Oui, il faut créer un organisme pour évaluer les normes pesant sur les entreprises
Le Sénat vient d’adopter une proposition de loi visant à rendre obligatoire les tests PME déposée par le sénateur Olivier Rietmann. Une initiative suffisamment substantielle pour être reprise à son compte par le Ministère des finances et plus spécifiquement par Olivia Grégoire la ministre déléguée des Entreprises, du Tourisme et de la Consommation qui veut la transformer en projet de loi. Bien que considérablement élaguée lors de la discussion en commission des lois puis en séance publique, la proposition de loi a le mérite de créer enfin une instance pérenne en charge du suivi de la complexification normative et son impact pour les entreprises. Il reste que pour donner à l’entité sa pleine mesure il nous semble nécessaire de « muscler » son dispositif. Si le Haut Conseil ne peut pas être une autorité administrative indépendante, il pourrait être un organisme de conseil rattaché au Premier ministre. Pourquoi pas, mais alors pourquoi ne pas le fusionner avec le CNEN que l’on ferait remonter à ce niveau ? Sa composition laisse également à désirer, y intégrer un statisticien de l’INSEE ou/et des économistes crédibiliserait la démarche. Il faut sans doute lui adjoindre un PJLO (projet de loi organique) afin de modifier la loi du 15 avril 2009 : lui ouvrir un droit de saisine du Conseil constitutionnel en cas de refus d’amélioration des évaluations par le Gouvernement ou la possibilité de faire insérer cet avis en annexe de l’étude d’impact pour en systématiser le recours – le rendant quasi-obligatoire – . Enfin pourquoi en rester au test PME et ne pas s’interdire d’élargir le spectre des évaluations en cas de nécessité aux ETI et aux grandes entreprises ? Et lui fixer pour objectif la rédaction d’une proposition de loi annuelle de simplification sur base de ses travaux ? Ces modifications nous semblent nécessaires pour rendre les prérogatives de ce Haut Conseil comparables à ces homologues étrangers présents au sein du groupe RegWatchEurope.
Un dispositif initialement ambitieux mais redimensionné pour des raisons de cohérence juridique
Initialement la proposition de loi visait en 1er lieu à instituer une nouvelle autorité administrative indépendante (AAi), le Conseil de surveillance et d’évaluation de la simplification pour les entreprises, une autorité administrative indépendante, dont le Président devait être nommé en Conseil des ministres (emploi à la décision du Gouvernement) avec le titre de Haut-commissaire à la simplification des entreprises. L’autorité aurait eu un double rôle :
- De coordination des travaux d’évaluation menés par les services des administrations centrales, avec désignation de « correspondants à la simplification des normes » en leur sein ; l’entité étant associée par le Gouvernement à la préparation des projets de loi et des textes réglementaires impactant les entreprises ainsi qu’à l’élaboration des politiques publiques les concernant ; le Conseil assurerait par ailleurs un rôle de pilotage de l’élaboration de l’analyse d’impact des normes et politiques publiques ;
- De contrôle de la qualité des études d’impact jointes aux projets de loi sur leur versant « entreprises », ainsi qu’une revue régulière des normes législatives et réglementaires en vigueur (effet « stock » itératif et « effet flux ») ;
- La visibilité d’ensemble de ces travaux se traduisant par la remise d’un rapport public annuel au Premier ministre et aux présidents des chambres du Parlement.
La commission des lois du Sénat a cependant exprimé le fait qu’il y avait une contradiction dans les termes au sein même des activités de l’entité qu’elle a choisit de rebaptiser Haut Conseil à la simplification pour les entreprises.
- D’une part, elle a estimé que la qualification d’AAI n’était pas effectivement remplie par le Conseil, dans la mesure où celui-ci doit disposer de pouvoirs de décision et de contrainte, ce dont le Conseil ne jouissait pas. Par ailleurs, l’entité devait exercer des missions de régulation de secteurs économiques ou de protection des droits des citoyens, ce qui d’après elle, l’entité n’exerçait pas.
- D’autre part, elle a également jugé que les attributions du Haut Conseil pouvaient conduire à des incohérences manifestes : la nomination du Président en faisait un emploi à la décision du Gouvernement alors qu’il était réputé irrévocable. Par ailleurs l’entité pouvait être placée en situation d’auto-contrôle dans ses missions de supervision de l’élaboration des études d’impacts des textes dont en ensuite elle jugerait de la qualité. « D’une manière fondamentale, la commission a veillé à dépasser l’hésitation de la proposition de loi entre deux types d’options par définition incompatibles, à savoir l’indépendance et l’irrévocabilité d’une part, et l’appui à l’administration et le pouvoir de coordination d’autre part. »
La solution a donc consisté à faire du Haut Conseil :
- Une commission administrative rattachée directement au Premier ministre « et non pas à un ministre particulier – à la différence, notamment, du CNEN, qui est rattaché au ministre de l’intérieur. »
- Que cette commission rendrait des avis consultatifs obligatoires[1], mais qui seraient simples (et non pas express[2]) et publics. Le Haut Conseil sera consulté pour 3 types de projets de textes en dehors de ceux ayant trait à la sécurité nationale : les projets ayant une incidence sur les entreprises, les projets de textes réglementaires ayant les mêmes effets, et les projets d’acte de l’Union européenne.
- En outre, le Haut Conseil pourrait sur base facultative être consulté par les présidents des assemblées parlementaires sur les propositions de lois ayant un impact sur les entreprises ;
Il est prévu que l’ensemble des avis rendus comporteraient obligatoirement un « test PME » que la commission a clairement défini comme l’analyse de l’impact attendu des normes concernées sur les petites et moyennes entreprises. »
Précisons d’emblée que faute de volet organique, le caractère obligatoire de la consultation n’est pas garanti. Il faudrait pour cela modifier l’article 8 de la loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009, afin par exemple d’insérer l’avis comportant le test PME à l’étude d’impact elle-même, qui est désormais rendue obligatoire en vertu de ladite loi organique.
La proposition de loi dote le Haut Conseil de la possibilité de proposer dans ses avis des propositions d’application différée dans le temps des mesures concernant les entreprises en fonction de leur catégorie (TPE, PME, ETI, GE). Lui conférant un pouvoir de proposition de « modulation » des effets législatifs et réglementaires sur le tissu économique.
Au flux normatif, réglé par les avis ex ante portés sur les projets normatifs (le flux), la commission des lois retient également un rôle a posteriori du Conseil qui a symétriquement une action sur le « stock » normatif.
- Il est proposé une revue régulière des normes législatives et réglementaires en vigueur, ainsi que des procédures applicables aux entreprises.
- Mais cette révision pour ne pas être « trop lourde », devrait être thématique, et ne sera effectuée qu’à la demande du Gouvernement, des commissions permanentes des assemblées parlementaire et de son propre chef. Il pourra sur cette base analytique formuler des mesures d’adaptation, de simplification ou d’abrogation.
Un redimensionnement qui va sans doute un peu trop loin…
Pour la Fondation iFRAP, le texte pourrait être substantiellement amélioré, car initialement sans doute trop ambitieux, il en devient presque pusillanime après l’intervention de la commission des lois du Sénat.
- Garder le caractère d’AAI ou fusionner le HC et le CNEN et placer la nouvelle entité consultative auprès du Premier ministre :
S’agissant du statut, le risque de classement dans le domaine des AAI semble assez vague. Le critère d’insertion dans le champ des AAI est plus historique que juridique. Par ailleurs le Haut Conseil à la simplification aurait un champ économique d’action tout trouvé en matière d’évaluation du stock normatif (et non seulement du flux) visant avant tout à préserver la « compétitivité » normative des entreprises. Il dispose par ailleurs de la faculté de s’auto-saisir (al.8 de l’article 1er bis nouveau de la petite loi en 1ère lecture du Sénat).
Ensuite, on lui reproche le fait d’être purement consultatif et de ne pas pouvoir prendre d’acte à caractère décisionnel ou régulatoire. Il suffit pour cela de conférer la faculté au Haut Conseil d’annexer à son rapport annuel la maquette d’une proposition de loi omnibus de simplification dont les dispositions relèveraient d’évaluations négatives sectorielles effectuées par le Haut Conseil soit de son propre chef, soit à l’initiative du Parlement ou du Gouvernement au cours de l’année passée.
Il nous semble donc préférable de conférer au Haut Conseil le statut d’AAI ou à tout le moins de fusionner celui-ci avec le CNEN qui serait sorti du cadre de la DGCL et du ministère de l’Intérieur au sein duquel il est inscrit pour former un Haut Conseil d’évaluation des normes des entreprises et des collectivités territoriales, placé auprès du Premier ministre.
- Muscler les prérogatives du Haut Conseil
Il nous semble envisageable d’apporter les améliorations suivantes au texte :
- A l'article 1er après l'alinéa 12, rajouter un alinéa 13 ainsi rédigé : "9° Un représentant de l'INSEE, désigné par son directeur général"
La demande de parité nécessite que les membres y compris le Président du Haut Conseil à la simplification des entreprises, soient 10 et non 9, afin que le principe posé par l'alinéa 15 (désormais 16) soit respecté. De plus la présence d'un membre de l'INSEE pourrait permettre au Haut Conseil de disposer d'une expertise statistique permanente et de pouvoir mobiliser des équipes de l'INSEE.
- Par coordination les mesures de l'alinéa 17 (désormais 18) sont ainsi modifiées "Le mandat des membres mentionnés aux 2° à 9° est renouvelable une fois.
- À l'article 1er bis (nouveau), alinéa 5, compléter le présent alinéa par les dispositions suivantes : "Le Président d'une assemblée parlementaire est tenue de soumettre à l'avis du Haut Conseil, toute proposition de loi ayant les mêmes caractéristiques lorsque celle-ci a été adoptée en première lecture par l'une ou l'autre chambre du Parlement et transmise à la seconde."
L'idée est d'éviter que certaines propositions de loi pourtant examinées en séances et adoptées puissent contourner le filtre du Haut Conseil par absence de saisine du Président de la Chambre dont elle est issue, alors même qu'elle a été discutée et transmise sous la forme d'une petite loi à la seconde chambre. En pratique c'est le Président de la Seconde chambre qui devrait déférer pour avis cette proposition de loi. Ce qui devrait renforcer le caractère obligatoire des saisines.
- Le VI de l'article 1 bis (nouveau) serait complété par la phrase suivante : "Ainsi qu'une analyse d'impact complémentaire facultative à destination des entreprises de taille intermédiaire et des grandes entreprises en tant que de besoin".
Il importe de ne pas fermer la porte à un test intégral pour les entreprises ou spécifiquement pour les plus grandes lorsqu'une disposition à enjeu normatif les impacte directement. La rédaction permet en outre de bien distinguer les ETI dans le processus d'évaluation normatif.
- Le VII de l'article 1 bis (nouveau) est complété par la phrase suivante : « En cas d'avis défavorable et sans modification apportée par le Gouvernement sous un mois, le Haut Conseil peut saisir le Conseil constitutionnel afin que celui-ci statue sur la fiabilité et la qualité de l'étude d'impact. »
Cette disposition devrait permettre de rendre plus opérationnel le contrôle par le Conseil constitutionnel des études d’impact, qui ne peuvent être saisie qu’à l’issue d’une procédure complexe faisant intervenir la conférence des présidents de la 1ère assemblée ayant à statuer sur le texte[3]. Un appel au législateur organique sur cette disposition serait nécessaire afin de modifier en ce sens la loi organique du 15 avril 2009.
- Insérer un article 1 bis A ainsi rédigé: "Le Haut Conseil peut réaliser à l'attention du public et des pouvoirs publics des sondages auprès des entreprises pour juger de l'effectivité de la politique de simplification et de son impact économique. Il consolide les résultats financiers issus de ses avis et de ses études annuelles, afin de documenter le stock normatif applicable aux entreprises, ainsi que le flux annuel qui leur est imposé. Il en publie les résultats in itinere et au sein de son rapport annuel."
Il s'agit de pouvoir boucler l'évaluation sur elle-même en conjuguant une approche ex ante, ex post ainsi qu'une approche bottom up (sondage) et top down (évaluation de stock normatif).
Enfin, et comme rappelé plus haut il nous semble nécessaire de mettre en place un projet de loi organique conjoint, permettant de replacer les avis et les test PME réalisés par le Haut Conseil en annexe des études d’impact ce qui renforcerait leur caractère obligatoire, et d’y insérer un second article permettant une saisine spécifique du Conseil constitutionnel par le Haut Conseil afin de susciter son contrôle des études d’impact associées lorsque le Gouvernement refuse d’y répondre et d’assurer les modifications demandées.
[1] En effet, le Haut Conseil ne pouvait pas être « associé » à la préparation des projets et de lois et des textes réglementaires sans méconnaître la prérogative d’initiative législative conférée conjointement par la constitution au Gouvernement et au Parlement ; pas plus que le Haut Conseil ne peut contrôler la qualité des études d’impact, car cette prérogative relève exclusivement des compétences du Parlement et du Conseil constitutionnel d’après la constitution.
[2] Leur non adoption ne peut paralyser la procédure et la teneur des avis négatifs, ne peut faire obstacle à leur adoption par le Parlement ou l’Exécutif.
[3] https://www.conseil-etat.fr/publications-colloques/discours-et-interventions/le-role-du-conseil-d-etat-dans-la-mise-en-oeuvre-des-etudes-d-impact