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Osons un nouveau geste architectural pour le bloc communal

Le nanisme communal est une réalité qui perdure depuis la Révolution française. Et que les tenants du maintien de cette organisation rappellent sans cesse pour la justifier. Toutefois, cela conduit à occulter que ce choix fut effectué exclusivement pour procéder dans les meilleurs délais à la collecte de l'impôt. Et que dès janvier 1790, des instructions furent données pour envisager une rationalisation de l'organisation des communes. Simple rappel à ceux qui convoquent les mânes du passé pour interdire toute évolution : évitons les contresens. Toutefois, hormis les périodes qui correspondent, d'une part à la première moitié du XIXème siècle, au cours de laquelle le cadastre fut établi, et d'autre part à celle qui suivit la promulgation de la loi n°71-588 du 16 juillet 1971, aucun mouvement de grande ampleur n'a encore permis de rationaliser la carte communale. Ainsi est l'organisation communale en France, avec 90% de ses communes qui comptent moins de 2.000 habitants. L'atypisme de cette situation explique que la France compte près de 40% du nombre total de communes à l'échelle de l'Union européenne. La sécheresse du chiffre ne doit cependant pas conduire à occulter que les communes européennes ne sont pas toutes dotées des mêmes compétences : derrière une dénomination commune se cachent des réalités bien différentes.

La solution imaginée pour dépasser l'étroitesse des moyens qui sont les leurs consista à encourager la coopération intercommunale.

Initiée depuis la loi fondatrice du 22 mars 1890, qui donna lieu au développement de la coopération intercommunale syndicale, ou d'économies d'échelle, celle-ci connut un nouveau développement en 1992, à l'occasion de la création des communautés de communes et des communautés de villes, aujourd'hui disparues (la communauté d'agglomération en 1999 et la métropole en 2010 suivirent). Là aussi, pour éviter tous les contresens, rappelons que la coopération intercommunale n'est pas une spécificité française : tous les pays de l'Union européenne, y compris ceux qui fusionnèrent leurs communes, disposent de structures intercommunales.

L'ambiguïté intercommunale

Le pari effectué, fruit d'une ambiguïté, consistait à éviter la question de la réforme des communes, à travers la communautarisation des communes françaises. Cette politique fut achevée le 1er janvier 2014, puisqu'à cette date, à l'exception de 49 d'entre elles (dont 41 sont situées dans les départements de la petite couronne en Ile de France et intégreront la métropole du Grand Paris à compter du 1er janvier 2016), toutes les communes françaises appartiennent à une structure intercommunale à fiscalité propre.

L'octroi d'une dotation globale de fonctionnement, devenue dotation d'intercommunalité, dès la création de la structure intercommunale à fiscalité propre, joua le rôle d'un puissant mais coûteux catalyseur dans la mise en œuvre de cette politique.

En 2014, la dotation d'intercommunalité représente 2,792 milliards d'euros, sans qu'à aucun moment la dotation globale de fonctionnement des communes ne connaisse symétriquement de baisse. Curieux paradoxe alors même que les structures de coopération intercommunale à fiscalité propre se voyaient attribuer de nombreuses compétences exercées antérieurement par les communes. Cette dotation engendra aussi de puissants effets pervers : dès lors qu'une différence importante de dotation d'intercommunalité par habitant existe entre les différentes catégories d'établissements publics de coopération intercommunale (en 2014, la dotation moyenne par habitant des communautés de communes à fiscalité professionnelle unique a été de 34,06 euros, celle des communautés d'agglomération de 45,40 euros et celle des communautés urbaines et métropoles de 60 euros), plusieurs dispositions législatives furent adoptées depuis 1992, conduisant à abaisser les seuils de population requis pour créer certaines catégories de structures intercommunales. Il est possible, en prenant les derniers exemples en date issus de la loi n°2014-58 du 27 janvier 2014, de mentionner les critères retenus par le législateur afin de permettre aux seules métropoles de Brest et de Montpellier d'accéder au statut de métropole. Ou bien encore, la dérogation faite au droit commun en matière de fusion de structures de coopération intercommunale pour le seul territoire de la future (hypothétique ?) métropole d'Aix-Marseille-Provence : alors que les fusions de structure intercommunale ne donnent lieu depuis 2012 qu'à un encouragement financier réduit, cette métropole bénéficiera d'un abondement exceptionnel de 40 millions par an.

Une communautarisation du territoire national régulée par les communes

À privilégier depuis 1992, la seule vision quantitative de l'intercommunalité, l'interrogation sur l'efficience de cette politique mérite d'être posée.

Le nanisme communal n'a pas été réduit, notamment dans le rôle qui est le sien dans les constructions intercommunales opérées. Qu'il s'agisse de la définition du périmètre intercommunal, ou bien encore des groupes de compétences qui sont transférés à ces structures intercommunales, ce sont les communes qui continuent de réguler la construction intercommunale.

Le contrôle que celles-ci opèrent n'a été suivi d'aucune réflexion sur les concours dont elles bénéficient de la part de l'État. Alors même que la maximisation de la dotation d'intercommunalité se fonde sur des transferts étendus de compétences des communes vers les structures intercommunales, celles-ci continuent de percevoir, sans aucune diminution, la dotation globale de fonctionnement. Au sein de celle-ci, les dotations verticales de péréquation, plus spécifiquement, la dotation de solidarité rurale et la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale.

Cet aveuglement quant à une refonte du cadre des dotations conduit, en ne considérant que la seule dotation de solidarité rurale, qui représente en 2014, 954,446 millions d'euros, à ce que 96% des communes soient désormais éligibles à cette dotation. Une telle redistribution est inefficace, puisque cela ne fait que conforter les recettes de fonctionnement des communes, alors même que nombreuses sont leurs compétences qui ont été transférées. De surcroît, l'émiettement de cette distribution ne fait que conforter la recette de fonctionnement, et par voie de conséquence l'augmentation de la dépense. L'atteinte de ce résultat - rappelons qu'en dépit de la diminution des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales, l'accroissement des fonds alloués à la péréquation horizontale est une des mesures importantes des lois de finances depuis 2013 (en 2015, les montants alloués à la dotation de solidarité rurale sont, comme les années précédentes, en augmentation de 78 millions ; il en est de même pour ceux de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale qui progressent par rapport à 2014 de 120 millions) n'est rendu possible qu'en comprenant la conception de ces mesures : une politique en tuyaux d'orgue, comme incapacité à établir à s'inscrire, en matière de finances publiques locales, dans une logique systémique.

Cette politique de communautarisation du territoire national, où le chiffre vaut analyse, conduit à mettre en œuvre des constructions extrêmement complexes, et donc coûteuses. Il en est ainsi des relations financières croisées entre les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale d'appartenance. Les calculs relatifs aux transferts de charges des compétences transférées (qui concerne sur la base des données établies au 1er janvier 2014, 60,04% des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre), les discussions tenues, chaque année, sur la répartition du fonds de péréquation des recettes fiscales communales et intercommunales (789 millions d'euros en 2015), sur les montants affectés à la dotation de solidarité communautaire (qui représentent en 2013, 1,058 milliard d'euros), les fonds de concours (qui, en 2013, correspondent à une dépense de 702 millions d'euros), ou bien encore la construction de schémas de mutualisation (qui accessoirement ne garantissent aucunement que ceux-ci seront déclinés opérationnellement, chaque commune restant libre de décider de mutualiser ou non tout ou partie de ses personnels) représentent des coûts cachés jamais pris en compte.

Doivent être ajoutés à cette économie les coûts induits qu'il convient pourtant d'intégrer des lors qu'il est indispensable de calculer le coût complet de la complexité : ceux-ci se composent des sommes dépensées pour bénéficier de prestations de conseils extérieurs afin de fluidifier la compréhension de cette économie de la complexité.

Mais également, et ceci n'est jamais pris en compte dans l'économie de la décentralisation, à la valorisation des heures de travail passées par les élus et les fonctionnaires territoriaux pour établir ces différents schémas. Et pour lesquels la valeur ajoutée produite est assez faible.

Enfin, les coûts issus des solutions, par définition, insatisfaisantes qui sont trouvées. Puisque, en reprenant le seul exemple du montant des transferts de charges entre les communes et la structure de coopération intercommunale qui représentent en 2013, 8,598 milliards d'euros, suivant les conclusions du rapport qu'a consacré la Cour des comptes aux finances publiques locales en 2014, il s'agit de trouver la solution d'une équation composée de deux paramètres : celui de la maximisation des ressources communales, et inverse de celles de l'intercommunalité. Résultat impossible dès lors que, mathématiquement, la résolution d'un tel système suppose qu'il y ait autant de paramètres que d'équations, ce qui n'est pas le cas. De surcroît, l'asymétrie dans laquelle se trouve la structure intercommunale vis-à-vis des communes positions - dès lors que le rapport relatif aux transferts de charges doit être adopté par les communes - conduira ultérieurement à réviser les calculs effectués face aux difficultés financières d'exercice des compétences transférées.

En conséquence, il n'est pas certain que la communautarisation du territoire national qui a été engagée soit en définitive la révolution dont parla Pierre Mauroy pour qualifier la dynamique intercommunale en 1992 : la commune reste le pivot de la construction du bloc communal.

Dessinons une nouvelle architecture communale et…. Intercommunale

Alors, quelles perspectives ?

Deux questions interdisent aujourd'hui de repenser le cadre communal.

  • La première qui s'inscrit dans l'opposition entre la suppression des communes et symétriquement, le maintien à l'identique du cadre communal tel qu'il prévaut aujourd'hui. La philosophie a permis depuis longtemps de résoudre cette question : dès lors que deux forces d'égale intensité s'opposent l'une à l'autre, cela conduit à un jeu à somme nulle. Ceci explique que cette question, depuis la Révolution française, n'ait pu être résolue. Si nous voulons dépasser les leçons de psychologie (le débat sur la mort de la commune) qui caractérisent bon nombre des sujets abordés au cours des conseils municipaux, mieux vaut rompre avec la méthode qui consiste à mettre en avant notre irrédentisme communal. Tous les pays européens qui ont fusionné leurs communes continuent de disposer de structures de coopération intercommunale.
  • La seconde qui concerne les indemnités liées aux fonctions électives. Rappelons que l'essentiel des 550.000 élus se trouve dans les communes de moins de 500 habitants. Et qu'à cet égard, les indemnités ne sont attribuées qu'aux maires et adjoints, le montant de celles-ci étant corrélé à la taille de la commune, celles-ci sont individuellement modiques. Enfin, dans une logique du coût complet, ce qui est bien la moindre des choses en matière d'économies, rappelons que dans les communes disposant d'une population en faible nombre, ce sont les élus qui assument eux-mêmes des tâches qui sont exercées dans des communes plus importantes par des fonctionnaires territoriaux.
  • Si la rénovation du cadre communal est une nécessité, la "tabula rasa" n'est pas la solution qui permettrait d'y parvenir : stigmatiser les élus locaux constitue le plus sûr moyen de maintenir les organisations existantes alors même que celles-ci doivent être profondément rénovées.

Car, la véritable question n'est pas celle de l'émiettement communal mais celle des compétences qui sont attribuées aux communes (rappelons que chacune des communes françaises dispose de la clause générale de compétences). Voilà le mal, ou comment laisser croire que celles-ci peuvent toutes l'exercer, alors que la plupart d'entre elles ne disposent ni des moyens financiers et humains pour y parvenir.

Inutile la commune ? Certainement pas, car, quelle que soit la taille de la commune c'est à ce niveau que le lien social prend toute sa place, le maire étant l'intercesseur naturel des populations : personne ne peut nier l'implication des élus locaux et l'abnégation qui est la leur.

En conséquence, réformer l'organisation de nos communes nécessite tout à la fois d'intégrer cette dimension tout en définissant une nouvelle architecture.

Car, c'est bien de cela dont il s'agit : un nouveau geste architectural et non une succession de correctifs illisibles, qui ne sont, sous couvert de la réforme, que bricolage.

En matière d'architecture, il est des principes intangibles : la solidité des fondations détermine la stabilité de l'ensemble de la construction. Solidifier les communes, en partant des communes nouvelles, ce qui conduit à transposer les modalités d'organisation qui prévalent depuis 1983 pour Paris, Marseille et Lyon. Au niveau de l'arrondissement (en l'espèce, la commune déléguée), les tâches de proximité. Au niveau de chacune de ces villes (la commune nouvelle), l'ensemble des autres compétences. Sachant que le conseil municipal de la commune nouvelle, à l'instar de ce qui prévaut dans l'organisation précitée, dispose de la faculté de déléguer certaines de ses compétences au niveau de la commune déléguée.

Ce geste architectural présente plusieurs avantages :

  • Le premier d'entre eux qui autorise, enfin, de redéfinir la bonne échelle d'exercice des compétences de la commune ;
  • Le second, qui permet de réduire sensiblement le nombre d'élus locaux. Acceptons de reconnaître, au-delà même de la question des indemnités, que l'investissement des élus n'est pas corrélé à la taille actuelle des conseils municipaux ;
  • Le troisième qui rend possible la recherche d'économies. Dans cette configuration, il n'est plus nécessaire de mettre en place pour y arriver des groupements d'achats ou bien encore des schémas de mutualisation ;
  • Le quatrième, qui offre la possibilité d'agréger les fonds de roulement de l'ensemble des communes concernées. Spécifiquement ceux des communes les plus petites, pour lesquelles, à rebours de toutes les leçons d'économie publique, le fait de thésauriser relèverait d'une gestion financière de l'argent public saine ;
  • Enfin, et ceci est peut-être encore plus important, la commune nouvelle conduit à envisager une autre forme de coopération intercommunale, celle qui a été promue depuis près de 20 années, pour laquelle la seule intégration de compétences a prévalu.

À partir du moment où les communes nouvelles disposent d'une taille suffisante (5.000 habitants), il n'est plus nécessaire de transférer de nombreuses compétences aux structures intercommunales. Ces dernières exercent uniquement des fonctions en matière d'aménagement de l'espace (planification, habitat, transport essentiellement), de développement économique, d'économies d'échelle. C'est également à ce niveau que la nécessaire péréquation entre les communes nouvelles qui la composent s'opère. Avec cette construction.

Cette organisation s'écarte très sensiblement de la conception du projet de loi relatif à la nouvelle organisation territoriale de la République qui va être examiné par le Sénat à partir du mois de décembre 2014. Non au niveau des outils proposés, un projet de loi sur les communes nouvelles a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 31 octobre 2014, mais, ce qui est beaucoup plus problématique, sur la conception d'ensemble.

Sans revenir sur la question des schémas de mutualisation des personnels qui devront être établis avant le 31 mars 2014 par chacun des établissements publics de coopération intercommunale a fiscalité propre (alors même que les périmètres de ces structures intercommunales évolueront au terme des schémas départementaux de coopération intercommunale qui devront être finalisés au plus tard le 31 décembre 2014), le projet de loi continue de s'inscrire dans une vision passéiste : celle où le renforcement de la coopération intercommunale à fiscalité propre permettrait de résoudre la question de l'émiettement communal.

Il en va ainsi du débat sur le nouveau seuil de population des structures intercommunales, qui après avoir été fixé à 5.000 habitants en 2010, serait désormais de 20.000 habitants. La pauvreté du débat sur cette question du seuil de population minimum des établissements publics de coopération intercommunale (jamais aucune étude n'a permis de démontrer la pertinence de ce seuil) n'est que la conséquence de cette erreur de conception initiale, où l'intercommunalité permettrait de résoudre la question de l'émiettement communal. Ceci justifie aujourd'hui toutes les demandes formulées par les associations nationales d'élus d'abaissement du seuil de population dans les zones les moins densément peuplées, sans qu'aucune autre réflexion ne soit engagée. Le relèvement du seuil de population des structures intercommunales, qui mobilisera, à n'en pas douter, de nombreux parlementaires pour influer sur la prise en compte de situations particulières et conduira a abaisser in fine celui-ci, n'est qu'un trompe-l'œil. Car aujourd'hui, la coopération intercommunale est malade de sa complexité et de la faiblesse de son assise politique.

Ensuite, les outils de coopération intercommunale à fiscalité propre aujourd'hui proposés deviennent obsolètes : dès lors que des communes nouvelles d'une taille suffisante sont constituées - rappelons que le seuil de 5.000 habitants était celui retenu dans la Constitution de l'an III alors même que le moteur à explosion n'avait pas encore été inventé - il n'est plus nécessaire de continuer, en matière de compétences, à promouvoir une conception intégrative des structures de coopération intercommunale à fiscalité propre : c'est à l'échelle de la commune nouvelle que s'exerce l'essentiel des compétences.

Ainsi, dés lors que la commune nouvelle serait généralisée, la constitution, sur des périmètres étendus, de syndicats mixtes à contributions fiscalisées seraient pertinents.

En définitive, personne n'est autorisé à revendiquer le monopole de la commune, ni les associations nationales d'élus qui s'en prévalent, ni les élus eux-mêmes. Nous ne parlons pas de ma commune mais de la commune : celle-ci est un bien collectif, au sens économique du terme, c'est-à-dire non divisible. En partant de ce principe, il est urgent d'en réformer son organisation, au risque de remettre en cause sa richesse : la capacité d'assurer à cette échelle l'indispensable lien social. C'est pourquoi, ce n'est pas d'économisme dont a besoin la commune, mais bien d'un véritable geste architectural. La généralisation des communes nouvelles, pour lesquelles la population ne pourrait être inférieure à 5.000 habitants couplée à une nouvelle conception de l'intercommunalité au sein de laquelle le principe de subsidiarité prévaudrait, en est un. Qui permettrait tout à la fois de réaliser des économies substantielles tout en dessinant de véritables perspectives. Rappelons que la réforme n'est que désir, car l'économie est aussi et avant tout politique. Puisqu'il en est encore temps, osons ensemble une décentralisation audacieuse !