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Primaire de la gauche : ce qu'ils proposent sur la loi travail et le CICE

Conciliables ou irréconciliables sur la loi travail et le CICE ? Ce qui est certain, c'est que les résultats des primaires de la gauche mettent en jeu le bilan et la continuité du quinquennat de François Holande et de la ligne défendue par Manuel Valls. La loi travail et le pacte de compétitivité en représentent, d'ailleurs, les deux faits les plus marquants. Or, les prises de parole de Benoît Hamon, Arnaud Montebourg et Vincent Peillon (trois anciens ministres du quinquennat de François Hollande et les trois candidats a s'être exprimés sur ces questions), sur la loi travail et l’attitude à l’égard des entreprises, montre bien, à notre sens, l’existence d’un clivage profond obligeant à conclure que l’appel au rassemblement de Benoît Hamon présente un caractère bien artificiel et en tout cas limité aux besoins de la primaire.

La loi travail

Il ne fait pas de doute que la loi El Khomri constitue l’une des pierres angulaires de la fin du quinquennat, ayant justifié le recours à l’article 49-3 de la Constitution, recours qui pourrait coûter cher à l’ex-Premier ministre, Manuel Valls qui aujourd'hui se positionne contre cette pratique. Or, l’entrée en matière de Benoît Hamon sur le sujet est directe : première chose qu’il fera s'il est élu, il abrogera la loi travail. Et de citer une disposition de la loi qui devrait permettre la suppression automatique de 178 emplois à la Voix du Nord, ce qu’il juge inacceptable. Une attaque forte qui a justifié une mise au point peu amicale de la ministre du travail, qui s’est prolongée par une polémique encore à vif (voir encadré en bas).

Arrêtons-nous à l’important. Benoît Hamon considère absolument inacceptable qu’aussi longtemps que la Voix du Nord ne connaît pas réellement de difficultés, puisqu’elle n’est pas en perte, la réorganisation projetée puisse être légitime. Position qu’il a fait applaudir lors de ses meetings de Clermont-Ferrand et Marseille. Et c’est vraiment là qu’une fois de plus nous avons affaire à des positionnements idéologiques irréconciliables. La réponse de la ministre, dans le dernier paragraphe cité, montre bien que la gauche de gouvernement a intégré que « gouverner c’est prévoir », et que le devoir d’une direction est de ne pas attendre que la situation soit compromise pour agir[1]. Les exemples donnés par la ministre sont parfaitement topiques, et les quotidiens sont en proie à de considérables difficultés auxquelles la Voix du Nord n’a aucune raison d’échapper[2]. Le refus d’un Benoît Hamon d’admettre la validité de tels motifs, et la volonté de jeter aux orties l’intégralité de la loi travail, même si d’autres raisons existent, comme le refus d’une certaine inversion des normes, pourtant extrêmement encadrée dans la loi, est le signe d’un clivage idéologique évident sur lequel le candidat fonde son identité politique, et à laquelle il ne devrait pas pouvoir, quoi qu’il en dise, renoncer sans se renier.

Quant à Arnaud Montebourg, il ne se veut pas en reste. Lui aussi propose une « table rase » pour commencer, et on verra bien ultérieurement si certaines dispositions peuvent subsister. Le candidat propose donc que la loi Travail soit abrogée dans ses dispositions régressives et qu'elle soit remplacée par une Sécurité sociale professionnelle, "c’est-à-dire la garantie pour tous d’accéder à un contrat de travail, d’activité, ou de formation". 

Il est clair que pour ces deux opposants à Manuel Valls, le détricotage complet de cette loi fondamentale est au menu. Mais ils ne sont pas seuls. Bien que plus discret, le programme de Vincent Peillon prévoit un décricotage méthodique de la loi travail. Si le candidat explique qu'il "n’envisage pas son abrogation, car [il] souhaite notamment conserver et approfondir le compte personnel d’activité, le droit à la déconnexion et l’extension de la garantie jeunes", il propose cependant de revenir sur la hiérarchie des normes dans le droit du travail et de supprimer l’article de la loi “Travail” qui permet à un accord d’entreprise de réduire, "par exemple, la majoration des heures supplémentaires". Et sur le reste de la loi, Vincent Peillon veut consulter les partenaires sociaux, notamment sur les articles qui portent sur les conditions du licenciement économique, sur le référendum d’entreprise, sur les accords offensifs, et celui qui établit un référentiel indicatif pour les indemnités prud’homales. Que restera-t-il de la loi travail à la suite de ce détricotage ? Pas grand chose. 

Le pacte de compétitivité, CICE

Autre volet concernant directement les entreprises, et aussi fondamental dans l’action du gouvernement, le pacte de compétitivité. On rappellera que le bilan du gouvernement est composé du CICE pour approximativement 20 milliards en période de croisière, mais qu’il n’a jamais atteint, au total, les 40 milliards prévus faute d’avoir encore mis en œuvre toutes les mesures annoncées. Qu’en pensent les candidats de la primaire de la gauche ? Comme pour la loi travail, nombreux sont les candidats qui souhaitent revenir dessus. 

Aussi bien Benoît Hamon qu’Arnaud Montebourg rejettent toute continuité de la politique menée jusqu’à maintenant par le gouvernement. Le premier entend supprimer l’attribution du CICE aux entreprises qui n’embauchent pas et le conditionner à la réduction du temps de travail dans les entreprises, laquelle est le pilier essentiel de sa vision politique du travail. Le second aboutit à un résultat économique voisin pour les entreprises en coupant la moitié du CICE afin de financer la réduction de la CSG pour les salaires les plus faibles. Arnaud Montebourg propose aussi de financer un nouveau régime d’assurance-formation cogéré par les partenaires sociaux, l’Etat et les régions par les fonds de formation existants et un abondement de 1,5% pris sur les 6% du CICE. 

Comme sur la loi travail, Vincent Peillon ne se place pas dans la défense et la continuité du gouvernement : "Je propose que le versement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui est un crédit d’impôt reposant sur l’impôt sur les sociétés et qui peut donc chaque année faire l’objet d’une évaluation, soit conditionné à la signature d’accords d’entreprise ou de branche consacrés à la formation, à la recherche-développement et à la qualité de l’emploi et des conditions de travail. Je veux également conditionner le versement du CICE au non licenciement au sein des entreprises bénéficiaires. Cette mise sous condition entraînera une dynamique pour la négociation sociale et pour l’amélioration des conditions de travail. Elle pourrait entraîner une réduction du coût du CICE pour l’État de quelque 3 à 5 milliards d’euros."

En conclusion

Si l'on pouvait s'attendre à ce que l'ancien ministre devenu frondeur, Benoît Hamon, propose une clivage avec la ligne du gouvernement, il est finalement rejoint par deux autres anciens ministres du quinquennat de François Hollande. Cela met à mal les possibilités d’adhésion autour d'une ligne sociale démocrate qui est celle de Manuel Valls. Dans ces conditions, l’appel au rassemblement autour d’un candidat dont le programme ne crée pas de clivage au sein du PS a difficilement du sens et les résultats, à venir, de la primaire de la gauche vont définir les positionnements du Parti socialiste pour les années à venir... Social-démocrate ou pas. 

La polémique Benoît Hamon – Myriam El-Khomri autour de la Voix du Nord.

Benoît Hamon met en cause la disposition de la loi intégrant comme motif de  licenciement économique la baisse continue de chiffre d’affaires sur quatre trimestres, cas applicable en l’occurrence à la Voix du Nord, ce qui ôterait toute possibilité de contester la validité du motif invoqué pour la réorganisation devant aboutir à la suppression des 178 postes du quotidien. Dans la discussion, Benoît Hamon commet des erreurs de fait qu’il finit d’ailleurs par reconnaître, mais il n’a quand même pas tout à fait tort. Voici des extraits de la lettre ouverte que la ministre a cru bon de lui envoyer :

« Qu'il me soit permis de te dire que cet argumentaire est intégralement infondé et qu'il participe, malheureusement, d'une regrettable désinformation". […] « Par ailleurs, la loi Travail n’introduit aucun nouveau motif de licenciement économique. Elle ne fait que reprendre la jurisprudence déjà existante. Le motif de « sauvegarde de la compétitivité » invoqué par la Voix du Nord n’est en rien un ajout de la loi Travail : il date d’une jurisprudence de 1995 qui a, depuis, été appliquée de manière constante par la Cour de Cassation dans de très nombreux cas ».  [NDLR : Ce qui n’est pas tout à fait exact, la Cour de cassation se montrant très pointilleuse sur le caractère sérieux du motif de compétitivité, refusant ainsi sa reconnaissance lorsqu’il s’agit par exemple d’un simple « tassement » d’une entreprise qui continue à être profitable. Or la Voix du Nord continue de faire des profits, même s’ils sont en baisse continue.]

« […] La mise en œuvre du PSE projeté par le groupe belge Rossel, propriétaire du quotidien, ne peut donc en aucune façon être imputée à cette loi mais bien plus globalement aux difficultés économiques subies par de nombreuses entreprises de presse depuis de longues années dans un contexte de révolution numérique bien connu.
Tu le sais bien : la plupart des journaux concernés n’ont pas attendu la loi Travail pour engager des réorganisations d’envergure sensibles, comme en témoignent les plans sociaux qui se sont encore succédé en 2016 notamment chez Lagardère (220 personnes concernées), L'Obs (38 personnes concernées) ou encore Nice-Matin (120 personnes concernées). »


[1] Les quotidiens nationaux sont fort peu nombreux, et ne doivent leur survie, en dehors des subventions, qu’à leur prestige particulier et à de très fortes augmentations de tarif qui minent leur base de lecteurs. Journal financier, la Tribune a déclaré forfait il y a déjà longtemps et laissé la place aux Echos, passé à 2,5 euros au numéro début 2017.

[2] Dont on rappellera qu’il est composé du CICE pour approximativement 20 milliards en période de croisière, mais qu’il n’atteint pas au total les 40 milliards prévus faute d’avoir encore mis en œuvre toutes les mesures prévues – et que par ailleurs même les 40 milliards prévus d’allègements ne parviennent pas à ramener les prélèvements sur les entreprises à leur niveau antérieur à celui d’avant 2010, en tenant donc compte des augmentations de la fin du quinquennat Sarkozy et du quinquennat Hollande.