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Transparence de la vie publique, jusqu'où et pourquoi ?

Les annonces présidentielles oscillent entre ombre et lumière

Au sortir du conseil des ministres ce mercredi, le Président de la République a prononcé une allocution contenant des dispositions censées promouvoir pêle-mêle, le renforcement de la transparence de la vie publique, la lutte contre la fraude et la lutte contre les paradis fiscaux. Le problème c'est qu'à vouloir imposer une salutaire transparence au sein de la vie publique, il ne faudrait pas que la potion en arrive à tuer le malade, ou plus exactement que l'on veuille confondre les fins avec des moyens qui pour certains n'ont rien à voir avec la « moralisation » de la vie publique elle-même.

Transparence : « parce que l'exemplarité de la République c'est la condition de son autorité »

La lutte pour la transparence de la vie publique est juste, dans la mesure où la chose publique est l'affaire de tous et que les élus du suffrage populaire ne sont plus simplement des citoyens comme les autres. Chargés de faire la loi, d'occuper des fonctions d'administration ou des mandats exécutifs, ils manient les deniers publics, peuvent en constater l'emploi directement dans le cadre de leur fonction de représentation, et sont donc particulièrement sollicités et sujets aux conflits d'intérêts. C'est pourquoi il importe de mener la réflexion à deux niveaux :

- D'une part, celui du cumul des mandats, dont le projet de loi a été présenté au conseil des ministres mercredi 4 avril, mais pour une application à compter du 31 décembre 2016. Il est certain que lors des municipales de mars 2014, la question du choix entre exécutif local et mandat national fera partie des programmes de campagne.

- D'autre part, la mise en place du contrôle ex ante, durant le mandat et ex post des déclarations d'intérêt, d'activité et de patrimoine. Sur ce dernier point, le choix retenu de la mise en place d'une Haute autorité administrative indépendante [1] est pour la Fondation iFRAP le bon choix. En accord avec la modernisation de l'action publique et le principe du One in One out, il serait important de gager cette création, nous l'avions déjà souligné par une suppression équivalente budgétairement, ou un redéploiement à due concurrence. En clair, il s'agira de refondre et d'étendre les prérogatives déjà existantes de la Commission pour la transparence financière de la vie politique, actuellement composée de 15 membres, et qui désormais n'en comptera plus que 7 [2]. Côté extension de compétence, la commission pour la transparence doit déjà contrôler les déclarations de quelque 6.000 élus (ministres, députés européens, députés, sénateurs, élus locaux et dirigeants d'organismes publics), et procède à une vérification de l'enrichissement des élus entre le début et la fin de leur mandat par comparaison des déclarations fournies. Désormais, la Haute autorité aura une compétence accrue en y adjoignant le contrôle des membres des autorités administratives indépendantes, du Conseil constitutionnel, des collaborateurs de cabinets ministériels, du Président de la République et « des titulaires d'emplois à la décision du Gouvernement nommés en conseil des ministres et responsables des principales entreprises publiques. »

Par ailleurs, le contrôle ne s'effectuera plus uniquement par différence entre la déclaration de début et de fin de mandat, mais également sur la véracité des déclarations elles-mêmes, avec pouvoir d'injonction, d'auto-saisine, et le déclanchement d'un ESFP (examen de la situation fiscale personnelle) de chaque ministre nouvellement nommé.

Il est malheureux que le contrôle de la future Haute autorité en reste au contrôle des principales entreprises publiques sans l'étendre à l'ensemble des titulaires d'emplois à la décision du Gouvernement nommés en conseil des ministres. En réalité il existe un hiatus entre l'annonce faite par le Président et le compte-rendu du conseil publié par le Premier ministre. Le Président ayant affirmé (et seul le prononcé fait foi) : « elle contrôlera [la haute autorité ndlr] les déclarations d'intérêts des membres du gouvernement, des parlementaires, des responsables des grandes exécutifs locaux [*et des dirigeants des grandes administrations*]. » Le Président semble donc étendre le contrôle de la Haute Autorité au-delà de ce qui a été présenté en Conseil des ministres, et rendre cohérent ce qui sinon ne pourrait apparaître que déséquilibré. Malheureusement, c'est le compte rendu technique qui prime. Tout semble indiquer que les dirigeants des grandes administrations ne seront donc pas concernés par l'objectif de transparence, ce que nous ne pouvons que déplorer !

Ne seront publiées que les déclarations de patrimoine des parlementaires et des ministres, ce qui ferme du même coup la voie à la publicité de celles des principaux élus locaux, ce qui n'est pas nécessairement cohérent là non plus avec le principe de symétrie dans la transparence qui devrait résulter de la mise en place du non cumul des mandats et du contrôle effectif de la Haute autorité.

[( Déclaration de patrimoine des élus, comment font les pays voisins ?

Dans une récente étude réalisée par la Commission pour la transparence financière de la vie politique, l'organisme a présenté les différents mécanismes de déclaration d'intérêt existant dans 21 pays étrangers. On peut synthétiquement répartir ces états en trois groupes :

- 4 pays qui ne disposent d'aucun mécanisme de contrôle institutionnel des déclarations, on trouve : Principauté d'Andorre, de Monaco, Chypre et le Danemark.
- 4 pays s'appuient sur une commission de contrôle à l'instar de la France, sans rendre publiques les déclarations : La Grèce, la Slovénie et la Belgique. Mais cette dernière publie au Moniteur le détail des mandats des différents élus, et le montant de leurs rémunérations.
- 13 autres pays fondent leur stratégie de contrôle des situations patrimoniales sur la publicité des déclarations de patrimoine : Afrique du Sud, Allemagne (intérêts financiers et revenus secondaires > 10.000 euros et cadeaux et dons > 5.000 euros/an, Canada, publication pour les ministres, parlementaires, principaux titulaires de charges publiques sont publiées sous la forme d'une déclaration sommaire et pour les dons >500 dollars. Mais aussi, les États-Unis, avec la publication de 25.000 déclarations publiques de patrimoine, Italie, Japon, Lituanie, Norvège, Pays-Bas, Roumanie, République Tchèque.)]

L'angle mort, la distinction des activités privées et administratives

En proposant « d'étendre l'interdiction du cumul d'un mandat parlementaire avec l'exercice de certaines activités professionnelles pour prévenir tout conflit d'intérêts », François Hollande marche cette fois-ci en terrain glissant. Le relevé de décisions du conseil des ministres apporte des précisions : « le gouvernement proposera au Parlement d'interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l'exercice de toute activité professionnelle, sauf exceptions mentionnées dans la loi. », mais « de manière symétrique, et dans un souci d'équité, les fonctionnaires élus au Parlement seront désormais placés en position de disponibilité et non plus de détachement, pendant la durée de leur mandat. »

Les a priori à l'égard des élus issus du secteur privé sont nombreux. Ils ne sont pas sortis amoindris de l'affaire Cahuzac, et ce d'autant que l'on ignore pour le moment la nature des revenus fraudés (sont-ils issus de son activité libérale, de ses activités de conseil, d'une autre nature ?) : en voulant interdire purement et simplement l'exercice d'activités durant l'exercice des mandats nationaux sauf exceptions, le gouvernement va sans doute trop loin, dans la mesure où il serait vraisemblablement plus conforme et proportionné de vouloir énumérer les professions et activités interdites (voir encadré).

[( Les « avocats d'affaires », ça n'existe pas ! Les conseils juridiques, non plus…

Le pouvoir veut interdire l'exercice d'activité professionnelle à certaines professions. L'exclusion serait soit négative (aucune profession n'est autorisée sauf…), soit positive (toutes sont interdites sauf…), on ne sait pas encore. Au titre des professions visées on entend parler des médecins, parce que c'est le métier de Jérôme Cahuzac (les architectes auraient certainement figuré sur la liste si le même personnage l'avait été !), et les « avocats d'affaires » (référence évidente à Jean-François Copé). C'est évidemment une façon détestable de légiférer.

Pour ceux qui l'ignoreraient, et ils paraissent effectivement nombreux, y compris dans les hautes sphères, « avocat d'affaires » est une profession qui n'existe pas, pas plus que n'existe encore celle des avoués ou des conseils juridiques, qui ont été fusionnés avec les avocats. La profession d'avocat existe, mais on est avocat « tout court » ou on ne l'est pas. Tous sont soumis aux mêmes règles, s'enorgueillissent de faire partie d'une profession qui est celle d'auxiliaire de justice, encadrée par un unique Conseil de l'Ordre qui veille au respect de leurs obligations et notamment de leur serment, (lequel fait référence à l'« indépendance » de l'avocat) [3], et sait exclure les brebis galeuses. Et n'en déplaise au gouvernement qui voudrait peut-être ne viser que les avocats « d'affaires » et non ceux qui défendent la veuve et l'orphelin, il n'y a pas de hiérarchie morale à établir dans les spécialités exercées. Les délinquants ont besoin d'être défendus, et il existe des veuves indignes.

Au surplus et pour en terminer, les Conseils de l'Ordre ont établi une liste de spécialités exercées, que les avocats sont autorisés à faire figurer dans leur correspondance. Il en existe 64, répartis à l'intérieur d'une vingtaine de rubriques : pas une de ces rubriques ou spécialités ne porte le terme d' « avocat d'affaires » (sauf une intitulée « droit pénal des affaires »).

Alors, si l'on veut exclure les avocats de l'Assemblée Nationale, sachons que l'on privera cette dernière de 35 députés. Qu'en pensent les mânes de François Mitterrand, Pierre Mendès-France, Gambetta… ?

Bertrand Nouel )]

On peut comprendre qu'une activité de conseil puisse éventuellement placer l'exécutant dans une situation de conflit d'intérêts à raison de ses fonctions électives. Cependant, pour un chef d'entreprise, la problématique devrait être sensiblement différente, soit qu'il puisse être mis en place un principe de récusation personnelle d'office sur certains dossiers (selon son intime conviction) s'il choisit de poursuivre son activité, soit que le parlementaire ait délégué la gestion de son affaire à un tiers, et en ce cas, l'exercice de la plénitude de son mandat de parlementaire ne devrait poser aucun problème. Reste la question des petits commerçants, artisans et professions libérales pour lesquels la bascule dans l'univers politique devient une opération sans filet. Il n'est sans doute pas possible d'aller au-delà des principes d'indemnisation dégressive mis en place en cas de non réélection. Mais il serait logique que les fonctionnaires qui par définition jouissent de la sécurité de l'emploi ne soient pas conduits par le bénéfice de leur statut à se voir surreprésentés au Parlement [4]. Instaurer une limite à la mise en disponibilité proposée par le Gouvernement devrait pouvoir permettre d'atteindre cet objectif et, en conjonction avec la mise en place attendue du non cumul des mandats, éviter une trop forte professionnalisation de la politique.

En effet, l'introduction d'une mise en disponibilité en lieu et place de l'actuelle situation de détachement pour les mandats nationaux n'est sans doute pas suffisante par rapport aux efforts que l'on va demander aux élus issus du secteur privé. En effet, le changement de régime ne met fin temporairement qu'à l'accumulation des droits à l'avancement et à la retraite (dans son corps d'origine) du fonctionnaire élu, ce que le détachement permettait. Mais en aucun cas il n'oblige à quitter la fonction publique au-delà d'un certain délai, puisque le principe de la mise en disponibilité sur demande (actuellement prévu pour les élus locaux) est callée sur la durée du mandat. Si c'est cette voie qui est choisie, il importe pour les élus locaux ou nationaux que soit mise en place une durée limite de maintien en disponibilité, comme il en existe pour les disponibilités de droit. La majorité d'entre elles est fixée à 3 ans, pourquoi ne pas prévoir qu'au-delà d'un mandat, celui-ci entraîne la radiation pure et simple des cadres de l'administration. De la sorte, les élus issus du public comme ceux issus du privé seraient mis devant le choix de la « professionnalisation » de leur vie politique, ou préfèrerons retourner dans leur corps d'origine s'ils sont issus du public afin de ne pas risquer de perdre leur droit à réintégration ou choisiront de revenir plus tard mais en tant que contractuels.

Conclusion

En prévoyant un renforcement de la transparence de la vie publique basée sur la publication des déclarations de patrimoine des élus nationaux, des ministres et le renforcement des moyens de contrôle et de sanction, le gouvernement pare au plus pressé. Il importe de manier la loi avec fermeté mais également avec finesse. Les exagérations éventuelles concernant les interdictions de cumuls d'activité en direction du privé, ne sont pas de nature à renforcer la représentation des entrepreneurs au Parlement ce dont le débat public souffre en termes de manque de réalisme et d'efficacité économique. Par ailleurs, seule une limite ferme et uniforme imposée à la durée de mise en disponibilité pour les détenteurs de mandats politiques nationaux au sein du secteur public permettrait de faire refluer la tendance constante à la surreprésentation publique de la représentation nationale. Enfin, le choc de transparence semble avoir bien lieu s'agissant des parlementaires et des membres des autorités administratives indépendantes mais peine à s'imposer s'agissant des très hauts fonctionnaires. Pourtant la volonté présidentielle semble assez claire en la matière et en contradiction avec le contenu du conseil des ministres… La Fondation iFRAP pense cependant que le projet de loi peut être utilement enrichi et rééquilibré avant son dépôt fin avril au Parlement.

[1] Voir, Déclaration du Président de la République, à la sortie du Conseil des ministres du 10 avril 2013.

[2] La commission pour la transparence financière de la vie politique a été instituée par la loi n°88-227 du 11 mars 1988 et composée des premiers présidents ou vice-présidents du Conseil d'État, de la Cour des cassation et de la Cour des comptes, assistés de 4 magistrats issus de ces différentes juridictions. Désormais, la nouvelle Haute Autorité présidée par une personnalité nommée en conseil des ministres après avis du Parlement, se composera de 6 autres magistrats, dont 2 représentants de chaque juridiction susvisée.

[3] "Je jure, comme Avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité".

[4] Ils ne devraient pas représenter statistiquement plus de 20% des deux hémicycles, or ils représentent (actifs ou retraités) entre 43 et 44% des membres des deux chambres.