Union Européenne, dans le cadre de la procédure législative ordinaire. 55% des Etats membres  représentant 65% de la population doivent exprimer un vote favorable pour que la proposition soit adoptée.