Service militaire : former les futurs militaires oui, faire de l'instruction civique non
Les finalistes de l'élection présidentielle 2017 proposent, tous les deux, le rétablissement d'une forme de service militaire/civique obligatoire de 1 mois (pour Emmanuel Macron et sans obligation de manier les armes) à 3 mois (pour Marine Le Pen). Dans une note précédente, la Fondation iFRAP avait présenté le coût et les contraintes de telles mesures qui apparaissent difficilement compatibles avec les ressources actuelles de l’État. Le rétablissement d'un service militaire de 3 mois coûterait ainsi 2 à 3 milliards d'euros, soit l'équivalent de 2 années de surcoût d'opérations extérieures.
D'autant que, des services militaires aussi courts permettent-ils de former de futurs militaires ? Ou s'agit-il d'une mission de formation civique des jeunes citoyens ? Si oui, ce service "civique" se traduirait par un coût financier moindre évidemment... mais par un coût humain, de moyens, d'entretien et administratif très lourd pour un ministère de la Défense dont les ressources actuelles, ainsi que les missions qui lui incombent, sont plus que jamais sous pression. Plutôt que de former les jeunes de la Nation, c'est de la formation des futurs militaires dont doit s'occuper le ministère de la Défense.
Ces propositions sont, cependant, l'occasion de mettre en lumière la situation des différentes formes de service militaire ou de formations militaires qui existent actuellement, et dont certaines ont été renforcées ces dernières années : le service militaire volontaire (SMV), complété depuis 2015 par le volontariat militaire d'insertion (VMI), l’École des Mousses et l’École d'enseignement technique de formation de l'armée de l'Air.
Le service militaire non obligatoire, une expérimentation qui doit se poursuivre jusqu'en 2018
Dans le cadre de la loi n°2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, est créé le volontariat militaire d'insertion (VMI) qui vise à mettre en place une nouvelle étape du service militaire volontaire (SMV) créé par la loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015, actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019, qui est l'équivalent en métropole du Service militaire adapté (SMA) mis en œuvre dans les DOM-COM pour permettre à des jeunes en difficulté d'être pris en charge dans une structure avec un encadrement militaire. Une forme de service militaire existe donc déjà en France, et l'on peut s'étonner de trouver dans le programme de Marine Le Pen, une proposition presque identique puisqu'elle souhaite étendre le SMA à toute la France métropolitaine.
Aujourd'hui, l'expérimentation du SMV avec les ressources et moyens du ministère de la Défense, est poursuivie (voir notre note spécifique sur le sujet) tout comme le VMI expérimental et ce, jusqu'au 31 décembre 20181. Il offre aux jeunes Français et Français métropolitains âgés de 18 à 26 ans, les prestations suivantes :
Possibilité de souscrire dès le 1er janvier 2017 à un contrat d'une durée minimale de 6 mois (renouvelable par périodes de 2 à 6 mois) et maximale de 12 mois ;
Formations militaire et à caractère professionnel, civique et scolaire ;
Qualité de stagiaire de la formation professionnelle au sens du Code du travail (titre IV du livre III de la sixième partie du code du travail) ;
Bénéfice du Compte personnel d’activité (CPA) ;
Octroi d'une rémunération en tant que stagiaire professionnel au sens du Code du Travail (chapitre Ier du titre IV du livre III de la sixième partie).
Ainsi, le VMI est un organisme de formation professionnelle au sens du Code du travail.
Les Écoles de formation militaires
En plus de ces 2 dispositifs expérimentaux (SMV et VMI), on trouve des centres de formation scolaire et professionnelle accessibles aux jeunes Français et Françaises volontaires âgés de 16 et 18 ans et éligibles à la taxe d'apprentissage2 :
L'Ecole des Mousses de la Marine nationale qui a réouvert en 20093 et est implantée à Brest (au sein du centre d'instruction naval) et qui dispose d'une annexe créée en 2016 à Querqueville, à Cherbourg-en-Corentin.
Elle prépare chaque année des jeunes sous des conditions :
générales : nationalité française, jouissance des droits civiques, accord du représentant légal, (sauf pour les mineurs émancipés), liberté de tout engagement avec un employeur, adhésion aux valeurs essentielles de l’institution militaire (sens de l’honneur, disponibilité, engagement pour la nation, esprit d’équipe et d’aventure, sens de l’effort, résistance à l’adversité …), aptitude physique et médicale ;
particulières : issus d’une classe de 3ème, 2de ou 1ère sans condition de diplômes.
Au nombre d'environ 240 élèves par an, ils bénéficient pendant 1 à 2 ans :
d'un enseignement général et d'un soutien scolaire individualisés, assurés par des pédagogues civils de l'éducation nationale, auxquels s'ajoutent des sorties culturelles, notamment dans le milieu maritime civil ;
d'une formation militaire élémentaire et spécifique (embarquement de découverte sur des bâtiments de tradition4 et de la force d’action navale (FAN)).
Encadrés par des militaires et le corps professoral, les Mousses bénéficient, avec un statut militaire ouvrant droit à une solde mensuelle d'un montant moyen de 80 euros, de la gratuité de différentes prestations : internat, scolarité, soutien médical, tenue militaire, réduction SNCF (75%).
Après 10 mois de formation, ils souscrivent, pour plus de ¾ d'entre eux, un contrat d'engagement de 4 ans (qui peut être prolongé au moins jusqu’à 9 ans) comme matelot de la Flotte et suivent alors une formation de 3 à 4 semaines dans les écoles de spécialité de la Marine pour apprendre les bases du métier qu’ils ont choisi : fusilier marin (protection, défense), machine (mécanique, électricité), opérations navales (opérateur radar ou sonar, navigateur), pont (manœuvres du navire, conduite d’embarcations légères), maintenance aéronautique (mise en œuvre, préparation pour le vol, entretien), pont d’envol (manœuvre des aéronefs). A l'issue, ils rejoignent leurs unités avec la possibilité d'accéder au corps des officiers mariniers et de souscrire un nouvel engagement.
Le succès de l’École des Mousses à Brest a conduit la Marine nationale à ouvrir une annexe à Querqueville – confer la déclaration de l'Amiral Rogef chef d'état-major de la marine lors de son audition au Sénat le mercredi 21 octobre 2015 : « Le succès de l’École des mousses est tel que j'ai décidé d'en créer une seconde à Cherbourg. Les élèves qui en sortent représentent mon meilleur taux de fidélisation dans la marine. Ils y demeurent à 75 %. Ce sont des jeunes en difficulté scolaire que l'on réussit à faire évoluer ! Je souhaite continuer à développer cette formation pour faire fonctionner l'ascenseur social ».
L’Ecole d’enseignement technique de l’armée de l’air (EETAA 722) a, elle, été créée en 1949 et est basée à Saintes. Elle accueille chaque année une promotion d’élèves techniciens (ET) sous les conditions :
générales identiques à celle de l’École des Mousses ;
particulières : concours national (niveau 2de) pour une entrée en 1ère et sur titre (niveau 1ère) pour une entrée directe en terminale, et signature d'un engagement de 5 ans.
Au nombre d'environ 200 élèves chaque année, ils bénéficient pendant 1 à 2 ans :
d'un enseignement général, scientifique, technique et professionnel débouchant sur 2 baccalauréats généraux (Scientifique, option Science de l'Ingénieur, Sciences et Technologies de l'Industrie et du Développement Durable), 1 baccalauréat professionnel (Aéronautique options "Systèmes" et "Avionique") ou 1 Certificat d'Aptitude Professionnelle (CAP - option Systèmes) ;
d'une formation militaire élémentaire pour tous et complémentaire pour les bacheliers.
Sous statut militaire d'engagés, ils bénéficient de la gratuité des prestations identiques à celles des Mousses avec une solde d'environ 80 euros avant l'âge de 17 ans et entre 290 et 390 euros après l'âge de 17 ans et en fonction du grade.
A l'issue de leur scolarité qui vise à les destiner à des postes de techniciens de l'aéronautique, ces ET sont orientés vers une carrière de :
sous-officier après une formation à l'École de Formation des Sous-Officiers de l'Armée de l'Air (EFSOAA) de Rochefort (17) pour les bacheliers ;
militaire du rang pour les titulaires du CAP.
Il est à noter que l'armée de terre disposait jusqu'en 1998, d'un dispositif similaire : l’École nationale technique des sous-officiers d'active (ENTSOA) basée à Issoire, créée en 1963 avec son annexe à Tulle créée en 1984 qui assurait chaque année au profit d'environ un millier d'ESOA âgés de 16 et 18 ans une formation scolaire, technico-professionnelle (électriciens, électroniciens, mécaniciens, transmissions...) et militaire sur des cycles de 2 à 3 années (allant de la 3ème à la terminale) débouchant sur des CAP, BEP et baccalauréats et une affectation dans les régiments.
Conclusion
Il existe donc déjà de nombreux services et formations militaires qui forment près de 450 jeunes dans les écoles militaires et 700 volontaires du SMV sur des périodes allant de 2 mois minimum à 2 ans. Ces formations donnent, sans conteste, un esprit civique aux jeunes recrues mais elles offrent surtout une formation à des jeunes en échec scolaire et leur permet de se reconvertir assez aisément dans le secteur civil5. Enfin, cela permet aussi aux armées de disposer d'un vivier de recrutement de personnels préalablement formés en leur sein.
Plutôt que de généraliser un service militaire obligatoire très court (de 1 à 3 mois) qui resemblerait plus à de l'instruction civique, comme le proposent Marine Le Pen et Emmanuel Macron, il serait probablement plus souhaitable de terminer les expérimentations du SMV et du VMI et de renforcer les dispositifs existants, notamment dans les Ecoles militaires qui pourraient être étendues à d'autres administrations (armée de terre, services interarmées -essences, munitions, maintenance...-) sous réserve de leurs besoins de recrutement.
Rétablir un service militaire ou civique, obligatoire, c'est prendre le risque de faire peser les moyens financiers, matériels et humains pour le mettre en place, sur un budget de la Défense déjà sous pression et ce, sans s'assurer de former de futurs recrues, aptes ou volontaires pour poursuivre une formation dans l'armée. D'autant que les promesses des deux candidats d'augmenter le budget de la Défense jusqu'à 2% du PIB (et jusqu'à 3% pour Marine Le Pen à partir de 2019), doit plutôt bénéficier à l'investissement direct auprès des forces armées et du matériel militaire6 de haute technologie, et non pas au rétablissement d'un service militaire s'apparentant à de l'éducation civique.
1Au plus tard à la fin du 16ème mois suivant le début de l’expérimentation, le Gouvernement adressera au Parlement un rapport d’évaluation proposant les suites à lui donner en détaillant le niveau de diplôme des volontaires à leur entrée dans le dispositif, leur devenir professionnel à leur sortie, le coût financier global de ce dispositif et les propositions d'un dispositif permanent qui pourrait succéder aux 2 dispositifs expérimentaux SMV et VMI.
2La taxe d'apprentissage permet de faire financer par les entreprises les dépenses de l'apprentissage et des formations technologiques et professionnelles. Son montant est calculé sur la base des rémunérations versées, et son versement est accompagné de la contribution supplémentaire à l'apprentissage (CSA) assise sur la même base.
3Son origine remontant à la loi du 16 pluviose An II (4 février 1794) et le décret du 11 octobre 1856, cette école dura de 1945 à 1988.
4Notamment des bateaux à voile : Mutin A 652, Etoile A 649, Belle-Poule A 650, Grande Hermine A 653.
5Toute personne, quels que soient son âge, sa nationalité, son statut et son niveau de formation, qui justifie d’au moins 1 an d’expérience en rapport direct avec la certification visée, peut prétendre à la VAE. Cette certification qui peut être un diplôme, un titre ou un certificat de qualification professionnelle doit être inscrite au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).
6Par exemple : les bâtiments de la Marine nationale comme l'a souligné l'IFRAP dans des différents artticles précédents.