Pour en finir (vraiment) avec le millefeuille territorial
Eric Giuily, président du cabinet de conseil en stratégie, CLAI, ancien directeur général de la chaîne de télévision France 2 et président-directeur général de l'AFP répond ici aux questions de la Fondation iFRAP sur la réforme territoriale, thème principal de son dernier ouvrage, Pour en finir (vraiment) avec le millefeuille territorial, co-écrit avec Olivier Régis.
Fondation iFRAP : Quelle est la responsabilité de nos élus dans l'échec des réformes successives ? Comment les inciter à réformer ?
Eric Giuily : Le cumul des mandats est un obstacle à toute réforme audacieuse des structures locales, on le voit chaque jour davantage avec les débats sur le projet de loi sur les compétences, le projet de loi NOTRe. Il avait pour ambition de renforcer régions et intercommunalités. Les sénateurs ont supprimé la moitié des dispositions qui y concouraient, les députés sont en train de faire disparaître l'autre moitié. En 2003/2004, le projet Raffarin, le fameux Acte II de la décentralisation avait déjà subi le même sort. Le projet, entré régionaliste au Parlement, en est ressorti départementaliste…
À cela une explication simple : près de 10% des parlementaires sont présidents ou vice-présidents de conseil départemental, et 40% d'entre eux sont maires… alors qu'à peine 3% sont présidents ou vice-présidents de conseil régional. L'Association des départements de France et celle des maires de France n'ont même pas besoin de recourir aux services d'un cabinet de lobbying !
Fondation iFRAP : Vous voulez réformer le millefeuille territorial, que proposez-vous ?
Eric Giuily : Nous sommes partis d'un constat : la France doit impérativement réduire ses coûts de structure, ses frais de fonctionnement, notamment au niveau local. Pour y parvenir, nous proposons une démarche globale, radicalement différente de celle suivie depuis 25 ans. Elle s'appuie sur 3 principes :
- renoncer à l'uniformité napoléonienne, selon laquelle tous les territoires doivent avoir la même organisation, avec une commune appartenant à une intercommunalité, située dans un département faisant lui-même partie d'une région. Il faut substituer à cette approche du "jardin administratif à la française" une carte "à la carte", avec des solutions différenciées adaptées à la diversité des situations locales ;
- réduire sur chaque territoire le nombre d'échelons de gestion en supprimant les départements dans les zones urbaines et en transférant leurs compétences aux intercommunalités, agglomérations ou métropoles, qui deviendraient les collectivités "de base" de plein exercice, en lieu et place des communes actuelles, qui joueraient alors un rôle comparable à celui des arrondissements de Paris, Lyon ou Marseille ;
- rénover la démocratie locale en restaurant les notions fondamentales de responsabilité fiscale et électorale.
Concrètement, ces principes se traduisent de manière simple : du millefeuille actuel à 6 niveaux (13 régions, 96 départements, 14 métropoles, 2.145 EPCI à fiscalité propre, 36.000 communes), on passerait à seulement 3 niveaux de gestion locale au maximum (13 régions, 49 départements ruraux, 13 métropoles et 37 agglomérations - chaque territoire étant géré soit par un département, soit par une agglomération, soit par une métropole, les trois niveaux ne se cumuleront pas -, et 2.095 communautés de communes). Alors :
- les impôts locaux seraient re-répartis pour enfin correspondre à la vocation de chaque niveau de collectivité, de manière lisible pour le contribuable : aux régions les contributions sur l'activité économique, aux intercommunalités les taxes d'habitation et le foncier, tandis que les départements ruraux, qui sont des cadres de solidarité, seraient uniquement financés par des subventions de l'État;
- les conseils des intercommunalités seraient élus au suffrage universel direct, toutes les élections locales auraient lieu le même jour et le nombre de mandats ne serait pas seulement limité simultanément mais aussi dans le temps : ainsi, un élu ne pourrait pas exercer plus de 3 mandats de 5 ans. Soit au total 15 ans maximum et puis on laisse la place ! En retour, les facilités accordées aux élus pour exercer leur mandat seraient améliorées et le lien entre vie politique et vie professionnelle, facilité.
Fondation iFRAP : Le mille-feuille territorial n'est-il pas aussi en partie le reflet de l'État qui ne veut se désengager d'aucune politique publique ?
Eric Giuily : Ce qui est certain, c'est que cet émiettement local permet à l'État et à ses services de conserver de réels pouvoirs et une véritable influence dans des domaines qui relèvent de la compétence des collectivités locales. Qui fait la coordination ou la synthèse entre les différents niveaux ? Qui joue le rôle de facilitateur, de fédérateur ou de médiateur ? L'État !
Il est clair que, parallèlement à la réforme de la carte territoriale, il faut entreprendre une transformation tout aussi radicale des administrations d'État, tant au niveau central, qu'au niveau local. Ce pourrait être le sujet d'un autre livre, tant il y a à faire à ce niveau aussi.