Open Data : libération des données publiques
Grâce à l'Open Data (accessibilité et réutilisation des données publiques), les citoyens doivent pouvoir analyser et porter des propositions afin d'améliorer les politiques publiques. C'est le cas par exemple au niveau local, s'agissant des initiatives visant à développer la performance des services publics : ramassage des ordures ménagères, qualité de l'entretien des infrastructures publiques (initiative de type « fix my street ») comme l'évoque Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris en charge de l'innovation, ce qui suppose une certaine interopérabilité et une grande accessibilité des données, voire une fourniture de celles-ci par le public lui-même. Une telle initiative a d'ailleurs été mise en évidence en Grande-Bretagne s'agissant des statistiques de la criminalité ou des accidents couplés à leur géolocalisation. A cet égard, relève Nigel Shadbolt co-dirigeant du portail data.gov.uk, l'application « Anti-social Behaviours » a été téléchargée massivement (33 millions de fois), dès son lancement, par les citoyens britanniques.
Malheureusement, il semble que la livraison des données de transport en France, leur structuration et enrichissement par les citoyens peinent à passer des initiatives locales (Rennes, Nantes, Paris) au niveau national. Très récemment, celle d'Olivier Girardot qui avait lancé le site incidents-ratp.com, s'est vu attaquée par la RATP pour contrefaçon, car l'auteur aurait reproduit illégalement la marque déposée RATP en achetant le nom de domaine idoine. Afin de pouvoir poursuivre son initiative, il a été obligé dans l'urgence de transférer son site sous le nom de domaine incidents-transports.com, plus neutre, mais beaucoup moins lisible sur la toile. Il s'agissait pourtant d'une initiative collaborative et citoyenne parfaitement transparente de façon à mesurer de manière contradictoire la performance de l'opérateur public. Les motivations de la RATP sont particulièrement spécieuses : « un tel site est susceptible de fournir des informations erronées sur les incidents pouvant avoir lieu sur le réseau RATP et engendrer de ce fait des perturbations dues à une surpopulation sur les lignes de transports. » On se bornera à constater enfin qu'en matière de données RATP, celle-ci a lancé justement une application payante concurrente. Pourquoi se priver dans ces conditions de tuer la concurrence ?
Cet exemple montre donc fort à propos qu'il est impératif de croiser les données publiques avec des données privées, y compris recueillies par la société civile de façon à leur donner tout leur sens. On devra par ailleurs mesurer les conséquences juridiques non négligeables qui ont amené récemment l'APIE à faire déposer par les services des ministères et des opérateurs les marques publiques et les noms de domaines qu'ils utilisent. Le risque… tuer toute initiative privée qui de façon autonome, auditerait la performance des services publics par ses propres moyens. Il était donc particulièrement urgent de faire le point sur l'évolution de l'Open Data en France, ce qui a été fait le 17 mars dernies grâces aux travaux du colloque organisé à Issy-Les-Moulineaux.
Colloque sur l'Open Data, quels enjeux pour la société civile ?
La semaine dernière avait lieu dans les locaux de Microsoft « Open Data : et nous, et nous, et nous ? » au cours de laquelle des premiers enseignements devaient être tirés des récentes évolutions en matière d'Open Data en France.
La rencontre étant structurée autour de deux axes complémentaires :
une analyse des implications politiques et technologiques de la politique d'Open Data (table ronde « Quel sens donner au monde des données ouvertes ? »)
les implications pratiques et les évolutions à court terme et à long terme de l'Open Data (table ronde « L'Open Data, on fait comment ? »)
Or, ce que l'observateur a pu constater d'amblée, c'est l'existence d'une certaine rupture entre les deux séries d'interventions. Les premières étaient particulièrement stimulantes, voire iconoclastes, mettant en avant une véritable révolution démocratique avec le développement d'une vision rigoureusement participative, allant même jusqu'à la coproduction en matière de politique publique entre la sphère publique et la société civile. Dans l'autre, à côté des applications technologiques innovantes, l'image d'un Etat toujours flou et frileux sur la question de la libération des données publiques, parfois même carrément hors sujet comme avec les interventions du responsable du projet de développement pour la Bibliothèque nationale de France. Une conférence du 17 mars 2011 particulièrement contrastée, en somme, qui impose de redoubler d'effort et de vigilance quand à la vraie volonté de l'Etat de bien libérer ses données publiques… car pour le moment nous sommes bien loin du compte.
Faire de l'Open Data c'est d'abord libérer des données… structurées :
C'est le point de départ de l'intervention introductive de Bernard Stiegler sur le sujet. Pour faire de l'Open Data, il faut bien avoir conscience qu'une donnée est, contrairement à une information, un élément non structuré. Pour lui permettre de donner du sens et la transformer en information, il faut développer le caractère « utilisable » des données publiques donc préparer le terrain de l'Open Data par toute une série d'initiatives : développement de métadonnées, de formats de conversion etc… pour pouvoir pleinement les exploiter. Inutile dans ces conditions pour l'administration de se borner à « libérer » des milliers de documents pdf pour nourrir les portails de données publiques, comme ce que se propose de faire au niveau national la mission Etalab, dirigée par Sévrin Naudet. Sans données publiques massives et exploitables, c'est-à-dire utilisables notamment en flux (par exemple s'agissant des données relatives aux trafics (urbains, aériens, routiers etc…), aucune application d'envergure n'est possible. Constatation relayée ensuite par les interventions de Caroline Goulard (projet Actuvisu) s'agissant de l'exploitation rapide de données Légifrance ou issues du Parlement, mais aussi de Bernard Ourghanlian, CTO de Microsoft France. Pourtant le potentiel est là, et a été cartographié par François Bancilhon, Directeur du site Data-publica. L'Etat recélerait en effet 1.380 organismes publics dépositaires, recueillant près de 6,5 millions de fichiers et 500.000 tableurs.
L'Open Data devrait permettre une coproduction des politiques publiques par la société civile
Second point majeur énoncé lors du colloque en forme de paradoxe : le caractère par essence corrosif de l'Open Data pour la puissance publique, dans la mesure où pour constituer le nouvel espace public des Public Data, il était nécessaire de le « privatiser », c'est-à-dire de le rendre appropriable par les individus eux-mêmes. Une peur d'autant plus grande pour l'administration que rendre aux individus leur capacité d'initiative privée, c'est leur permettre de devenir eux-mêmes producteurs de critères de sélection de ces mêmes données, donc leur faire acquérir les compétences et le statut d'évaluateur. C'était en même temps rendre caduque à court ou moyen terme, toute la politique de l'immatériel de l'Etat centrée autour de la tarification à coût complet des données publiques… sans même parler de l'épineuse question des licences de réutilisation.
La DGME éclate au profit de la DISIC et de l'Etalab bonne nouvelle pour la RGPP ?
En marge du colloque, la restructuration des directions administratives se poursuit dans la perspective de la mise en place de l'Open Data.
Première constatation, l'APIE semble pour le moment placée sur la touche. L'immatériel étant trop général sans doute pour concerner spécifiquement la question du numérique… il faut dire que la « valorisation » payante des informations publiques est un sujet sensible lorsqu'on évoque le principe général de gratuité de l'Open Data.
Seconde constatation, la DGME (Direction générale de la modernisation de l'Etat) se voit retirer toutes ses attributions en matière informatique, alors même qu'elle comprenait l'ancienne ADAE (agence pour le développement de l'administration numérique).
Désormais, trois agences sont créées et relèvent directement de la compétence du SGG (secrétariat général du gouvernement) : l'ANSSI (l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information) constituée en 2009, mais dont les missions sont renforcées en matière de cyber-attaques par le décret du 11 février 2011 ; la DISIC (direction interministérielle des systèmes d'information et de communication de l'Etat) chargée de coordonner les travaux des différentes directions des systèmes d'information (DSI) des ministères et la mission Etalab chargée du portail interministériel par deux décrets du 21 février 2011 [1].
Cette dernière explosion du pôle informatique de la DGME a de quoi surprendre à l'heure où la rationalisation et la compression des structures est recherchée voire affichée dans le cadre de la modernisation de l'Etat. Par ailleurs, il n'aura échappé à personne que dans le décret du 21 février 2011 instituant la DISIC, la seconde partie supprime la mention relative à l'interopérabilité des systèmes d'information de l'Etat, inscrite pourtant dans le décret de constitution de la DGME « [La DGME proposant] les mesures tendant à la dématérialisation des procédures administratives et de l'interopérabilité des systèmes d'information ». Une position d'autant plus étonnante que l'interopérabilité et la dématérialisation sont au cœur de la diffusion des initiatives et des applications en Open Data partout dans le monde. Une constatation étonnée qui répond à celle de Sévrin Naudet, interrogé lors du colloque sur le fait de savoir si l'on pourrait bientôt avoir des notes de frais des services en ligne, ou un principe de mise en ligne par défaut des données publiques par les fonctionnaires à l'exception de celles couvertes par le secret de la vie privée ou le secret défense comme en Suède. Celui-ci pris de cours semble-t-il par la salle, se met à répondre : « Mais vous voulez ma mort ? »… Décidemment l'Etat se convertit dans la douleur à l'Open Data… pourtant les notes de frais comme le salaire des ministres, des parlementaires et des hauts fonctionnaires, formaient les premières mesures prises en la matière par le gouvernement britannique. « Honni Soit qui mal y pense ? »
[1] Voir les décrets n°2011-193 et 2011-194 du 21 février 2011.