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Malgré une obligation de voter des budgets à l'équilibre, les collectivités s'endettent bien...

Les collectivités territoriales devront participer à l'effort de réduction du déficit public et de la dette du pays. Michel Barnier a rapidement évoqué le sujet lors de sa déclaration de politique générale du 1er octobre dernier, suivi du dernier rapport de la Cour des comptes qui estime qu'il est possible de réduire de 5% les effectifs des collectivités, soit 100 000 emplois pour une économie de 4,1 milliards d'euros d'ici 2030. Néanmoins de nombreuses voix s'étonnent encore de cette demande et pointent du doigt que les collectivités ont, à l'inverse de l'Etat, l'obligation de voter des budgets à l'équilibre. Qu'en est-il vraiment ?

Oui, les collectivités s'endettent bien et peuvent être déficitaires en comptabilité nationale

Premier point, il est exact que la section de fonctionnement des budgets principaux des collectivités locales doit être légalement à l'équilibre et même en excédent afin de pouvoir contribuer au financement de la section d'investissement. Cette "règle d'or" (ou d'équilibre réel) existe depuis 1996 et a été complété par une règle prudentielle sous la forme d’ODEDEL, objectif d’évolution des dépenses locales, en 2014 puis modifié en 2018.

Cependant ces règles ne préjugent pas de l'équilibre des comptes de ces mêmes collectivités locales en comptabilité nationale.

En effet, les collectivités complètent le financement de leurs investissements par endettement. Suivant l'usage de l'excédent de l'année en trésorerie, la comptabilité nationale y découvre, ou non, un déficit global et ca malgré une section de fonctionnement excédentaire. L'important étant que les deux sections soient à l'équilibre sur le plan de la comptabilité nationale mais ce n'est pas toujours le cas.

A cela s'ajoute la consolidation des budgets annexes. Ces derniers peuvent être déficitaires, déficit qui serait alors consolidé avec le solde comptable (en comptabilité nationale) des budgets principaux de ces mêmes collectivités. Les budgets annexes sont parfois classés dans les ODAL (organismes divers d'administration locales) qui viennent s'agréger aux collectivités pour former les APUL (administrations publiques locales). Parmi les ODAL on trouve la Société du Grand Pars (qui se finançant par endettement, dispose d'un solde structurellement déficitaire qui devrait être amorti sur 40 ans), mais aussi les agences de l'eau, les SDIS (services d'incendies et de secours), les CCAS/CIAS (action sociale), diverses syndicats d'exploitation, les caisses des écoles, les organismes consulaires etc.)... Or ce segment peut lui aussi présenter un solde déficitaire global en comptabilité nationale.

Voilà ce qui explique pourquoi les collectivités peuvent être déficitaires en comptabilité nationale... malgré un apparent équilibre de leurs budgets principaux. Un tour de passe-passe qui ne facilite pas la compréhension du citoyen et qui explique aussi pourquoi les collectivités doivent absolument participer au redressement des comptes publics comme les autres niveaux d'administration. En la matière, seule la comptabilité nationale fait foi. 

Alors où en est-on ? Fin 2022, la dette des collectivités et de leurs groupements montait à 159,3 milliards d'euros et, en moyenne, depuis 2016, ces dernières ont créé environ 13 milliards d'euros de dette nouvelle par an. A cette même date, le taux d'endettement (stock de dette rapporté aux recettes de fonctionnement) des collectivités était en moyenne de : 

  • 73,6% dans les communes,
  • 79,7% pour les intercommunalités,
  • 43,1% pour les départements,
  • et 116,1% pour les régions. 

Et la situation ne semble pas s'améliorer : en septembre, Bruno Le Maire, alors ministre de l'Economie, pointait un nouveau dérapage de 16 milliards du déficit 2024 des collectivités. 

Mieux contrôler les finances publiques des collectivités

En plus d'un assainissement des comptes publics des collectivités, il faut donc réfléchir à la mise en place de nouvelles règles budgétaires pour déboucher sur une démarche plus fine, analytique et partagée tout en évitant les fuites (budgets annexes, règle d’endettement, ETP). 

Les Italiens en la matière sont bien plus en avance sur la France et comparent en permanence les collectivités entre elles pour les faire converger, politique publique par politique publique, vers les bons gestionnaires. De notre côté, il faut comparer le coût de chaque service public entre collectivités : les crèches, les écoles, l’eau, la voirie… En 2018, une démarche identique à celle de l’Italie a été proposée par le Sénat mais malheureusement repoussée par l’Assemblée nationale. Le Sénat demandait aussi que tout citoyen puisse accéder aux termes du contrat passé entre l’État et chacune des 322 collectivités mais cela aussi a été rejeté. Un effort de transparence et de comparaison à relancer.

Autre élément, la France emploie à Bercy (2021) près de 127 161 agents publics (ETP) contre seulement 99 320 au Royaume-Uni sur des missions comparables. Explications : en France, le réseau des comptables publics doublonne (séparation des ordonnateurs et des comptables oblige) avec celui des directions financières de l’ensemble des organismes publics (hôpitaux, opérateurs, collectivités). La mise en place du compte financier unique et des agences comptables locales rattachées aux collectivités territoriales est indispensable.

De son côté, la Fondation IFRAP propose de lancer un acte II des contrats de « Cahors » en descendant le seuil d’éligibilité de 50 000 à 10 000 habitants pour les communes et de 150 000 à 15 000 habitants pour les EPCI, portant le nombre de collectivités éligibles à 1 557 (contre 338 aujourd’hui) et couvrant 84,2 % des dépenses de fonctionnement des collectivités (contre 66 % actuellement). Notons qu'entre 2017 et 2019, ces contrats ont permis de baisser le besoin de financement des collectivités concernés de 1,4 milliard d'euros (certes en dessous de la cible de -2,6 milliards d'euros).

Seconde proposition en la matière imposer, en lieu et place de l’Odedel, un ODAL permettant de formaliser au niveau macro-budgétaire les engagements pris dans les contrats de Cahors de seconde génération. Pour le rendre plus contraignant que son prédécesseur, il est nécessaire de créer un article 72-2 bis pour compléter l’autonomie financière des collectivités territoriales qui définirait l’Ondal : « I. Les collectivités territoriales contribuent à l’effort de redressement des finances publiques selon les modalités à l’élaboration desquelles elles sont associées et arrêté en lois de Finances. II. Il est institué un objectif national de dépenses des administrations locales exprimé en pourcentage d’évolution annuelle et en niveau. La dépense publique locale est exprimée en valeur, associant en comptabilité générale, les dépenses réelles de fonctionnement et d’investissement consolidées des budgets principaux et annexes, nettes des amortissements d’emprunts et des fonds européens. III. La dépense publique locale est présentée consolidée puis par niveaux d’administration, auxquels sont associés des plafonds d’emplois limitatifs. IV. Une conférence de contractualisation et de répartition procède à la ventilation des dépenses respectant l’Ondal entre toutes les collectivités concernées. »