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Réduction du parc automobile de l'Etat : 5 ans de non-réforme

La réduction du parc automobile de l'Etat est l'un des chantiers mis en avant par le Gouvernement afin de « réduire le train de vie de l'Etat » en taillant dans les dépenses de fonctionnement. A la clé, suivant les dernières déclarations présidentielles, la suppression annoncée de 10.000 véhicules. Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, il ne s'agit pas d'un chantier initié dans l'urgence afin d'ajuster au plus vite le périmètre de nos dépenses publiques… ou plutôt si, dans la mesure où l'administration française opposant sa terrible force d'inertie, n'a rien fait en la matière depuis 5ans.

A la clé, des dérives tous azimuts... L'Inspection générale des finances (IGF), dans un rapport de 2004 resté confidentiel relevait pêle-mêle : une surestimation des immatriculations du fichier domanial de 11%, une croissance incontrôlée du parc automobile de 33% environ en 7 ans, aboutissant à offrir en moyenne 1 véhicule léger pour 10 agents, avec une utilisation pour usage privé desdits véhicules de 71% en administration centrale.

Les vicissitudes de la réduction du parc automobile de l'Etat

En effet, dès 2005, une circulaire signée par Dominique de Villepin alors Premier ministre, tendait à réduire les frais d'entretien du parc en prenant l'angle des économies d'énergie [1] dans le prolongement de la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les objectifs de la politique énergétique de la France. A la clé une baisse de la consommation de carburant devant générer une économie supplémentaire de 40 millions d'€/an en régime de croisière. Il s'agissait ainsi (cf Annexe 1 de la circulaire) de mettre en place une ambitieuse politique d'achat de véhicules et de moderniser résolument l'entretien de la flotte jusque-là largement à la charge des ministères, chacun possédant « ses garages » attitrés, comme l'évoque la lettre du Ministre du Budget et de la Réforme de l'Etat Jean-François Copé au Ministre de l'Agriculture et de la Pêche en date du 23 novembre 2005 : « Le Premier ministre a donc décidé une réduction échelonnée (20%) des coûts globaux de gestion de ce parc et de ceux des établissements publics rattachés, d'ici à la fin 2007… [2] ». Pour ce faire, décision a été prise de constituer la MIMGA (Mission interministérielle de modernisation et de gestion du parc automobile de l'Etat) en février 2005 ; l'avancée de ses travaux ne permettra pas de tenir le calendrier prévu. Il faut dire que l'administration française partait de loin, comme l'avait montré le rapport de l'Inspection générale des finances de 2004 [3]. Celui-ci mettait en lumière que le parc civil de l'Etat était estimé fin 2003 à 83.500 véhicules pour un coût budgétaire « incomplet et non redressé » de 225 millions d'€ [4] . Le parc « complet » de l'Etat s'élevant quant à lui à 142.000 véhicules si on ajoute aux 83.500 unités du parc civil les 24.500 véhicules de gamme commerciale pour les armées et 34.000 unités de même catégorie pour la Gendarmerie.

Le parc français d'automobiles publiques est le second plus important d'Europe, derrière l'Italie championne toutes catégories en la matière (au vu des données partielles disponibles) puisqu'elle comportait en 2010, 626.760 unités (collectivités locales comprises), en hausse de 3,1% depuis 2009 (607.760 unités), l'Etat stricto sensu en comportant 172.204 très précisément en 2007 [5]. La France elle, avec ses 83.500 véhicules pour les ministères (services centraux et déconcentrés + opérateurs) n'est pas parvenue à comprimer ses effectifs en six ans. En effet, les dernières données 2010 affichent 75.000 véhicules dans les ministères auxquels s'ajoutent 17.000 chez les opérateurs de l'Etat. La flotte de véhicules civils s'établit donc à quelque 92.000 unités soit + 8.500 par rapport à 2004 mais + 7.400 véhicules depuis 2006, soit une augmentation de 10,1% en 6 ans, et +8,8% en 4 ans. On peut donc dire que les enseignements des circulaires de 2005 n'ont pas eu pour le moment d'effet visible.

Comparaison des flottes de véhicules des administrations dans les pays occidentaux
PaysNombre de véhicules recensés
(mise à jour Fondation iFRAP)
Principales administrations concernéesObservations
Allemagne 130 000 Défense (26 000), sécurité sociale, police Etat fédéral
Canada 26 000 GRC (Gendarmerie royale du Canada), défense, agriculture et parcs Etat fédéral
Espagne 1 072 (administrations centrales seulement, le reste étant externalisé sous forme de LLD (locations longues durées) Economie, Justice Etat quasi-fédéral (communautés autonomes)
Grande-Bretagne 200 (administrations centrales) + 2000 à 3000 (douanes) Les voitures des administrations sont très peu nombreuses notamment en raison des restrictions de circulation à Londres
Italie 150 000 à 200 000 (hors collectivités locales) mais avec 626 760 (en 2010) collectivités locales comprises ! Police, Economie et Finances - Chiffre total Etat y compris services déconcentrés et établissements publics
- Politique de recours important à la location de longue durée
Japon 3 400 Finances, Territoires et transports, Santé
France 142 000 (Dont 83 500 en 2004* auxquels s'ajoutent 24 500 armées, et 34 000 gendarmerie) Etat unitaire, chiffres hors administrations territoriales et hors entreprises publiques
Etats-Unis 72 000 (état fédéral) Etat fédéral
Sources : IGF/IGA Mission d'Audit de Modernisation octobre 2006, Rapport sur l'assurance des véhicules de l'Etat, p.17 et actualisation Fondation iFRAP.
(*) Les chiffres 2010 seront discutés infra.

La relance du processus de cession/modernisation à partir de 2010

Or, d'après l'une des trois circulaires en date du 2 juillet 2010 [6] (n°5479/SG), et suivant la volonté présidentielle de réduire le train de vie de l'Etat, les choses devraient sensiblement évoluer à compter de 2011. A la mutualisation des achats et à l'externalisation de l'entretien et de la gestion de la flotte (hors services de douane, de l'armée (qui a déjà externalisé son entretien véhicule auprès de prestataires privés depuis de nombreuses années) et de l'équipement [7] (ce qui est beaucoup plus contestable)), le parc sera réduit de 10.000 véhicules d'ici à 2013. Par ailleurs, les achats de carburant seront mutualisés par carte accréditive, et pilotés par les ministères chargés de l'Intérieur et de la Défense. Sans préjuger du bénéfice anticipé des ventes à venir et des gains de non-renouvellement, la baisse de 20% des coûts de gestion du parc devrait rapporter 140 millions d'économies pour un coût de gestion annuel évalué à 700 millions d'€/an.

On remarquera toutefois que cet objectif de -20% des coûts de gestion était anticipé depuis 2005, et que l'usage de cartes accréditives était prévu depuis 2006 [8] et devait entrer en vigueur au plus tard en 2008 pour l'ensemble des services de l'Etat… deux ans plus tard, il n'était pas encore achevé. Par ailleurs il était anticipé des gains annuels pour vente de véhicules de 6 millions d'€/an, représentant la vente de 12.400 véhicules entre 2005 et 2006, le parc de l'Etat « diminuant » officiellement de 9.600 véhicules entre 2004 et 2006 soit une diminution de 6% en 2 ans. Il semble donc que les effectifs se sont substantiellement reconstitués puisqu'ils ont, on l'a souligné, augmenté de 10,1% en 6 ans ! Soit une hausse de près de 25% en quatre ans (opérateurs compris) [9]. A partir de 2010, le non-renouvellement des véhicules se fera par l'intermédiaire d'un important programme de cessions/destructions : aliénation des véhicules les plus anciens (> à 7 ans d'âge) et destruction de ceux utilisés depuis plus de 9 ans… Cela se traduira par le non renouvellement d'un véhicule sur 3 sur un parc automobile de plus de 7 ans évalué à 21.000 unités (soit 7.000 véhicules en tout) [10]. Le reste étant complété (3.000) au fil de l'eau en 3 ans [11].

Par ailleurs, afin d'effectuer d'importantes économies, il est prévu que les ministères, à l'instigation du SAE (service des achats de l'Etat créé par un décret du 17 mars 2009 [12]), recourent systématiquement aux services de l'UGAP (Union des groupements d'achats publics). Cet organisme constitué sous forme d'EPIC, regroupe actuellement près de 900 collaborateurs. Il est issu de la fusion en 1985 entre le service d'achat du ministère de l'Education nationale et celui du ministère des Finances. Il est pour le moins curieux que ce service, qui semble par certains aspects faire doublon avec l'actuel SAE (qui se comporte certes plus comme une direction achat que comme une centrale), devienne le passage obligé en matière d'achat de véhicules. En quoi celui-ci est-il plus performant que les centrales d'achat privées ? Et dans l'affirmative pourquoi conserver à cet EPIC son caractère public plutôt que de le privatiser ? On l'aura compris, en matière de réduction du train de vie de l'Etat les réductions se font pour le moment au compte-gouttes et les réformes initiées mettent des années à produire leurs effets. En définitive, il n'y a qu'à voir avec quelle lenteur les immatriculations des véhicules de l'Etat ont basculé des registres de France Domaine dans ceux du parc automobile national comme l'ensemble des véhicules privés (SIV : système d'immatriculation des véhicules). Initiée en 2005, cette initiative devait se concrétiser en 2007, il faudra attendre le 1er janvier 2009 pour que celle-ci voie véritablement le jour... et encore, le basculement semble incomplet puisque les véhicules enregistrés antérieurement au 1er janvier 2009 restent toujours dans les fichiers de France Domaine.

Ceci explique pourquoi ce n'est qu'à compter de 2010 que l'Etat disposera finalement de données actualisées semestriellement sur son parc de véhicules (services centraux, déconcentrés et opérateurs), pour qu'à compter du 1er janvier 2011 une mission d'appui diffuse semestriellement aux ministères un état des véhicules à aliéner à partir des informations d'immatriculations extraites. Or cette information semestrielle était déjà mentionnée dans la circulaire Villepin de 2005 et devait intervenir par l'intermédiaire de la DNID (ancienne direction nationale d'interventions domaniales) qui devait diffuser ce type d'informations aux ministères et aux EPA à compter du 1er mai 2006… cela laisse songeur.

En conséquence, il est temps que les pouvoirs publics s'engagent à :
- Externaliser la gestion du parc automobile par l'intermédiaire d'un ou de plusieurs gestionnaires de flottes privés
- Proposer un objectif de baisse chiffré du nombre de personnels (chauffeurs, garagistes et corps techniques) autrefois affectés à l'entretien et à l'utilisation des véhicules désormais supprimés ou externalisés.
- Annoncer une politique ambitieuse de prise en bail en LLD (location longue durée) de concert avec une politique de cession par vagues de véhicules supplémentaires au-delà des 10.000 déjà programmés.
- Privatiser l'UGAP qui en tant que centrale d'achat est mise en concurrence régulière avec ses homologues privées.
- limiter fermement les utilisations de véhicules du parc public à la disposition des agents pour tout usage privé, en supprimant progressivement la politique d'auto-assurance de l'Etat, et en forçant les "usagers" à contracter des polices d'assurance privées.
- Assujettir les bénéficiaires à titre privé de ces véhicules à une déclaration de ces avantages en nature, qui seront dûment fiscalisés.
- Enfin procéder à un recensement unifié des véhicules et à une politique de transparence sur les flottes des ministères et des opérateurs, sur leur réduction, et les gains obtenus, ministère par ministère, opérateur par opérateur et en consolidé.

[1] Voir la circulaire n°5 102/SG du 28 septembre 2005 intitulée « Rôle exemplaire de l'Etat en matière d'économies d'énergie », en particulier son alinéa 1 : « La France soutiendra la définition d'un objectif de division par deux des émissions mondiales de gaz à effet de serre d'ici 2050 […] l'Etat, ses établissements publics et les entreprises nationales mettent en œuvre des plans d'action exemplaires aussi bien dans la gestion de leurs parcs immobiliers que dans leurs politiques d'achat de véhicules. » On relèvera d'ailleurs qu'en vertu de la circulaire du Premier ministre du 24 janvier 1991, il existe dans chaque ministère un « Haut fonctionnaire Energie » chargé de suivre les mesures d'économie d'énergie de l'administration. On pourra s'interroger sur le bilan de son action sachant que visiblement, il n'avait pas la main sur la politique d'achat des fournitures et matériels qui dépendait de la « direction achat » de chaque ministère.

[2] En la matière l'inertie de l'administration peut laisser rêveur, la lettre du 23 novembre 2005 précisant : « une première série de mesures a été définie pendant l'été. Elle concerne les cessions de véhicules par l'administration des domaines, dont le dispositif a été entièrement modifié pour augmenter le produit des ventes, l'aliénation des véhicules anciens trop polluants, la mise en place dès 2006 de véhicules économiques et peu polluants, identiques dans tous les parcs des administrations centrales, ainsi que la rationalisation des services rendus par l'Union des groupements d'achats publics pour les rendre plus attractifs pour les services déconcentrés. » Standardisation, baisse du volume des cylindrées, rationalisation des achats via la principale centrale publique d'achats… autant d'éléments qui vont se retrouver posés à l'identique en 2010… d'ailleurs le document précisait : « les ministères recevront néanmoins, semestriellement, une situation de leur parc (au minimum sous la forme d'un bilan par service, par ancienneté et par puissance). » Et ceci… depuis 2005.

[3] Voir, Rapport IGF/IGA sur le « Parc automobile de l'Etat », avril 2004.

[4] Par ailleurs, l'Etat demeure actuellement l'assureur en dernier ressort puisque le recours à une assurance privée n'était que de 11% en administration centrale et de 17% dans les services déconcentrés en 2004…

[5] Pour un coût astronomique de 10,5 milliards d'€ en 2006 pour un parc évalué à l'époque entre 150.000 et 200.000 véhicules

[6] En effet, le même jour sont parues les circulaires n°5477/SG relative aux dépenses des membres du Gouvernement, n°5478/SG relative aux cabinets ministériels et les personnalités en mission, et 5479/SG relative à l'Etat exemplaire/Rationalisation de la gestion du parc automobile de l'Etat et de ses opérateurs. Pour être parfaitement complet il faudrait également y adjoindre la circulaire n°5456/SG du 31 mars 2010 sur l'utilisation des moyens aériens pour le déplacement des membres du Gouvernement.

[7] La circulaire est en effet précise « Sont concernés les véhicules de tous les services et opérateurs de l'Etat, à l'exception des véhicules opérationnels des forces de sécurités et des véhicules spécifiques d'intervention routiers du ministère chargé des transports, qui font l'objet d'une gestion spécifique. »

[8] Voir, La modernisation des achats de l'Etat, 17 octobre 2006, p.18-20.

[9] Ce qui invite à s'interroger sur les ministères « lanterne rouge », voir avec la réponse du 20 janvier 2009 par le Ministre de la jeunesse et des Sports, faite au député Marc Dolez : parc automobile du ministère fortement réduit de 180 véhicules en 2005 à 95 et 17 deux roues en 2008, et quant aux services déconcentrés : baisse de 2.009 à 1.819 véhicules entre 2005 et 2008 soit -10%.

[10] noter que 32% du parc automobile de l'Etat avait plus de 6 ans en 2009.

[11] Par ailleurs, dans le cadre de la fusion ANPE-UNEDIC débouchant sur la constitution de l'organisme Pôle-emploi en 2009, la flotte des deux organismes a été unifiée via leurs deux centrales d'achats qui ont piloté la passation d'un contrat de 800 véhicules de tourisme et utilitaires neufs en location longue durée (LLD). Notons que jusqu'en 2008, l'ANPE était propriétaire de ses véhicules, tandis que l'UNEDIC avait déjà l'ensemble de sa flotte en LLD.

[12] Ce service qui dépend du ministère du Budget, remplace l'ancienne ACA (Agence centrale des achats) du ministère du Budget, et devient un service à compétence interministérielle, regroupant 55 collaborateurs à la suite de l'échec du lancement de l'Agence centrale des achats de l'Etat, par l'intermédiaire de la MIFA lancée en 2006 (Mission interministérielle France Achats). Le SAE a pour objectif, en liaison avec les responsables ministériels des achats (RMA) de réaliser des gains économiques de l'ordre de 10% du montant des achats courants, par simplification, standardisation et mutualisation des procédures d'achat, soit 1 milliard d'€ d'économies.