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Trésoreries locales : quelles réformes possibles ?

Un élu local, Yves d'Amécourt, maire de Sauveterre-de-Guyenne, une commune de 1800 habitants en Gironde, fait part ici de son expérience, revient sur le sujet des trésoreries et fait des propositions concrètes de réformes et d’économies en la matière.

Symptôme d’un Etat qui n’arrive pas à se réformer, les « trésoreries » locales

A quoi servent les quelque 4.000 trésoreries, antennes de la direction générale des finances publiques, réparties sur le territoire ? 67% des trésoreries comptent moins de 10 agents et 26% moins de 5. Or, la DGFiP estime dans des documents internes, qu'en dessous de 10 postes, une implantation ne peut plus fournir de services de qualité aux usagers.

Ces trésoreries assistent surtout les collectivités locales dans l’élaboration de leur budget. Elles réalisent pour chaque collectivité locale les « comptes de gestions » qui sont la copie exacte des « comptes administratifs » réalisés par les collectivités locales elles-mêmes. Elles conseillent et assistent les collectivités locales dans l’établissement de ces différents documents et dans leurs choix de gestion.

Les trésoreries permettent aux collectivités locales de recevoir leurs recettes et d’acquitter leurs dépenses. Concrètement, pour pouvoir honorer leurs dépenses, les collectivités locales continuent à rédiger des mandats et des titres, comme au XIXème siècle. Les titres et les mandats sont signés par le maire, ou le président, envoyés à la trésorerie la plus proche où quelqu’un les contrôle, puis les active… Ce processus de gestion des mandats et des titres occupe en France entre 50.000 et 70.000 personnes !

Ce processus n’existe pas dans les pays d’Europe qui nous entourent, lesquels comptent beaucoup moins d’agents, des homologues de la DGFiP[1] (l’écart atteint 57.937 agents avec le Royaume-Uni en 2017). La situation de la France avec un réseau d’agents de l’Etat qui tiennent les comptes de gestion des collectivités et assurent les paiements et encaissements sur le territoire, est totalement spécifique à la France. Ni l’Allemagne ni le Royaume-Uni[2] ne fonctionnent de la sorte ce qui ne les empêche pas pour autant d’assurer une grande transparence sur l’utilisation des fonds publics par les collectivités.

Une organisation qui complexifie et ralentit 

Un exemple récent : la commune attend une subvention à l'investissement de l'Etat, la DETR (Dotation d'Equipement des Territoires Ruraux) et celle-ci n'arrive pas. Nous appelons la trésorerie et on nous répond : "Ah, c'est pour vous cette somme-là ? On l'a mise sur un compte en attente car nous ne savions pas pour qui c'était !"

En effet, la Trésorerie de La Réole a un seul compte et un seul RIB, celui du Trésor Public. Elle y reçoit toutes les recettes de toutes les collectivités et syndicats dont elle a la charge. Ensuite, elle doit retrouver à quoi correspondent les sommes versées. Le personnel y passe un temps énorme. Il n'est pas rare que l'on reçoive un appel pour nous demander si telle ou telle somme nous est destinée. C'est la même chose pour le restaurant scolaire, le bus, l'assainissement, les ordures ménagères, etc.

Ce serait tellement plus simple avec un compte bancaire et un RIB par collectivité.

Un autre exemple est assez édifiant… Les DMTO (droits de mutation à titre onéreux), appelés aussi les « frais de notaires », sont des sommes qui sont encaissées par les notaires pour le compte de l’Etat, à l’occasion des ventes d’immeubles[3]. Les notaires les versent chaque mois à l’Etat via leur compte à la caisse des dépôts et consignations. Une part est reversée par l’Etat au département (entre 3,80 et 4,50%), une part à la commune (1,20% systématiquement), une part perçue par les départements est reversée à l’Etat (2,37% du montant perçu par le département systématiquement), et enfin, la part qui revient aux communes de moins de 5.000 habitants, est versée au département qui la reverse selon des règles de lissage qu’il établit. Tout cela est très long et très fastidieux.

Il serait tellement plus simple que les notaires qui sont « officiers du ministère public », les versent directement et en toute transparence, chaque mois, aux collectivités. Cela permettrait également d’économiser sur les « frais de gestion » prélevés par l’Etat.

Depuis plusieurs années déjà, les trésoreries ferment un peu partout, notamment en zone rurale

Les trésoreries sont moins nombreuses sur le territoire mais elles restent le passage obligé pour les collectivités locales. C’est la méthode du rabot qui entraine un allongement des délais de paiement des collectivités locales et une perte de conseil pour les maires ruraux car leur trésorier, chargé désormais d’une multitude de collectivités, n’a plus le temps d’exercer sa mission dans de bonnes conditions.

Pour résoudre le problème d’éloignement, au lieu de simplifier et de moderniser, l’Etat propose de numériser les mandats et les titres mais pas de changer le système des trésoreries préexistantes. On continue donc, dans les collectivités, à rédiger des mandats et des titres en double exemplaire, mais, au lieu de les poster, on les scanne et on les adresse par internet à la trésorerie.

Pourtant, si l’on prend chacune de ces fonctions séparément, il existe des solutions pour permettre d’améliorer le service rendu et de faire des économies budgétaires conséquentes.

Ces solutions sont simples :

  • Autoriser les collectivités locales à ouvrir tout simplement un compte dans la banque de réseau la plus proche : ainsi on cessera de faire des kilomètres pour aller porter le produit de nos régies à la trésorerie la plus proche ;
  • Autoriser les collectivités locales à recouvrer elles-mêmes les recettes et à régler elles-mêmes leurs dépenses : virement, carte bleue, chèque, autant de moyens de paiement et d’encaissement que les collectivités locales ne connaissent pas. Que dire de paypal, lydia… C’est de la science-fiction pour l’instant mais ce serait tellement plus efficace ;
  • Privilégier, chaque fois que c’est possible, le versement direct (exemple des DMTO) ;
  • Autoriser les collectivités locales à faire appel au service d’un expert-comptable ou commissaire aux comptes préalablement formé à la comptabilité publique ; il y a des experts comptables sur tout le territoire.

Ces solutions de bon sens permettraient tout à la fois d’améliorer le service public, de réduire les délais de paiement et d’encaissement, de réduire les distances pour le contribuable et pour les collectivités locales, de participer au développement local en faisant travailler les banques de réseaux, les experts comptables du territoire et de faire des économies substantielles dans le budget de la nation. La fermeture du réseau des trésoreries permettrait entre 1,5 et 2,1 milliards d’euros d’économies par an.

Une réforme potentiellement systémique

A l’heure actuelle la réflexion se porte plutôt sur la mise en place dans les plus grandes collectivités du compte financier unique. Celui-ci remplacerait progressivement le compte de gestion tenu par le comptable public (qui contient des informations liées au bilan et aux données patrimoniales) et le compte administratif tenu par l’ordonnateur principal. La suppression des trésoreries obligerait à basculer sur ce compte financier unique. Il faudrait donc nécessairement réduire l’émiettement des petites collectivités afin qu’elles mutualisent leurs fonctions financières. La proposition de loi du Sénat visant à réformer les communes nouvelles, évoque la possibilité d’ouvrir la voie aux « communes-communautés ». Cela pourrait accélérer le processus, retirer aux trésoreries la préparation des budgets primitifs des collectivités (représentant aujourd’hui des prestations annexes additionnelles aux rémunérations des trésoriers).

Par ailleurs, la suppression de la « centralisation des fonds » au Trésor, qui fait l’avance chaque mois des impôts locaux (elle en constitue la contrepartie), modifierait le profil de gestion de la trésorerie de l’Etat et réduirait les équipes gérant le compte de l’Etat à la banque de France (en réduisant le nombre de correspondants du Trésor). Il en résulterait une baisse des emprunts à court terme pour l’Etat. Les collectivités devraient cependant supporter l’intégralité des impayés des contribuables locaux, alors qu’aujourd’hui l’Etat les assure contre ce risque, moyenne des frais de gestion refacturés aux contribuables.

Cette solution est-elle sécurisée ?

Lorsqu’on évoque cette solution avec des représentants de la Direction des Finances Publiques, ils répondent : « C’est révolutionnaire. Vous voulez mettre fin au principe de séparation entre l’ordonnateur et le payeur », « Mais comment, dans ce cas, contrôler les élus ? ».

Pourtant la séparation entre ordonnateur et payeur n’empêche pas les détournements. Un syndicat d’adduction d’eau, en Entre-Deux-Mers en a fait les frais dernièrement. Au fil des années un des membres du personnel a détourné près de 800.000 euros en faisant signer des mandats avec un RIB personnel sans que ni le Président, ni le Trésorier ne s’en aperçoivent.

Lorsque l’affaire a été jugée, le Président du syndicat a été condamné in solidum à rembourser les sommes avec la personne. Le Trésorier, fonctionnaire de l’Etat, censé veiller à la bonne exécution des budgets, lui, non seulement n’a pas été condamné ni même inquiété, mais a été promu dans le sud de la France.

Avec l’organisation proposée, la supercherie n’aurait pas été possible. Le Président aurait inscrit « bon pour paiement » sur une facture et signé un seul chèque.

Si les comptables publics ne manient plus les fonds des collectivités (ni des caisses des écoles, etc.), cette réforme impliquera de créer une responsabilité financière spécifique des élus locaux et les rendra justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière logée au sein de la Cour des comptes. Cette évolution est cependant souhaitable car elle permettrait symétriquement de revendiquer également une responsabilité financière des ministres. Elle a pourtant été jusqu’ici écartée, notamment dans les deux lois (simples et organiques) relatives à la confiance dans la vie publique du 15 septembre 2017.

Il faudrait par ailleurs définir les modalités pratiques d’évolution des dispositifs d’alerte existants s’agissant de la soutenabilité des finances publiques locales (réseau « cocarde » notamment en Outre-mer). Rappelons qu’en cas de faillite d’une collectivité, celle-ci peut être administrée sur décision de la Chambre régionale des comptes par le préfet du département qui sera chargé provisoirement d’apurer les comptes. Il faudrait donc repenser le rôle de surveillance des chambres régionales et territoriales des comptes à leur endroit.


[1] Le dernier rapport annuel de la DGFiP dans son cahier statistique livre un personnel de 104.873 agents (p.18) et même 123.493 en exécution 2018 si on y ajoute la douane et les fonctions de prévision économique. Le HMRC et le HMT britanniques (pour conserver un périmètre comparable), représentent respectivement 64.228 agents et 1.328 agents, soit un total de 65.556 ETP. Voir, https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/726849/HMRC_Annual_Report_and_Accounts_2017-18__web_.pdf (p.110) et https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/724104/2017-18_Final_HMT_ARA__web_.pdf (p.82).

[2] Et cet écart s’accroit puisqu’en 2015, l’écart France/UK représentait 51.710 ETP et avec l’Allemagne, 5.219 ETP (sources, OCDE) mais la population est d’environ 30% supérieure à la nôtre.

[3] D’après les dernières estimations de la Fédération Nationale de l’Immobilier (FNAIM), le nombre de transactions sur les logements anciens s’établissait à 986.000 pour l’année 2017. Le montant total des ventes immobilières de 2017 est évalué par la FNAIM à 239 milliards d’euros, ce qui a généré environ 10,8 milliards d’euros de DMTO encaissés par les départements (+13%).