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Référendums : méthode et pistes de sujets possibles

La constitution de la Vème République prévoit 5 types différents de référendums : les référendums législatifs (article 11), les référendums constituants (article 89), les référendums d’initiative partagée (article 11 al.3), les référendums territoriaux (article 72-1) et les référendums d’autodétermination. Chacun permet aux citoyens d’être consultés et de participer directement à certaines décisions politiques majeures, renforçant la légitimité démocratique des choix effectués. Dans les cas qui seront envisagés ici, on s’attachera à examiner la consultation des électeurs en vertu de l’article 11 de la constitution, sur des textes déterminés soumis à leur approbation. Plusieurs limites importantes seront mises en avant en l’état actuel de la rédaction de notre constitution et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce qui pourra limiter la portée d’un recours à certains référendums en l’absence de modification préalable de la constitution.

Le champ du référendum prévu à l’article 11 de la constitution est limité :

L'article 11 de la Constitution française permet au Président de la République de soumettre à référendum certains types de projets de loi. Les matières sur lesquelles un référendum législatif peut porter sont les suivantes :

  • Organisation des pouvoirs publics : Cela inclut les réformes institutionnelles, comme la modification des structures ou des compétences des institutions publiques.

  • Réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale : Ces réformes peuvent concerner des sujets variés tels que la fiscalité, les retraites, l'éducation, la santé, ou encore les politiques environnementales.

  • Ratification d'un traité : Un référendum peut être organisé pour approuver un traité international, notamment si ce traité a des implications importantes pour la souveraineté nationale.

  • Réformes tendant à autoriser la ratification d'un accord de nature communautaire : Cela concerne les accords qui impliquent une intégration plus poussée au sein de l'Union européenne ou d'autres organisations internationales.

Par ailleurs la rédaction du point 2 de l’article 11 pourrait laisser à penser sur le plan théorique que son champ soit particulièrement large : les réformes économiques pourraient inclure des réformes fiscales majeures touchant à la vie des particuliers et des entreprises (modification des taux d’imposition et création/suppression de taxes), les réformes touchant aux retraites (âge de départ, calcul des pensions, nombre de trimestres légaux, etc.) ou au marché du travail (conditions de travail, flexibilité de l’emploi, etc.). Les réformes sociales pourraient toucher la protection sociale elle-même (prestations sociales, action sociale, allocations familiales, etc.), des réformes de l’éducation (programmes scolaires, organisation des établissements scolaires, etc.). Les réformes environnementales sont également visées expressément par le texte : réformes visant à réduire leur émission de gaz à effet de serre ou de promotion des énergies renouvelables, politique agricole visant à promouvoir des pratiques plus durables, gestion des ressources naturelles (eau et forêts), etc.). Enfin les services qui concourent à l’exercice des politiques publiques susvisées : c’est-à-dire limitativement aux réformes visant à la réorganisation des structures chargées de ces politiques publiques, la mutualisation des ressources, la digitalisation de ces services, etc. Mais aussi garantir l’accès équitable et de qualité auxdits services publics…

En réalité il faut assez vite déchanter, la jurisprudence du Conseil constitutionnel restreignant fortement ces initiatives : l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Eric Schoettl pose le décor[1] « quand on y réfléchit, le périmètre de la politique sociale et économique n’est pas si vaste : la justice, la fiscalité, la santé, la bioéthique, l’organisation des forces de l’ordre ou les conditions d’accès à la nationalité en sont par exemple exclues », mais aussi la politique migratoire d’après l’interprétation récente du Président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius dans une interview récente[2]. Le professeur Jean-Pierre Camby souligne en outre que cette restriction du champ d’application du référendum de l’article 11 s’applique également au référendum d’initiative partagée de l’article 11 al.3[3]. Et la jurisprudence le concernant a ainsi permis de « délimiter les sujets possibles qui s’étendent à l’exploitation d’un aérodrome national, à l’hôpital public ou encore à des aspects de la politique migratoire : délivrance des titres de séjour, attribution de prestations sociales, de l’aide médicale d’État, des tarifs des transports. »  Ou la réforme d’un mode de scrutin. 

Par contre ils en sont exclus en l’état actuel du droit de façon non exhaustive :

  • La taxation d’une fraction des bénéfices des entreprises,

  • Une proposition de loi visant à maintenir l’état du droit existant,

  • Un référendum centré sur des questions éthiques,

Le Conseil constitutionnel a en effet par la décision Hauchemaille (CC. Décision n°2000-21 REF du 25 juillet 2000[4]), l’existence d’un contrôle a priori par le Conseil des projets de référendum qui lui sont soumis, « sans que l’on sache si ce contrôle a priori porte sur le fond de la consultation ou seulement sur son organisation. » Cette question n’est toutefois pas totalement tranchée dans la mesure où lorsqu’il fut confronté à une demande portant sur l’objet même d’un référendum (le traité de l’Union européenne), le juge constitutionnel a considéré que « en tout état de cause, l’argument pouvait aisément être rejeté au fond », ce qui ne clarifie pas sa position en la matière, parce qu’il s’agissait finalement de rejeter un recours contestant la prise d’un acte de gouvernement.

Son usage ne pourrait s’appliquer qu’à une réforme des retraites et partiellement à la réforme du statut de la fonction publique :

À la vue des développements ci-dessus, le référendum législatif de l’article 11 pourrait parfaitement s’appliquer à toute réforme portant sur les retraites et qu’elles qu’en soient les modalités (paramétrage, création d’une composante surcomplémentaire par capitalisation, etc.). En revanche s’agissant de la réforme du statut de la fonction publique, celle-ci ne pourrait être envisagée que de façon partielle, pour ne s’appliquer qu’au statut des agents publics concourant à des politiques économiques, sociales et environnementales. On pourrait ainsi abroger le statut de la fonction publique hospitalière, puisqu’il s’agit d’un domaine couvert par le champ du référendum de l’article 11 à savoir l’hôpital (et la Santé plus généralement), les personnels des collectivités territoriales dans les CCAS/CIAS et EHPAD, mais aussi le statut des agents travaillant au sein du ministère de l’Environnement ou du ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche ; voir à des personnels relevant du ministère de l’Économie. En revanche, il ne sera pas possible de porter atteinte au statut des personnels des ministères strictement régaliens (Diplomatie, Sécurité intérieure, Militaires, agents de la DGFiP et des Douanes, de la Justice (magistrats et services pénitentiaires)). 

Une exclusion a priori de tout référendum portant sur la politique budgétaire de la France, mais possible sur l'équilibre des comptes sociaux :

En l’état des textes constitutionnels et de jurisprudence, il semble toutefois totalement exclu de pouvoir proposer un référendum sur la politique budgétaire de la France. La politique budgétaire ne peut pas être assimilée à de la politique économique stricto sensu. Par ailleurs, on a vu plus haut que si l’on pouvait théoriquement imaginer inclure dans un référendum une réforme fiscale, celle-ci en pratique était exclue même si elle visait à toucher spécifiquement les entreprises et porter ainsi directement sur la compétitivité. La jurisprudence du Conseil constitutionnel porte en particulier sur l’IS et la taxation des bénéfices des entreprises[5], ce qui ferme toute ouverture vers une politique budgétaire reposant sur un allègement massif de fiscalité par exemple (sur les impôts de production) ou en sens contraire cherchant à alourdir massivement l’imposition d’une catégorie de contribuables (par exemple les plus fortunés). En l’état du droit, il ne semble pas possible que cet obstacle soit surmonté. Pour y parvenir, il faudrait pouvoir réaliser une réforme constitutionnelle élargissant spécifiquement le champ de l’article 11 à cette matière, préalablement à l’organisation d’un référendum sur ce sujet. Il en va exactement de même en matière de politique migratoire, où cette politique ne pouvait être atteinte que partiellement via la politique d’attribution des allocations sociales et minima sociaux. 

Cependant, soumettre à référendum la question de l'équilibre des comptes sociaux et uniquement eux, serait sans doute possible, car il s'agit de mesures touchant à la politique sociale, et implique spécifiquement l'indemnisation du chômage, les dépenses de santé, la dépendance et le système de retraite. Il est même probable qu'une question relative à la mise en place d'un mécanisme d'équilibre plus restreint par exemple s'agissant des retraites (ajustement des pensions aux recettes disponibles, ajustement de l'âge de départ à la retraite en fonction de l'espérance de vie, etc.) puisse être a fortiori proposée en appui du projet de loi à valider par le suffrage direct populaire. 

La difficulté constitutionnelle d’organiser un référendum dans un contexte de reparlementarisation du régime :

Le déclenchement de toute procédure de référendum législatif suppose qu’un certain nombre de conditions soient réunies :

  • La décision du référendum relève des pouvoirs propres du chef de l’État, elle est même dispensée de tout contreseing ministériel, ce qui en fait un acte de gouvernement pour lequel le Président de la République est parfaitement irresponsable.

  • Ensuite, c’est au Gouvernement de procéder à la convocation du référendum pendant la durée de la session parlementaire et d'en effectuer la proposition, ou par celle conjointe des deux assemblées.

  • En sommes, le Gouvernement "propose", le Président de la République "dispose" et après signature, le Gouvernement organise. 

Cette procédure qui normalement ne pose aucune difficulté dans le cadre du fonctionnement institutionnel traditionnel de la Vème République - avec congruence des majorités présidentielle et législative, ou impossible en cas de cohabitation (sauf travail constructif entre le Président et le Premier ministre) - semble difficile à réunir dans la situation politique présente. En effet le Premier ministre ne peut pas prendre l’initiative du référendum, ou doit le proposer au Président de la République qui n’y fera pas obstacle et en prendrait alors la décision, ce qui suppose un accord de vues, alors même que le Gouvernement dispose d'une majorité relative à géométrie variable au Parlement. Comme le relève lapidairement le Professeur Camby : « la situation actuelle rend plus incertaine [cette] convergence exigée par l’article 11 », et ceci de part et d’autre. 

Quelques sujets de référendums pouvant être proposés en appui de projets de loi 

  • Référendum sur l'âge de la majorité pénale, qui pourrait être abaissée à 15 ans
  • Référendum sur la suppression du statut de la fonction publique dans les hôpitaux, et la fonction publique territoriale pour les politiques publiques ouvertes à référendum (les personnels des collectivités territoriales dans les CCAS/CIAS et EHPAD), mais aussi le statut des agents travaillant au sein du ministère de l’Environnement ou du ministère de l’Éducation nationale et de la Recherche ; voire à des personnels relevant du ministère de l’Économie;
  • Référendum sur l'équilibre des comptes sociaux ou de façon plus restreinte sur l'équilibre du système des retraites;
  • Référendum sur la création d'un compartiment supplémentaire de retraites par capitalisation pour tous les Français;
  • Référendum sur la clarification des compétences des collectivités territoriales, sur la création du conseiller territorial et la fusion des assemblées délibérantes des départements et des régions (il en va alors de l'organisation des pouvoirs publics).
  • Etc.

[1] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/la-constitution-interdit-elle-vraiment-un-referendum-sur-l-immigration-20250129 

[2] https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/05/06/laurent-fabius-la-preference-nationale-appliquee-de-facon-systematique-est-contraire-a-la-constitution_6231839_823448.html 

[3] Jean-Pierre Camby, Relancer le référendum ?, 6 janvier 2025, Lexbase N1404B3E.

[4] https://www.lexbase.fr/jurisprudence/896391-cons-const-decision-n-200021-ref-du-25072000-sur-une-requete-presentee-par-monsieur-stephane-hauchem

[5] CC. Décision n°2022-3 RIP du 25 octobre 2022.