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Seconde conférence sur les déficits en France : une limitation du déficit public insuffisante

A l'issue de la seconde conférence sur les déficits, le Président de la République a fait un pas en direction d'une « règle d'or » des finances publiques à la française. Objectif, parvenir en 2013 à 3% du PIB après réduction du déficit public à 6% en 2011 et 4,6% en 2012 quand il atteint déjà 8,3% en 2009 [1] et devrait s'établir aux alentours de 8% en 2010.

Sur le papier, l'effort à réaliser en trois ans est colossal puisqu'il représente près de 95 milliards d'€ d'économies (ou de recettes supplémentaires). Fort de ce constat, il a affirmé clairement que l'on ne pourrait s'exonérer d'une réforme constitutionnelle sur le sujet, ce qui, compte tenu de la nécessité de rassembler 3/5ème des votes des parlementaires réunis en Congrès, devrait exclure tout objectif chiffré constitutionnel contraignant sur le solde sur le modèle allemand. Cependant, en se focalisant ainsi sur un dispositif de contrainte temporelle plutôt que sur des objectifs fermes de retour à l'équilibre, le projet risque de faire apparaître un manque d'ambition qui pourrait se révéler préjudiciable à terme pour la maîtrise des dépenses publiques. Malgré la réforme constitutionnelle envisagée, il ne faudra pas écarter d'un revers de main l'exemple allemand de maîtrise de l'équilibre des comptes publics une fois les 3% de Maastricht atteints… sinon, nous repartirions dans une logique laxiste de « cigale », incompatible avec la vertu budgétaire de notre partenaire d'outre-Rhin.

Le dispositif "constitutionnel" proposé par le Président de la République

Aux termes du discours présidentiel, celui-ci affirme que la réforme projetée « ferait obligation à chaque gouvernement issu des urnes de s'engager pour cinq ans sur une trajectoire de déficit. Chaque gouvernement devrait simultanément s'engager sur la date à laquelle l'équilibre des finances publiques est atteint ». Concrètement, eu égard aux recommandations provisoires de la note d'étape du rapport Camdessus, le dispositif retenu pourrait être articulé comme suit :

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Rapport Carrez sur l'évolution de la dépense locale (version définitive)

- Une loi de programmation quinquennale qui ferait suite aux lois de programmation triennales actuelles qui pour le moment n'ont qu'une valeur indicative. En leur conférant une force « supra-législative », cela permettrait de contraindre la loi de finances annuelle à respecter le plafond des dépenses programmatiques, sauf à gager toute mesure budgétaire nouvelle par des recettes supplémentaires ou par la suppression de dépenses inscrites à due concurrence. Les lois de programmation devront rassembler d'une façon « consolidée » l'ensemble des dépenses publiques : loi de finances, loi de financement de la sécurité sociale (qui pourraient « fusionner » dans le cadre d'une remise à plat de la LOLF) ainsi que les dépenses des collectivités locales (au moins en ce qui concerne les transferts de l'Etat en leur direction, eu égard au respect du principe de libre administration des collectivités territoriales).

- Lier éventuellement le respect de cette programmation aux objectifs de retour à l'équilibre inscrits dans le programme de stabilité envoyé par le gouvernement en janvier à la commission de Bruxelles. Cela pourrait se traduire par le vote par le Parlement en juin, en lieu et place de l'actuel débat d'orientation budgétaire, sur le respect par le gouvernement de ses objectifs européens dans la loi de finances initiale de l'automne.

- Sanctuariser les lois de finances en leur réservant l'entièreté du vote des dispositions à caractère fiscal de façon à « contrôler » l'inflation des niches fiscales et des dispositifs à impact budgétaire non suffisamment « gagés » par des recettes supplémentaires effectives [2].

- Créer un « compte d'amortissement » permettant d'engranger des recettes fiscales supplémentaires en haut de cycle et ouvrir un droit limité de tirage « en bas de cycle » afin d'éviter tout « effet cagnotte » et d'amortir les chocs en cas de dégradation de la conjoncture.

- Enfin réunir un comité budgétaire indépendant (conseil consultatif des finances publiques) permettant de formuler les hypothèses macro-économiques nécessaires et de vérifier la sincérité du chiffrage du gouvernement avant transfert du budget au conseil constitutionnel pour vérification du respect des dispositions budgétaires inscrites dans la loi fondamentale.

Ces mesures proposées par le Gouvernement seront-elles suffisantes ? Nous ne le pensons pas. Elles vont certes dans la bonne direction mais il conviendrait de s'interroger sur le rejet dès la note d'étape par le rapport Camdessus de la fixation d'un solde à ne pas dépasser au sein même de la constitution.

L'exemple de la règle d'or allemande A cet égard, la réforme de 2009 de la loi fondamentale allemande a permis d'inscrire dans la constitution un « frein à l'endettement ». Cette limite au déficit public, impose à l'Etat fédéral de limiter son déficit structurel (c'est-à-dire le déficit évalué hors effets de la conjoncture) à 0,35% du PIB tandis que les états fédérés ne peuvent accorder de nouveaux emprunts dont le service dégraderait ce solde.
Par ailleurs, le suivi du dispositif est du ressort du Conseil de stabilité. Afin de situer la position du pays au sein du cycle économique et de définir la méthode la moins contestable pour l'évaluation du « déficit structurel », l'Allemagne a choisi de s'en remettre à la méthode employée par les instances européennes telle que définie par l'institut Eurostat. Afin de faire taire tout débat méthodologique sur le fond, les pouvoirs publics allemands ont fait appel à l'OCDE et à l'institut IFO. La mise en place de l'ensemble du dispositif devrait s'échelonner entre 2016 et 2020 pour l'Etat et les länder respectivement.

En effet, si l'on peut comprendre que la définition d'un solde structurel (par opposition au solde conjoncturel qui représente le solde structurel minoré ou majoré des effets de la conjoncture) puisse être un indicateur qui aurait du mal à passer auprès du grand public, il est étonnant qu'une référence à un objectif clair, lisible en termes d'efforts à produire sur le plan budgétaire pour atteindre l'équilibre le soit tout autant. La raison de cet apparent oubli ? L'Etat français est en réalité dans l'impossibilité technique de pouvoir mettre en place un système analogue à son voisin allemand.

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Rapport d'étape Camdessus mai 2010

Le rapport Camdessus apporte un éclairage bienvenu sur la question : « la fixation d'une « règle d'or » n'autorisant l'Etat à s'endetter qu'à hauteur de ses dépenses d'investissement […] poserait un problème de pertinence car elle s'apparenterait à une règle d'équilibre effectif pour le budget de l'Etat […] et soulèverait une série de difficultés de mise en œuvre pratique. » En effet, cela impliquerait (note 3 p.4) : « la nécessité de retraitements comptables (entre la comptabilité générale (…) la comptabilité nationale (…) et la comptabilité budgétaire), [ainsi qu'une] absence de possibilité de contrôle du respect de la règle au moment du vote du budget. »

Pourquoi cette absence de possibilité de contrôle ? La réponse est simple : parce que le système d'information financière de l'Etat n'est pas opérationnel. Le système Chorus qui devrait justement permettre le recoupement des comptes issus de la comptabilité générale, de la comptabilité budgétaire et de la comptabilité d'analyse des coûts n'est pas encore opérationnel.
Il est donc impossible à l'Etat de disposer d'états financiers mensuels à l'instar de n'importe quelle grande entreprise, afin de connaître la consommation précise de l'ensemble de ses crédits, ainsi que la réconciliation entre les écritures passées en comptabilité de caisse (comptabilité générale) et d'engagement (comptabilité budgétaire) afin d'offrir aux parlementaires l'image d'un tableau de bord pertinent sur la situation budgétaire et patrimoniale consolidée de l'Etat.

Cette carence vient d'ailleurs opportunément de se révéler lors de la mise en place de la phase 4 (sur 6) du déploiement de Chorus. Phase qui a visé à interconnecter avec le nouveau progiciel les systèmes comptables les moins mutualisés de l'Etat en raison de l'importance du volume de leurs écritures comptables : le ministère de la Défense, le ministère de l'Education nationale et le ministère de la Justice. Résultat, une explosion des délais de paiements [3], avec notamment des paies de professeurs non réglées et près de 2 milliards d'€ d'impayés du ministère de la défense face à ses contractants privés. A la clé, des intérêts moratoires qui vont sans doute venir alourdir une facture déjà importante pour la puissance publique.

La raison de ce grand cafouillage ? Outre les difficultés techniques afin d'assurer l'interfaçage entre le nouveau logiciel mutualisant les écritures comptables et les logiciels ad hoc de chaque ministère, la formation semble-t-il insuffisante des comptables publics. Centrés essentiellement sur le contrôle des comptes publics plus que sur la passation et l'extraction des données comptables, ceux-ci se sont vu progressivement satellisés au profit des directions financières des administrations et organismes publics au sein desquels ils interviennent. Il apparaît en effet que depuis la rédaction du décret de 1962 sur la comptabilité publique, le rôle administratif du comptable public n'a que peu évolué [4], au point qu'il apparaît indispensable de réformer ses attributions s'il veut ne pas se voir purement et simplement supplanté par des comptables privés. De telles hypothèses ne sont pas simplement d'école : ainsi la Cité de l'architecture ou le Pôle Emploi n'utilisent pas de comptables publics mais des comptables privés. Une pratique qui pourrait faire tache d'huile.

Si la mise en place définitive de Chorus n'est pas retardée et intervient bien en 2015, il sera sans doute possible de dégager des états financiers « mensuels » opérationnels dès 2016 voire 2018. Comme il semble que ce soit la cible qui sera retenue par certains experts de la commission Camdessus (en particulier Jacques Delpla) pour un retour programmatique à l'équilibre, c'est sans doute vers cette date qu'il serait utile de basculer vers un système de « règle d'or » à l'allemande. Cela aurait le mérite de la synchronisation avec notre voisin d'outre-Rhin et permettrait d'offrir une image stabilisatrice claire pour les marchés financiers.

Malheureusement, nous ne pouvons sans doute pas nous offrir le luxe de laisser l'évolution de la comptabilité publique au bon plaisir des réformes informatiques du système financier de l'Etat. Devant la profondeur de la crise la Fondation iFRAP se prononce pour une réforme rapide et en profondeur de la gestion publique. A cet égard nous proposons :
- de réformer substantiellement le décret de 1962 en ouvrant le monopole du traitement de la comptabilité publique aux comptables privés.
- de modifier en conséquence les règles comptables actuelles pour un alignement sur la comptabilité privée plus poussée comme le stipule d'ailleurs l'article 30 de la Lolf qui ne prévoit de distinction d'avec la comptabilité privée "qu'en raison des spécificités de leur action [des comptables publics]".

Le véritable effort du gouvernement sur la dépense publique Le gouvernement a déclaré qu'afin d'assurer la maîtrise de la dépense publique, la croissance du budget de l'Etat serait égale à zéro en valeur. En clair, cela veut dire que les dépenses courantes de l'Etat ne croîtront pas en 2011, même du niveau de l'inflation, gel étendu aux dotations de l'Etat aux collectivités locales (soit environ 50 milliards d'€). Par contre la stabilisation des dépenses ne se fera qu'en volume (donc suivant l'inflation) en ce qui concerne les dépenses relatives aux pensions des fonctionnaires et la charge de la dette.
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Rapport Champsore Cotis

L'effort de l'Etat se redistribue en conséquence sur les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'intervention sur 3 ans, permettant de dégager une économie de 10% sur la période. Cela représente respectivement près de 4,4 à 5 milliards d'€ et 6,8 milliards d'€ en 3 ans, soit un effort d'environ 11,2 milliards d'€. Un effort « partiellement » mangé par l'augmentation spontanée du traitement d'inactivité (retraites) des fonctionnaires : la charge de celui-ci devant croître de 6,3 milliards d'€ entre 2008 et 2015 pour la fonction publique d'Etat. Dans ces conditions, mis a part le non renouvellement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (-34 000 programmés pour l'année prochaine) pour une économie prévisible de l'ordre de 500 millions d'€, il va falloir trouver d'autres sources importantes d'économies afin de réduire substantiellement le déficit public. Celui-ci en effet s'établissait d'après les derniers chiffres de la Cour des comptes à 138 milliards d'€, soit 8,3% du PIB en 2009. Entre 2008 et 2009 l'effondrement des recettes fiscales a conduit à la détérioration du solde de l'ordre de 50,9 milliards tandis que l'accroissement des dépenses se montait à 28,1 milliards. Sur les 50,9 milliards de recettes fiscales en moins, l'effet purement conjoncturel a été chiffré par la Cour à 24,3 milliards, soit à environ 1,5% du PIB [5].

Sachant que les économies à réaliser sur 3 ans sont de 95 milliards d'€, que le retour de la croissance devrait permettre un effet d'élasticité fiscale inverse du même montant, les recettes fiscales devraient s'apprécier d'environ 50 milliards. Cela représentera un « effort résiduel » de l'ordre de 45 milliards d'€. Or la consolidation des mesures d'économies actuelles représente environ 5,7 milliards auxquels nous devons ajouter 5 milliards d'€ de recettes supplémentaires en 2 ans s'agissant du « rabotage », de la réforme et de l'annulation de certaines niches fiscales [6].

Il va donc rester environ 34 milliards d'€ à trouver, pour lesquels les pouvoirs publics devront arbitrer entre des coupes franches dans les dépenses : 11,3 milliards d'€ supplémentaires par an pendant 3 ans, ou augmenter les recettes [7]. Souhaitons que le gouvernement s'appuie davantage sur les premières que sur les secondes. A titre comparatif nous rappellerons qu'en matière de ratio entre la réduction des dépenses et l'augmentation des prélèvements, les exemples occidentaux sont les suivants : 7 contre 1 au Canada dans les années 1990, 2 contre 1 en Suède, et un ratio de 4 contre 1 prévisionnel pour la Grande-Bretagne.

[1] Chiffre issu du Rapport économique social et financier tome 1 du PLF 2010, corrigé par le Rapport de la Cour des comptes sur la certification des comptes de l'Etat 2009

[2] Cette disposition pouvant connaître une application « faible » en prévoyant la possibilité d'inscrire comme aujourd'hui des dispositions à caractère fiscal ou financier dans une loi ordinaire mais prévoyant la récapitulation de l'ensemble de ses mesures auprès de la commission des finances de chaque assemblée lors de la discussion de la loi de finances ultérieure.

[3] Une performance d'autant plus dommageable que le rapport de l'Observatoire des délais de paiement présidé par Jean-Paul Betbèze mettant en exergue une accélération des paiements de la puissance publique conformément au décret 2008-407 du 28 avril 2008 annexe 6 qui impose à l'Etat et à ses établissements publics de payer leurs fournisseurs dans un délai de 30 jours au lieu de 45. Notons qu'un décret similaire en date du 19 décembre 2008 n°2008-1355 fait obligation au secteur public local de payer ses factures en 35 jours à partir du 1er janvier 2010.

[4] en témoigne le récent colloque de la Fondafip intitulé « Quels comptables pour les comptes publics au XXIème siècle ? ».

[5] Voir, Cahiers, DGTPE, 2009/13 décembre 2009, Solde structurel et effort structurel : vers une décomposition par sous-secteurs des administrations publiques, p.26.

[6] Il semble par ailleurs que les bonnes résolutions relatives à la limitation des niches fiscales soient difficiles à mettre en place. En effet, bien souvent les « niches » sont utilisées par les ministères comme moyen d'intervention commode alternatif à la dépense budgétaire classique lorsque celle-ci est fortement limitée. Nous en avons deux exemples particulièrement récents : le Grenelle II de l'environnement et la prochaine loi agricole à venir… qui risquent de faire la part belle aux « niches fiscales » ad hoc… Rappelons qu'entre 2008 et 2009 les niches fiscales ont augmenté de 6,2% contre 4,8% affichés en loi de finances initiales. Plus que jamais il est nécessaire de mettre sous enveloppe strict les niches : d'où l'importance de la proposition de centraliser les dispositifs fiscaux au sein des lois de finances.

[7] Cet effort intègre par ailleurs un renforcement des prélèvements obligatoires sous la forme probable de prélèvements sociaux de façon à ramener l'ONDAM à 2,9% en 2011 et à 2,8% en 2012.