Vers un open data sur les données de santé ?
Courant 2009, les ingénieurs de Google publiaient dans la revue scientifique Nature une recherche démontrant qu'il était possible de suivre en temps réel la progression des épidémies de grippe en mesurant quels mots étaient le plus souvent recherchés sur les moteurs de recherche. L'idée était ingénieuse et crédible. En effet, le nombre de clics que reçoit Google search mais surtout la puissance des outils d'analyse, des corrélations statistiques entre épidémies et thèmes de recherche peuvent permettre des résultats en temps réel beaucoup plus rapides et précis que les outils traditionnels dont disposent les autorités de santé publique. Cet exemple un peu anecdotique illustre que la convergence entre de grandes banques de données et de nouveaux outils d'analyse (« big data ») ouvre des pistes nouvelles en faveur du suivi sanitaire de la population et peut permettre de réagir rapidement.
Depuis la création de la carte vitale, la France dispose grâce à son infrastructure temps réel, d'une banque de données sur les consommations et parcours de soins de 60 millions de Français : le système d'information inter-régimes de l'Assurance maladie SNIIR-AM. Les scandales du Mediator et de la pilule de troisième génération ont montré que les sujets de sécurité sanitaire étaient d'actualité en France. Les données permettant de les repérer existaient. Il eût suffi de les analyser.
Et pourtant, le ministère de la Santé et la direction de la sécurité sociale paraissent décidés à maintenir la France dans une démarche précautioneuse conforme à la culture de méfiance et de cloisonnement qu'affectionne la haute administration. La banque de données SNIIR-AM est probablement sans équivalent dans le monde. Ce qui est également sans équivalent, c'est qu'elle soit gardée secrète et stérile. Non seulement elle n'est pas exploitée mais son accès est interdit, sauf à un très petit nombre de chercheurs privilégiés.
Une start-up du traitement des données médicalesÀ titre d'exemple, la CNIL a délivré il ya 18 mois à une entreprise d'analyse de données (un géant de 50 employés !) le droit de conduire, après anonymisation irréversible, des études épidémiologiques à partir des feuilles de soin. L'analyse en temps réel de ce flux constituerait un outil de veille sans équivalent et permettrait "de piloter sans regarder dans le rétroviseur " (Jean Yves Grall, Directeur Général de la santé ). Ces études qui nécessitent la maîtrise d'outils statistiques nouveaux intéressent au plus haut point les chercheurs en santé publique, les Agences sanitaires, les entreprises de santé et à terme, tous les citoyens… Cette autorisation reste bloquée par la Direction de la Sécurité sociale qui refuse de libérer l'accès à une clé numérique (insérée dans une "boîte inviolable" de codage) qui permettrait en toute sécurité d'accéder à la base de données. Bloqués au démarrage pendant 18 mois, que seraient devenus Google ou les multiples start-up de l'open data ?
Ajoutons que de telles études pourraient permettre de repérer de grandes sources d'économies alors que la France surconsomme 30% de médicaments par rapport à ses voisins européens à structure d'âge et PIB/habitant équivalents (Source Cour des comptes 2011)
Un très grand nombre de pays, notamment la Grande-Bretagne, le Canada et les pays scandinaves, sobt très actifs dans le domaine d'un accès plus facile aux données de santé publique à la condition évidemment qu'elles soient tenues anonymes. De retour de New York, la ministre Fleur Pellerin s'est dite impressionnée par le nombre de nouvelles activités et d'emplois créés à New York depuis que la ville a rendu acessibles des données de santé publique. Elle s'est déclarée favorable à une ouverture de l'accès aux données de santé publique à condition qu'elles restent anonymes. Ce dernier point est l'objet d'un large consensus et les outils d'anonymisation sont fiables et en vigueur depuis longtemps.
Depuis quelques mois en France de nombreux acteurs de la société civile se font entendre et ont constitué l'initiative open data en santé qui dépasse les traditionnelles frontières politiques. Le Parlement a commencé à se saisir du dossier. Pendant ce temps, la Grande-Bretagne progresse vite et génère de nombreuses innovations et emplois en s'appuyant sur les travaux de l'institut pour les données ouvertes (UK open data Institute) inauguré début décembre 2102 et qui accueille dans ses bureaux cinq nouvelles start-up depuis son démarrage.
Comme le souligne Gilles Babinet dans un rapport pour un New deal numérique "la croissance d'un écosystème numérique suppose le passage d'une culture de défiance et de cloisonnement à une culture de libre accès, de collaboration et de partage". Pendant ce temps le bunker français tient bon. Aux dernières nouvelles la ministre de la santé a chargé un inspecteur des affaires sociales de lui faire rapport dans quelques mois. Le blocage français continue.