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Saint Pierre et Miquelon, champion de France de la représentativité nationale

Ce petit bout de France outre-Atlantique, distant de 4.600 km de notre capitale, est le dernier vestige de la présence française en Amérique du Nord. L’archipel, situé à seulement 25 km des côtes canadiennes, est peuplé d’environ 6.000 habitants et est composé de deux îles habitées : Saint-Pierre et Miquelon-Langlade.

Conquise en 1535 par Jacques Cartier, puis disputée avec les Anglais durant près de trois siècles, l’archipel devint définitivement français, après la restitution britannique prévue par le Traité de paix de Paris de 1814.

L’ancienne pêcherie est aujourd’hui la collectivité française la plus isolée d’une autre collectivité territoriale[1]. Elle a connu tour à tour les statuts de : colonie, territoire d’outre-mer (de 1946 à 1976), département d'outre-mer (de 1976 à 1985), collectivité territoriale à statut particulier (de 1985 à 2007), avant d’être érigée en collectivité d'outre-mer (COM) par la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 faisant suite à la réforme constitutionnelle portée par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003[2]. Depuis, Saint-Pierre-et-Miquelon, accompagné des deux anciennes dépendances guadeloupéennes de Saint-Martin et de Saint- Barthélemy,  est une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution.

Un sénateur et un député pour 6.000 habitants

Cet isolement géographique a certainement été la justification politique de cette représentation singulière des îliens au Parlement. Cela ne va pas sans susciter la convoitise des deux autres COM crées en 2007 (Saint-Martin et Saint-Barthélemy), qui bien que comptant chacune plus d’habitants qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, doivent se partager le même siège de député. Quoiqu’il en soit, nul autre territoire français ne peut se targuer de connaitre une représentation nationale aussi proche du citoyen que dans l’archipel nord-américain. Avec un membre de chacune des deux chambres du Parlement pour à peine plus de 6 000 habitants, Saint-Pierre-et-Miquelon est de loin en tête du classement de la représentativité par territoire. Si l’on osait un calcul assez fallacieux, avec ce niveau de représentation, l’Assemblée nationale et le Sénat compteraient à eux deux 11 000 parlementaires. Bien entendu  ces chiffres sont exagérés, mais ils permettent de pointer cette situation inédite.

La distribution des circonscriptions législatives est fondée sur une méthode de répartition par tranches de population dont le montant avoisine les 125 000 habitants en moyenne[3]. De plus, onze circonscriptions législatives ont été créées afin de représenter les Français vivant à l’étranger (un député pour environ 150 000 Français inscrits sur les registres consulaires) et une autre pour représenter les deux nouvelles collectivités d’Outre-mer (sur les  cinq existantes) de Saint-Martin et Saint-Barthélemy qui faisaient partie de la quatrième circonscription  législative  de  la  Guadeloupe.  Aujourd’hui  il  existe  577    circonscriptions

législatives dont onze attribuées aux Français de l’étranger. Leurs populations connaissent des écarts très importants, en application du principe de sur-représentativité des territoires peu peuplés. Ainsi, chaque département comporte au moins deux circonscriptions législatives, ce qui fait par exemple que le département des Hautes-Alpes possède deux députés alors que sa population dépasse à peine les 125 000 habitants. En outre, les quatre COM les moins peuplées (Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Martin et Saint-Barthélemy), possèdent trois sièges de député alors que leurs populations cumulées s’élèvent qu’à 64 828 habitants. Autre paradoxe, l’île de la Réunion possède une circonscription peuplée de 74 829 habitants et une autre peuplée de 172 769 habitants.

Classement des circonscriptions législatives par population*

(hors les 11 circonscriptions des français de l'étranger)

Rang

Nom de la circonscription

Population totale

1

Saint-Pierre-et-Miquelon - Circonscription unique

6 057

2

Wallis-et-Futuna - Circonscription unique

12 897

3

Saint-Barthélemy et Saint-Martin - Circonscription unique

45 874

4

Hautes-Alpes  - 2e circonscription

66 203

5

Cantal - 2e circonscription

66 912

6

Ariège - 1re circonscription

72 703

7

Territoire-de-Belfort      - 1re circonscription

73 593

8

Territoire-de-Belfort      - 2e circonscription

74 184

9

La Réunion  - 5e circonscription

74 829

10

Corse-du-Sud  - 1re circonscription

75 277

---

---

---

565

Nouvelle-Calédonie - 2e circonscription

172 204

566

La Réunion  - 2e circonscription

172 769

(*Date  de  référence  statistique  :  1er  janvier  2013.  Source  :  Insee,  recensement  de  la  population  2013  et recensements généraux des COM.)

La circonscription unique de Saint-Pierre-et-Miquelon est de loin la moins peuplée. A titre de comparaison, le député de Saint-Pierre-et-Miquelon représente vingt-huit fois moins d’habitants que celui élu dans  la deuxième circonscription de La Réunion.

Le constat est identique lorsque l’on regarde la répartition des sièges de la Haute assemblée, même s’il faut garder à l’esprit que le Sénat, en vertu de l’article 24 de la Constitution, assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Il est donc un peu plus  logique de considérer que chaque département ou collectivité d’outre-mer soit représenté par au moins un sénateur. Sur les 348 sénateurs, 326 sont élus dans les départements  de  métropole et d'Outre-mer, 2 en Polynésie française, 1 à Wallis et Futuna, 1 à Saint- Barthélemy, 1 à Saint-Martin, 2 en Nouvelle Calédonie, 2 à Mayotte, 1 à Saint-Pierre-et-Miquelon et 12 pour représenter les Français de l'étranger[4].

Classement du rapport population/sénateur

Rang

Territoire

Population**

Sièges

Rapport : population/sénateur

1

Saint-Pierre-et-Miquelon

6 057

1

6 057

2

Saint-Barthélemy

9 279

1

9 279

3

Wallis et Futuna

12 867

1

12 867

4

Saint-Martin

35 595

1

35 595

5

Creuse

120 872

2

60 436

- - - - - - - - - - - -

Français de l'étranger

1 650 000

12

137 500

- - - - - - - - - - - -

Paris

2 229 621

12

185 802

103

Var

1 028 583

4

257 146

104

Seine-Saint-Denis

1 552 482

6

258 747

105

Nord

2 595 536

10

259 554

106

Loire-Atlantique

1 328 620

5

265 724

107

Hérault

1 092 331

4

273 083

Moyenne France métropolitaine et DOM

65 564 756

326

201 119

Moyenne Nouvelle Calédonie et COM

875 701

10

87 570

Moyenne France (dont Français de l'étranger)

68 090 457

348

195 662

(**Source : INSEE. Recensement de la population 2013 - Limites territoriales au 1er janvier 2015.)

Une représentation politique locale pléthorique

Saint-Pierre-et-Miquelon compte 63 élus locaux pour 6 057 habitants, soit 1 élu pour environ 96 habitants, contre 1 élu pour environ 104 habitants à l’échelle nationale. Ce rapport ne montre pas une différence significative avec le reste du pays. Cependant, si l’on retranche les élus municipaux qui constituent l’écrasante majorité des élus français, l’archipel creuse sa sur-représentativité vis-à-vis des autres départements et collectivités d’outre-mer.

L’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon comporte deux communes : Saint-Pierre (5 509 habitants) et Miquelon-Langlade (616 habitants)[5]. En application de l’article L2121-2 du CGCT, Saint-Pierre élit 29 conseillers municipaux et Miquelon-Langlade élit 15 conseillers municipaux. A titre de comparaison, lors de l’accès à l’autonomie de la commune de Saint- Martin et de celle de Saint-Barthélemy, cet échelon communal a été fusionné avec la création des COM.

Outre ces conseillers municipaux en charge de l’exercice des compétences communales, la COM de Saint-Pierre-et-Miquelon est gérée par un conseil territorial de 19 membres (15 pour Saint-Pierre   et   4   pour   Miquelon-Langlade)   chargés   d’exercer,   sauf   exceptions,    les compétences dévolues par les lois et règlements aux départements et aux régions ainsi qu’à certaines compétences de l’Etat, à l’instar des impôts et taxes[6].

Sur une population métropolitaine et DOM, de laquelle on retranche celles de Martinique et de Guyane, soit 64.935.090 habitants, on élit 4.108 conseillers départementaux soit un conseiller pour environ 15.807 habitants. Pour les conseillers régionaux, on élit 1.757 conseillers régionaux, soit un conseiller pour environ 36.958 habitants. Si l’on fusionne les deux fonctions, on arrive à un conseiller pour 11.071 habitants environ. Alors que ce chiffre est  d’un conseiller territorial pour 319 à Saint-Pierre-et-Miquelon, soit une représentativité 34  fois supérieure.

Cette tendance est similaire si on la compare avec les autres territoires ultramarins :

Territoire

Population***

Nombre de membres de l'Assemblée délibérante

Rapport : population/membre

Saint-Pierre-et-Miquelon

6 057

19

319

Saint-Barthélemy

9 279

19

488

Wallis et Futuna

12 867

20

643

Saint-Martin

35 595

23

1 548

Guyane

244 118

51

4 198

Polynésie française

274 217

57

4 811

Nouvelle-Calédonie

320 595

54

5 937

Martinique

385 551

51

7 560

Lecture : à Saint-Pierre-et-Miquelon un membre du Conseil territorial représente environ 319 habitants.

(***Source : INSEE. Recensement de la population 2013 - Limites territoriales au 1er janvier 2015.)

En conclusion, cette étude n’a pas pour objet de fustiger les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon, mais plutôt de souligner cette fâcheuse tendance française à la  surreprésentation qui n’a, jusqu’à aujourd’hui, pas encore démontré son efficience.


[1] Le territoire  français  le plus proche de l’archipel est  la  partie nord de  l’île de Saint-Martin,  située à plus de  3.000 km[2] En 1946, l’ancienne colonie de Saint-Pierre-et-Miquelon devient un TOM. La loi n° 76-664 du 19 juillet 1976 relative à l’organisation de Saint-Pierre-et-Miquelon fait évoluer l’archipel vers le statut de département d'Outre-mer, avant que la loi n°85-595 du 11 juin 1985 ne modifie son statut en créant une collectivité territoriale à statut particulier. Plus proche d’un DOM que d’un TOM, la collectivité territoriale à statut particulier de Saint-Pierre-et-Miquelon est dotée des attributions conjointes du DOM et de la ROM, auxquelles il faut ajouter une spécificité majeure qui lui est propre : celle de lever tous les impôts sous son propre contrôle et pour le seul bénéfice du budget local. Le nouveau statut porté par la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 s’inscrit dans la continuité des compétences déjà attribuées à l’archipel en 1985.

[3] Ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés, ratifiée par la loi n° 2010-165 du 23 février 2010

[4] Election des sénateurs. <www.senat.fr>[5] Source : INSEE, enquête de recensement de la population de 2006.

[6] Articles  LO537 et s. du CGCT.