Quand François Hollande répondait à la Fondation iFRAP - mars 2010
En mars 2010, la Fondation iFRAP interviewait François Hollande, alors député-maire de Tulle, pour le numéro 100 de la revue Société Civile. Suite à son élection à la présidence de la République, il nous a semblé intéressant de publier à nouveau cet entretien dans lequel il reconnait l'importance du redressement des comptes publics, de l'entrepreneuriat, de la réforme des administrations et de la réflexion indépendante apportée par les Think-tanks. Deux ans avant, on voit bien que le programme se dessinait déjà. Sociale-démocrate ou socialiste, voire libérale "progressiste", quelle sera la véritable voie du nouveau gouvernement ? Nul ne peut vraiment répondre avec certitude. La Fondation iFRAP sera tout particulièrement attentive à jouer ce rôle d'apporteur d'idées indépendant souligné par François Hollande pour enrichir le débat public. Notre ligne pour de vraies réformes de structures restera la même.
Fondation iFRAP : Êtes-vous inquiet ou confiant pour l'avenir économique de la France (finances publiques, emploi, compétitivité des entreprises…) ?
François Hollande : Nous sommes à un instant crucial. Les indicateurs témoignent tous d'un risque sérieux de déclassement de l'économie française. La croissance est depuis des années fragile, notre déficit commercial dépasse 45 milliards d'euros, le chômage frappe 10% de la population active et notre dette publique atteint des niveaux historiques. Songez qu'en 2012, elle équivaudra à une année de richesse nationale. Redresser l'économie française dans ces conditions sera le défi majeur du prochain président de la République. Avec des marges de manœuvre limitées, il lui faudra faire des choix justes et pertinents car ils détermineront l'orientation de notre pays pour de nombreuses années. C'est pourquoi il faut concentrer nos efforts sur la jeunesse : sa place, ses conditions de vie, son insertion réussie. Ce redressement exigera un effort national. Il ne sera accepté que s'il respecte les principes d'égalité et de justice. Il faut mettre fin à un système où la majorité de nos concitoyens sont sollicités tandis que les plus fortunés s'affranchissent de toute exigence de solidarité. Voilà pourquoi je propose une réforme profonde de notre système fiscal, pour que les prélèvements soient réellement fonction des facultés contributives de chacun.
Fondation iFRAP : Le rôle des entreprises dans notre économie vous semble-t-il perçu à sa juste valeur par l'opinion publique française ?
François Hollande : L'entreprise est le lieu de la création de richesses. Elle fournit l'essentiel des emplois offerts et détermine par sa compétitivité la place de la France dans la mondialisation. Nous avons besoin de produire plus et mieux. Et la réponse à terme tient autant au renforcement de l'offre qu'à la stimulation de la demande. Néanmoins, je regrette que le lien de confiance entre les Français et l'entreprise se soit distendu. Il faut penser une nouvelle stratégie de production. Là encore, le levier fiscal peut être utilement activé : moduler l'impôt sur les sociétés en fonction des bénéfices réinvestis, concentrer nos efforts sur le développement des PME, élargir le crédit d'impôt recherche à l'innovation. C'est le sens du nouveau pacte productif que je propose. Il part de l'entreprise pour mieux y revenir.
Fondation iFRAP : Le pouvoir de l'administration, du secteur public et de l'État en général vous semble-t-il plus important en France que dans les autres pays ?
François Hollande : La crise a révélé le besoin d'État au sein de nos sociétés. Alors que la financiarisation et la marchandisation de l'économie ont fragilisé les bases de l'économie mondiale, c'est vers les gouvernements que se sont tournés les acteurs économiques (et les banques) pour trouver des solutions à la crise. De surcroît, notre système social a parfaitement joué son rôle de stabilisateur durant la récession. Il est, en quelque sorte, venu au secours d'un certain libéralisme, au moment où il s'attachait à le démanteler. Quant à la controverse sur le coût de l'État, il convient de le relativiser. J'en veux pour preuve le comparatif entre le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, permettant à l'État de faire des bénéfices de 500 millions d'euros par an, tandis qu'au même moment la baisse de la TVA sur la restauration coûte 3 milliards d'euros à nos finances publiques. Il reste que la réforme de l'ensemble des administrations publiques, de leur cohérence, de leur efficacité, comme de leurs ressources doit être engagée, sans qu'il soit besoin de revenir sur la décentralisation et sur l'exigence de proximité.
Fondation iFRAP : Que pensez-vous que les organismes de la société civile, les think tanks tels la Fondation iFRAP, apportent au débat public ?
François Hollande : Tout ce qui contribue à l'activité intellectuelle, à la quête des nouvelles idées, à la recherche des aspirations de la société enrichit notre démocratie. Plus que jamais nous avons besoin de débats publics. Les partis politiques n'ont rien à craindre de ces cercles de pensées et beaucoup à en attendre dès lors que chacun reste à sa place et que le politique garde sa légitimité. Rien n'est vraiment nouveau. Les think tanks sont les héritiers d'une longue tradition française qui donne aux intellectuels une influence dans l'enjeu public.