Sentinelle : bilan et perspectives pour les années à venir
Alors que le vendredi 15 septembre 2017 un militaire de l'opération « Sentinelle » a été menacé par un agresseur avec une arme blanche à Paris (station de métro Châtelet-Les Halles) sans qu'il y ait eu de blessés, il y a lieu de présenter : le bilan de la participation des forces armées à cette mission de sécurité intérieure qui a été déclenchée le 14 janvier 2015, et une analyse sur son évolution décidée lors du conseil de défense du 14 septembre 2017.
Bilan du dispositif de l'opération « Sentinelle » lors de la période (2015-2017)
La participation des forces armées à cette opération a généré un coût humain1 en ce qui concerne les agressions et ses conséquences (notamment les blessés2) qui est le suivant :
Agressions de nature terroriste :
Agressions de nature non terroriste :
En juin 2017, le Colonel Brulon, porte-parole du général militaire de Paris, a évoqué une « une dizaine d’incidents notables par mois, insultes ou actes agressifs, souvent liés à l’alcool ». Plus particulièrement, peuvent être recensées les agressions suivantes :
En outre, il est à noter :
une augmentation du nombre d'agressions et de militaires agressés et blessés qui s'en sont suivies surtout dans le cadre d'agressions de nature non terroriste ;
un ratio plus important du nombre de militaires blessés par rapport à celui de militaires agressés dans le cadre des agressions de nature terroriste :
De plus, les agressions de nature terroriste concernent plus Paris et la région de l'Île-de-France que la province, alors que celles de nature non terroriste se sont déroulées plus en province.
En outre, la participation des forces armées à l'opération « Sentinelle » a un coût financier qui est évalué en 2016 à 145 millions € qui concerne, certes, des dépenses d'équipement ponctuelles et de fonctionnement3 mais surtout le versement d'indemnités dont le montant de certaines est croissant et qui sont les suivantes :
depuis 2015 : indemnité pour services en campagne (ISC)4 : environ 100 millions € par an ;
depuis 2016 : rétribution de 2 jours supplémentaires de permissions complémentaires planifiées (10 au lieu de 8 accordés auparavant) sous forme de l’indemnité pour temps d'activités et d'obligations professionnelles complémentaires (ITAOPC) afin de pallier les difficultés auxquelles sont fréquemment confrontés les militaires pour bénéficier de leurs permissions annuelles : évalué à 36 millions € par an ;
à compter de juin 2016 : augmentation du taux journalier de l’indemnité pour sujétion d’alerte opérationnelle (IAOPER) de 5 à 10 euros et extension de son périmètre à tout le personnel militaire participant à la protection des personnes, informations et activités sur un site du ministère des armées : évalué à 30,4 millions € par an ;
depuis 2017 : création de l'indemnité d'absence cumulée (IAC) en vue d'indemniser, sur la base d'un barème progressif, l'absence du domicile pour raisons opérationnelles au-delà de 150 jours durant l'année civile : estimé à 38,5 millions € par an.
Ce coût financier restant par décision prise en juillet 2016 à la charge du ministère des armées est imputé en grande partie sur le programme LOLF 146 « Équipement des forces ». A titre d'exemple, son montant correspond à celui de l'acquisition de 30 véhicules blindés de combat de l'infanterie (VBCI), soit l'équivalent de l'équipement de 3 compagnies d'infanterie.
De plus, la participation des forces armées à l'opération « Sentinelle » a un coût obérant leur capacité opérationnelle, notamment en ce qui concerne la baisse :
du nombre de journées d’activités d'entraînement et d'instruction collective : 70 jours en 2016 alors que la norme est de 90 jours ;
du moral des militaires5 suite à différentes causes : épuisement des personnels en raison de missions journalières répétitives à grande amplitude horaire, retard du versement des indemnités suite à des dysfonctionnements de l’écosystème de paie SIRH-LOUVOIS6, conditions d'hébergement parfois précaires, imposition des indemnités citées supra ne leur permettant plus de bénéficier de certaines aides sociales (logement, familiales...)7
du taux de renouvellement de contrat d'une partie des militaires en raison d'un sentiment de lassitude et d'inutilité ne permettant pas leur fidélisation8.
Mise en œuvre du nouveau dispositif de l'opération « Sentinelle »9
Suite au Conseil de défense du 14 septembre 2017, la ministre des armées, Madame Florence Parly, a présenté l'évolution du dispositif de l'opération « Sentinelle » qui s'appuie sur un volume d'effectifs toujours d'environ 10.000 personnels mais répartis de la façon suivante :
une force permanente déployée et chargée de la sécurité des sites sensibles (ex : écoles, lieux de culte, aéroports, gares, média...) à partir de patrouilles et non plus des gardes statistiques ;
une force de « renforcement planifié » chargée de la protection d'événements occasionnels ou saisonniers (sport, festival...) ;
une force de réserve stratégique d'environ 3.000 personnels déployables en cas d’aggravation des menaces et de crises.
Cette évolution du dispositif n'est pas forcément une "revue en profondeur" comme l'a annoncé le président de la République, Monsieur Emmanuel Macron, le 13 juillet 2017, mais plutôt un ajustement. En effet, n'a pas été pas défini pour des raisons de sécurité face aux menaces terroristes avancées par le gouvernement, le volume de la force déployée de façon permanente.
Les premiers résultats de cette évolution devraient être estimés "vraisemblablement" début 2018 par le gouvernement (notamment les ministres des armées et de l'intérieur qui étudieront chaque mois des éventuels ajustements). Il apparaîtra nécessaire de mesurer les éventuelles atténuations des effets négatifs de l'ancien dispositif qui s'appuyait sur un déploiement permanent sur le territoire entre 7.000 et 10.000 personnels. Les domaines concernés devront être les suivants :
le nombre des journées d'activités et d’entraînement des militaires ;
le coût financier, notamment en ce qui concerne la masse salariale ;
le moral des militaires.
Quant à son "efficacité" comme l'a souligné le chef de l’État, il conviendra de la mesurer à l'aune des données présentées supra qui mettent en évidence que les militaires de l'opération « Sentinelle » deviennent de plus en plus des cibles (dans des missions assurées en grande majorité sous forme de patrouilles) alors que leur efficacité à empêcher un attentat n'est pas avérée.
De plus, la nature des moyens utilisés par les agresseurs sont en majorité des armes blanches, des véhicules et des projectiles. L'arme de poing a été utilisée lors des 2 agressions de nature terroriste. A ce titre, lors de certaines agressions, les militaires ont utilisé leurs armes individuelles (fusil automatique - FAMAS - et pistolets) dont les règles d'emploi et d'engagement pour lesquelles ils ont été formés dans le cadre des OPEX ne sont pas adaptées pour des missions de sécurité intérieure10.
1Les sources ont été collectées auprès de medias nationaux, régionaux et locaux.
2Physiques et psychiques.
3Hébergement dans des sites militaires tout en notant que les collectivités prennent en charge cette dépense dans les infrastructures basées au sein de leur territoire.
4Environ entre 65 € et 94 € par jour en fonction de la catégorie des personnels (officiers et non officiers) et de leur situation familiale.
5Mis en évidence par des reportages de medias (ex : « Le Monde » du 30 juillet 2017) et des manifestations de certaines associations (ex : collectif « Femmes de militaires en colère »).
6Notamment dus à des défauts de qualité de la maintenance partagée et simultanée technico-fonctionnelle entre les systèmes d'information RH et le calculateur de solde LOUVOIS.
7Confer la question parlementaire n° 98345 du député, Monsieur Jean-François Lamour, publiée au JO le 02/08/2016 (page 7072) et publiée au JO le 25/10/2016 (page 8870).
8A l'exception a priori des militaires de la Légion étrangère.
9Qui concerne essentiellement l'armée de terre.
10Lors de l'agression de nature terroriste à Valence en 2016, il y a eu une victime civile collatérale par un tir indirect d'arme à feu.