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Seulement 5,7% des OQTF effectives au 1er semestre 2021

Le chiffre des OQTF (obligations de quitter le territoire français) prononcées et exécutées n’est pas une statistique publiée spontanément en France. Il faut dire que les chiffres connus des exécutions ne sont pas bons : ils sont en baisse constante depuis 2012 (22,34%) à 2021 (partiel) de 5,67% (soit près de 12% en rythme annuel). Les crédits budgétaires accordés augmentent mais sur une tendance poussive : +6% d’augmentation pour 2023. Le ministère de l’intérieur ne tient pas à la disposition du public un jeu de données à cette fin. Pourtant la DCPAF (direction centrale de la police de l’air et des frontières) dispose de ces données qu’elle communique sur demande au Parlement. Idem pour le Conseil d’Etat puisque l’ensemble des prononcés faisant l’objet d’une contestation par la justice administrative se retrouve dans les statistiques tenues par les tribunaux administratifs, lorsqu’ils sont contestés (ce qui est généralement le cas).

L’exécution des OQTF, dernières statistiques disponibles 5,7% pour 2021

Les dernières données relatives aux OQTF, font état d’un taux d’exécution extrêmement faible en 2021 de 5,7%. Il faut immédiatement corriger cette analyse par le fait qu’il s’agit uniquement des statistiques arrêtées du 1er semestre 2021. Mais lorsque les statistiques définitives seront connues, il est fort probable que ce taux soit le moins bon des dernières années (2011-2021), qui pourrait n’atteindre que les 11%.

En voici la déclinaison synthétique :

 

Obligations de quitter le territoire français (OQTF)

 

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Prononcées

59 998

82 535

89 134

88 225

79 750

81 656

85 268

103 852

122 839

107 488

61 781

Exécutées

10 016

18 441

15 213

14 765

13 518

11 653

11 665

13 114

15 013

7 376

3 501

Taux d'exécution %

16,69

22,34

17,07

16,74

16,95

14,27

13,68

12,63

12,22

6,86

5,67

Sources : DCPAF – Réponses au questionnaire budgétaire. Données provisoires. (remise à jour Sénat 2022 ici).

Un agrégat plus large : les mesures d’éloignement prononcées et exécutées

Il faut par ailleurs tenir compte d’un agrégat plus large consistant dans les mesures d’éloignement prononcées et exécutées. Les données recueillies sont les suivantes :

 

2018

2019

2020

2021

2022

2022 (p)

Mesures d'éloignement prononcées

131 812

152 181

125 713

143 226

1er trimestre

2e trimestre

3e trimestre

 

Mesures d'éloignement exécutées

Eloignements forcés (A) 

15 677

18 906

9 111

10 091

2 620

3 109

2 900

8 629

dont retours des ressortissants de pays tiers vers les pays tiers 

7 105

8 858

3 329

3 511

868

1 312

1 416

3 596

dont remises Dublin 

3 488

5 255

2 607

3 032

876

886

721

2 483

Eloignements spontanés (B) 

2 210

2 088

1 615

1 742

531

485

390

1 406

Eloignements aidés (C) 

2 070

2 752

1 658

1 570

533

555

495

1 583

Total éloignements
(forcés/spontanés/aidés) (A)+(B)+(C) 

19 957

23 746

12 384

13 403

3 684

4 149

3 785

11 618

Taux d'exécution des éloignements

15,14

15,60

9,85

9,36

    
Sources : Sénat – Réponses au questionnaire budgétaire. Ministère de l’intérieur. 

On constate que depuis le confinement de 2020, le taux d’exécution des éloignements a beaucoup chuté passant de 15,6% en 2019 à 9,36% en 2021. On devrait toutefois s’attendre à une timide montée en puissance en 2022, les éloignements forcés exécutés avec 8.629 occurrences représentant déjà à la fin du T3 2022 près de 85% de celles de l’année précédente. 

Décomposition des mesures d’éloignement forcés

La décomposition des mesures d’éloignement forcés peut se diviser majoritairement en 3 grandes catégories : les OQTF (voir supra), les interdictions du territoire et les réadmissions. Ces deux dernières catégories étant beaucoup mieux exécutées que la première :

 

Interdictions du territoire français (ITF)

 

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Prononcées

1 500

1 578

1 133

869

994

953

1 196

1 232

1 510

1 573

905

Exécutées

1 033

1 050

880

810

923

897

1 024

1 225

1 543

1 188

679

Taux d'exécution %

68,87

66,54

77,67

93,21

92,86

94,12

85,62

99,43

102,19

75,52

75,03

Sources : DCPAF – Réponses au questionnaire budgétaire 
 

Mesures de réadmissions

 

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Prononcées

7 970

6 204

6 287

6 178

7 154

8 305

17 251

27 651

27 585

16 448

9 466

Exécutées

5 728

6 316

6 038

5 314

5 014

3 338

4 589

5 372

6 890

3 664

2 064

Taux d'exécution %

71,87

101,81

96,04

86,01

70,09

40,19

26,60

19,43

24,98

22,28

21,80

Sources : DCPAF – Réponses au questionnaire budgétaire

Notons toutefois que les mesures de réadmissions sont plus larges que les strictes mesures d’éloignement forcés car on y trouve également les « remises Dublin » qui concernent « les demandeurs d’asile que la France cherche à reconduire vers d’autres Etats européens responsables de l’examen de leur demande d’asile », mais aussi des personnes assujetties à des arrêtés ministériels et préfectoraux (AME/ATE) prononcés pour l’expulsion des étrangers au comportement de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat.

Et les projections contenues dans le PLF 2023 sont particulièrement volontaristes en la matière, mais centrés uniquement sur les retours forcés en direction des pays tiers à l’Union européenne. Par ailleurs, l’indicateur de performance n’est pas construit pour prendre en compte l’ensemble des OQTF prononcés, mais seulement les retours forcés exécutés. Il en résulte qu’il s’agit d’un objectif d’enrichissement des retours forcés en ressortissants tiers à l’UE plutôt qu’un objectif d’augmentation tous azimuts des retours forcés exécutés :

Source : Bleu budgétaire de la mission Immigration, asile, intégration et DPT associé annexés au PLF 2023.

Ainsi considéré le nombre de retours forcés de ressortissants de pays tiers vers des pays tiers devrait passer de 41,5% à 55% entre 2021 et 2023… sauf que cette cible était déjà celle du PLF 2022 et qu’elle n’est pas révisée à la hausse pour les années suivantes. Il n’y a donc pas manifestement de volonté politique se traduisant sur le plan des indicateurs de performance de la mission pour améliorer significativement l’expulsion forcée d’étrangers extra-européens vers leurs pays d’origine entre 2022 et 2025. 

Quel budget pour les reconduites à la frontière ?

La mission Immigration, asile et intégration est porteuse des crédits (hors frais de personnels) en charge d’assurer l’exécution des décisions d’expulsion du territoire national, verrait en 2023 ses crédits augmenter de 6%, passant de 1,9 milliard en LFI 2022 à 2,01 milliards en PLF 2023, soit une augmentation de +113 millions d’euros. L’effet serait poursuivi jusqu’en 2025 à raison d’une augmentation de crédits (hors CAS pensions) de 50 millions d’euros en 2024 puis de 10 millions d’euros en 2025.

La capacité immobilière des CRA serait portée à 1.961 places avec la livraison du CRA d’Olivet (90 places) et l’extension du CRA de Perpignan (12 places) en 2023. Un objectif en retrait par rapport à celui anticipé pour 2023 dans le PLF 2022, qui tablait sur la création de places nouvelles à Bordeaux (140 places) portant l’objectif à 2.099 places. Le budget 2023 est donc moins disant de 138 places.

Source : Cimade, rapport sur les CRA 2021

La Cimade dans son rapport sur les CRA en 2021 fait état d’un parc opérationnel de 1.762 places en 2021 contre 1.719 places réalisées dans les bleus budgétaires (portés à 1.859 places en 2022). On assiste donc au même phénomène qu’en matière pénitentiaire à un report constant des créations de places par insuffisance des crédits d’investissement immobiliers. 

Rappelons qu’en 2022 les crédits d’investissement atteignaient en loi de finances 39,4 millions d’euros (AE) et 31,9 millions d’engagements (CP). Pour 2023, ces crédits d’investissement sont en baisse : 33,68 millions d’euros (CP) et 26,171 millions d’euros d’AE. Les crédits d’investissement baissent alors que la programmation de constructions nouvelles de CRA ralentit.

En revanche s’agissant des dépenses de fonctionnement celles-ci en 2023 représentent 52,2 millions d’euros soit une augmentation conséquente de +31,45%. S’agissant des frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière, le budget prévu est de 44,13 millions d’euros, certes en augmentation de +20,8% par rapport à l’année passée. Mais cela ne permettrait que 20 000 reconduites à la frontière. 

Par ailleurs la prise en charge des personnes en CRA sous la forme de dépenses d’intervention s’élève pour 2023 à 18,36 millions d’euros et l’accompagnement social des personnes à 9,4 millions d’euros contre en 2022, respectivement 17,14 millions et 9,05 millions d’euros. Il s’agit donc d’une progression assez faible de 5,5%.

Enfin les autres dépenses de préparation au retour, pour l’hébergement des familles déboutées devraient augmenter elles aussi significativement pour passer de 9,4 millions d’euros en 2022 à 19,27 millions d’euros en 2023, ce qui s’explique par l’intégration des financements jusqu’ici portés par le plan de relance pour 1.100 places du dispositif DPAR portant la capacité d’accueil avant éloignement à 2.151 places.

On constate donc que si l’effort d’investissement semble fléchir, des constructions additionnelles de places de CRA (centres de rétention administrative) étant reportées à 2024, on assiste cependant à une montée en puissance des crédits de fonctionnement permettant de dynamiser ces structures. Les volumes restent cependant encore largement insuffisants pour une augmentation sensible de l’exécution des OQTF prononcés dont l’objectif ne constitue même pas un indicateur de performance de la mission.